Accueil Culture Lyrique: De Richard Strauss à Béla Bartók à l’Opéra de Dijon

Lyrique: De Richard Strauss à Béla Bartók à l’Opéra de Dijon

"Le Château de Barbe-Bleue", opéra de Bela Bartok. Précédé des "Métamophoses", de Richard Strauss, Opéra de Dijon


Lyrique: De Richard Strauss à Béla Bartók à l’Opéra de Dijon
© Mirco Magliocca / Opéra de Dijon

Un mémorable Château de Barbe-Bleue en diptyque, ultime mise en scène de Dominique Pitoiset à Dijon. Avec, dans la fosse, un Orchestre français des jeunes rutilant.


Chant de départ pour Dominique Pitoiset. Le voilà qui fait brusquement ses valises le 1er février prochain, alors que son mandat n’arrivait à échéance qu’en décembre 2026. Aujourd’hui âgé de 66 ans, il avait pris la direction artistique de l’Opéra de Dijon en 2021. C’est peu dire que l’homme avait porté au sommet l’institution régionale. Les rumeurs parfaitement infondées sur un harcèlement sexuel auquel il se serait livré à l’occasion de sa mise en scène de Tosca en mai dernier ont eu raison de sa patience. L’époque de la prétendue « libération de la parole » s’autorise toutes les diffamations pour couper la tête du Mâle (forcément dominant) ; le fiel féministe a remplacé la fiole de poison ; aucun membre de la gent masculine n’est plus à l’abri de l’Inquisition woke.   

Faible consolation, les Parisiens amateurs de lyrique se félicitent encore d’avoir pu assister, en septembre dernier, à la reprise de Falstaff : millésimée 1999, sa régie n’a pas pris une ride. Avec Le Château de Barbe-Bleue, donné à Dijon pour deux représentations, Dominique Pitoiset fournit une nouvelle preuve de sa grande intelligence scénographique.

Unique partition lyrique jamais écrite par Bela Bartok (1881-1945) en 1911, sur un livret du poète Béla Balazs (également scénariste sur des films de Georg Wilhelm Pabst ou de… Leni Riefenstahl –  si, si !), mais créée seulement au sortir de la Grande guerre à l’Opéra de Budapest, c’est une œuvre très courte : moins d’une heure. Elle ne réunit que deux rôles chantés : une basse pour Barbe-Bleue, et une soprano ou mezzo pour Judith, l’ultime épouse de l’ogre du célèbre conte de Perrault, retourné comme un gant, pour ainsi dire, sous la double influence de Maurice Maeterlinck et de Paul Dukas, dont le futur librettiste de Bartok avait pu voir, en 1907 à Paris, la création de son opéra Ariane et Barbe-Bleue. Rappelons que la modernité hongroise, à l’approche du premier conflit mondial, était bien davantage tournée vers la France et l’esthétique symboliste que vers le vieil empire bicéphale.

Pour revenir à Pitoiset, quelle excellente intuition d’avoir associé à ce Château de Barbe-Bleue, en guise de prélude, les Métamophoses de Richard Strauss. Le génial compositeur de Salomé, d’Elektra ou d’Ariane à Naxos vient de fêter ses 80 ans lorsqu’il assiste à l’effondrement du IIIème Reich et à la ruine des temples de la musique que sont les opéras de Berlin et de Vienne, ce dernier réduit en cendres par les bombardements alliés, le 12 mars 1944.  A son journal, Strauss confie : « la grenouille  prussienne boursouflée, également connue sous le nom de Grande Allemagne, a éclaté […] La plus terrible  période de l’histoire humaine a pris fin, ces douze années de règne de la bestialité, de l’ignorance  et de l’anti-culture sous l’égide des pires criminels, durant lesquelles  les deux mille ans de l’évolution culturelle de l’Allemagne ont été condamnés tandis que d’irremplaçables monuments d’architecture et de précieuses œuvres d’art ont été détruits par une soldatesque criminelle. Maudite soit la technologie ! ».

Oraison funèbre, ces Métamophoses expriment le désespoir du vieillard toujours alerte, alors réfugié dans sa villa bavaroise de Garmich, qu’il ne quittera plus jusqu’à sa mort, en 1949. Le titre de cet inoubliable adagio polyphonique écrit pour vingt-trois cordes renvoie, sous les auspices de Goethe, au cycle de la vie végétale, la graine mourant pour s’épanouir sous forme de plante et donner naissance à de nouvelles graines. D’une amplitude, d’une complexité sans pareilles, la texture mélodique de cette élégie bouleversante ranime, dans une synthèse de haute virtuosité, une tradition classique dont Strauss se sait l’ultime champion.

Formé par ces deux partitions nées l’une, puis l’autre, juste après les hécatombes du XXème siècle, le diptyque tel que l’a conçu Dominique Pitoiset pour la scène dijonnaise « fonctionne » – comme on dit – à merveille. Le lever de rideau s’ouvre sur un long silence : au centre de l’immense plateau évidé, tendu de noir, un lit en bois de loupe. Une femme y agonise veillée par un jeune garçon, son fils, une infirmière, le père, probablement… La cataracte sonore de Richard Strauss fond soudain sur ce vertige muet : elle dure une demi-heure. On comprend que la mère du futur Barbe-Bleue a rendu l’âme. Traumatisme enfoui de l’enfance. En arrière-plan, dans une sorte de placard-bibliothèque, les portes interdites du château, celles que Judith, la quatrième épouse de Barbe-Bleue, mue par sa curiosité morbide, profanera jusqu’à signer sa propre perte, dans le second volet du spectacle, sous les auspices de Bela Bartok. Par un sortilège visuel simple et parfaitement efficace, la couche mortuaire y deviendra cercueil, caveau, terreau d’où jailliront – superbe effet scénographique ! – les mains entremêlées, spectrales, des épouses supposément assassinées – mais vivantes et prisonnières de cet antre : autant dire que le Château est habité d’une forte résonnance psychanalytique…  Sur ce dispositif scénique minimal s’épanouit la partition stridulante, orageuse, échevelée de Bartok, d’un lyrisme expressionniste captivant.

Pour Aude Extrémo (dont on a eu l’occasion d’admirer la superbe voix de mezzo par deux fois à l’Opéra-Bastille en 2024, d’abord dans le rôle de la servante Suzuki, dans Madame Butterfly, puis dans Rigoletto où elle campe Maddalena – spectacle d’ailleurs repris en mai prochain dans la même enceinte), chanter en langue hongroise était un défi. Elle le relève haut-la-main : deux ans que de son propre aveu elle travaillait assidument sur ce texte : à défaut de comprendre parfaitement le hongrois, elle en magnifie l’articulation, la rugosité si particulière. Son partenaire, le baryton-basse Önay Köse, lui donne la réplique dans une puissance d’émission vocale, une netteté du phrasé, une intensité de jeu remarquables.

Kristiina Poska (c) Bruno Moussier

Mais surtout, surtout, ultime défi, les instrumentistes novices de l’Orchestre français des jeunes (OFJ), en résidence depuis l’été 2023 à l’Opéra de Dijon –  formation nouvellement dirigée par l’Estonienne Kristiina Poska, laquelle reprend la baquette tenue pendant cinq ans par le chef danois Michael Schonwandt – affrontent une double difficulté : s’attaquer à l’hypertrophie polyphonique straussienne et, conjointement, à leur première partition lyrique sous la bannière des quatre B : Bela Bartok & Barbe-Bleue.  

Ce spectacle étincelant de part en part contribue à faire de la scène dijonnaise un havre de haute culture. A noter que – toujours dans l’immense « auditOrium » [sic] excentré au cœur du quartier d’affaires fort peu glamour de la capitale bourgonnaise – le magnifique Grand théâtre, sis dans le vieux Dijon, étant en cours de rénovation – l’Opéra de Dijon programme le mois prochain une Traviata prometteuse, avec Melody Louledjian et Marine Chagnon, dans une nouvelle mise en scène signée Amélie Niermeyer  – sa régie de Don Pasquale (Donizetti) avait fait date ici même il y a trois ans…


Vu les 11 et 12 janvier : Le Château de Barbe-Bleue, opéra de Bela Bartok. Précédé des Métamophoses, de Richard Strauss. Avec Aude Extrémo et Önay Köse. Direction : Kristiina Poska. Mise en scène : Dominique Pitoiset Orchestre Français des Jeunes. AuditOrium de l’Opéra de Dijon.

A voir : La Traviata, de Giuseppe Verdi. Avec Melody Louledjian, Marine Chagnon… Direction : Débora Waldman. Mise en scène : Amélie Niermeyer. Orchestre Dijon Bourgogne, Chœur de l’Opéra de Dijon.

Le 9 février à 15h, les 11, 13, 15 février à 20h.

Durée : 2h30

opera-dijon.fr




Article précédent Otages du Hamas: Doha, théâtre des mille et une négociations…
Article suivant Quand des ONG et des activistes sabotent l’industrie française…

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération