Alors qu’on n’attendait pas grand chose de sa première grande allocution en tant que Premier ministre, l’élu béarnais a dit hier à l’Assemblée nationale certaines vérités inattendues et fait quelques propositions de bon sens.
Le discours de politique générale de François Bayrou ne restera probablement pas dans les annales de l’éloquence républicaine. Il faut dire que le maire de Pau, qui appartient au dernier carré des hommes politiques sachant écrire, n’a jamais tellement brillé à l’oral. Même parmi ses plus chauds partisans, rares sont ceux qui auront pris du plaisir à l’écouter…
D’un ton trop monocorde – centriste diront certains -, se perdant même à un moment dans ses feuilles au point de se retrouver muet pendant de longues secondes, le président du Modem a déclamé son texte, certes bien troussé, sans convaincre. Mais le manque de talent oratoire n’explique pas tout. Bayrou est un Premier ministre par défaut. Il n’a pas été le premier choix du chef de l’État, une majorité des députés lui sont hostiles et sa position d’ancien haut commissaire au Plan (2020-2024) lui confère un statut d’ex-animateur de comité Théodule, au surplus comptable des erreurs d’Emmanuel Macron, qui n’arrange rien à l’affaire.
Et pourtant, le briscard gascon doit être salué. Car il y avait, dans les mots qu’il a prononcés hier, des accents de vérité comme on n’en entend que trop rarement au parlement. Sur l’Éducation nationale par exemple : « Les enseignants de notre université dépeignent des étudiants de première année qui ne parviennent pas à écrire un texte simple, compréhensible avec une orthographe acceptable, s’est-il notamment alarmé. Ceci, c’est pour moi le plus grand de nos échecs. » Difficile de lui donner tort.
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Même courage de dire les choses quand il en vient à parler de l’immigration, qui est selon lui « d’abord une question de proportion (…) L’installation d’une famille étrangère dans un village, c’est un mouvement de générosité qui se déploie, mais quand trente familles s’installent, le village se sent menacé et des vagues de rejets se déploient. » Ou bien quand il s’exprime sur la dette publique : « Tous les partis d’opposition demandant sans cesse des dépenses supplémentaires ont aussi dansé le tango fatal qui nous a conduits au bord de ce précipice. Cette dette est une épée de Damoclès au-dessus de notre pays et de notre modèle social. »
Mais c’est surtout sur le dossier des retraites que le maire de Pau a fait preuve d’une étonnante sincérité. En reconnaissant d’abord – et c’est une première au sein de la macronie – que « sur les plus de 1000 milliards de dette supplémentaire accumulée par notre pays ces dix dernières années, les retraites représentent 50% de ce total. » En admettant aussi que les « collectivités publiques, au premier chef de celui de l’État, à hauteur de quelque 40 ou 45 milliards » renflouent chaque année le système, censé pourtant être financé par les seules cotisations sociales.
Dans ces conditions, Bayrou est dans son rôle quand il indique vouloir confier à la Cour des comptes une « mission flash », qui permettra d’avoir des chiffres plus clairs que ceux d’un Conseil d’orientation des retraites ayant plutôt maquillé jusqu’ici les fameux 40 à 45 milliards. Même si, bien sûr, les plus pessimistes verront d’abord dans cette commande d’un nouveau rapport une vulgaire manœuvre de temporisation.
De même, quand Bayrou annonce la tenue d’un « conclave », où les syndicats et le patronat auront pour tâche de négocier une nouvelle réforme des retraites, avec pour seule contrainte qu’elle soit aussi vertueuse en terme d’équilibre budgétaire que la réforme Borne, la tentation est grande de penser que, là encore, Bayrou joue la montre, essaye d’amadouer les socialistes, bref qu’il emploie un grossier stratagème pour conserver quelques mois de plus un poste dont il a rêvé toute sa vie.
Qu’il soit permis ici toutefois d’envisager que le président du Modem tente en réalité de bonne foi de trouver une voie intelligente pour dépêtrer la France d’un problème qui pourrit le débat public depuis trop longtemps. Qu’il soit aussi permis de lui rendre grâce de proposer la reprise de la fusion de l’audiovisuel public, manière d’aboutir à une BBC à la française forcément moins coûteuse pour le contribuable – et peut-être plus pluraliste, puisque France Télévisions l’est davantage que Radio France. Ou de trouver non moins bienvenue son idée de créer une « banque de la démocratie » qui permettra aux partis de ne plus dépendre du bon vouloir des établissements privés. Évidemment, ces annonces ne vont pas assez loin. Le verre reste vide aux trois quarts. Mais hier après-midi, Bayrou l’a rempli de quelques agréables centilitres dont il serait malhonnête de nier l’existence.
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