La Génération X est née entre 1970 et le début des années 1980. Elle a longtemps été écrasée par le nombre des boomers qui marchaient avant elle, mais elle arrive finalement au pouvoir. Et avec le pouvoir financier, politique, littéraire, vient l’envie d’user de ce pouvoir à des fins libidinales. À en croire notre chroniqueur, l’arrivée sur le marché de la séduction (ou de la prédation, ou de la simple consommation) de femmes quinquagénaires qui ne sont plus du « sexe faible » est une révolution en marche.
Babygirl, qui sort ce mercredi en France, raconte l’histoire d’une quinquagénaire (encore que, comme le souligne Kate Rosenfield, « Nicole Kidman, at 57, can still pass for 15 years younger from the front and for a teenager from behind » — ai-je besoin de traduire ?) qui entame une liaison SM avec l’un de ses stagiaires, âgé de 25 ans. Imaginons que ce soit un homme qui soit à sa place, et se tape la stagiaire ou la baby-sitter, on crierait au scandale, au patriarcat prédateur, au « male gaze » et autres imprécations #MeToo.
C’est une lame de fond. J’ai commencé à y prêter attention à mon retour du Japon — ces interminables heures d’avion où vous n’avez rien d’autre à faire que regarder les films offerts à votre ennui. Parmi d’autres chefs-d’œuvre, j’ai vu là pour la première fois Good Luck to You, Leo Grande (Mes rendez-vous avec Léo, de Sophie Hyde, sorti en 2022) où Emma Thompson, veuve récente, quasi-sexagénaire, qui n’a jamais joui de sa vie tout en restant fidèle à son mari, se loue un call-boy : je ne saurais trop vous conseiller le film, d’une finesse et d’un art du dialogue rarement atteints depuis la mort de Cary Grant et de Katharine Hepburn.
Nicole Kidman est dans la même situation, qui a besoin de ses doigts et d’un film porno pour atteindre une extase mécanique que son mari (Antonio Banderas, quand même) est inapte à lui procurer.
C’est une lame de fond. L’un des grands succès romanesques de l’année 2024, aux Etats-Unis, s’intitule All Four (Miranda July, 50 ans aux fraises) : « The first great perimenopause novel », s’enthousiasme le New York Times.
La sexualité des boomers commence à donner de la bande, si je puis m’exprimer ainsi. Prévoyants, ils ont inventé le Viagra. Mais ces dames, dont le pouvoir de séduction s’effrite si vite, dans un monde dominé par l’idéologie jeuniste, comment défouleront-elles leurs pulsions ? Ont-elles le droit de s’offrir le livreur de pizzas ou le plombier, ces archétypes de la pornographie ? Ou le fringant attaché / secrétaire / garçon de courses qui passe dix fois par jour devant elle avec ses costards bien taillés qui, vous l’avez remarqué, laisse désormais libre expression au petit cul de ces jeunes gens…
Après tout, à 45 ou 50 ans, elles ont élevé leurs enfants, rempli leurs devoirs d’épouse, bâti une carrière qui prend de l’ampleur au fur et à mesure que les boomers dégagent le terrain. Si elles sont mariées, c’est avec un homme sensiblement du même âge, voire plus âgé, avec qui le jeu de la bête à deux dos, comme disait Rabelais, n’est plus qu’une routine…
Elles cultivent en secret d’autres ambitions.
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À noter que cette sexualité seconde est fort différente de celle des hommes au même âge. Les quinquagénaires qui vérifient avec des jeunettes que leur pouvoir de séduction est toujours intact, cela existe depuis toujours. Parfois même ils délaissent leurs épouses et expérimentent avec lesdites jeunes femmes un pouvoir génésique est toujours intact, en invoquant Chaplin ou Picasso. On appelait ça la « midlife crisis » en anglais, ou le démon de midi en français. Autrefois c’était vers la quarantaine, aujourd’hui les hormones lancent leur baroud d’honneur vers la cinquantaine, puisque la longévité s’est allongée.
Les femmes ne jouent pas dans la même cour. Elles ne sont plus d’âge à avoir des enfants —elles ont déjà donné. Ce qu’elles désirent, c’est la satisfaction pure de leur libido ensommeillée ou de leurs fantasmes inavoués. D’aucunes se révèlent dévoreuses sur le tard, après une demi-vie routinière. Elles souhaitent qu’on les comble. Qu’on les fasse se sentir belles à nouveau. Elles veulent palper une chair ferme, des muscles bien dessinés, des érections glorieuses et renouvelées. De la chair fraîche. L’amour physique est, après tout, la crème de beauté la plus instantanée et la plus efficace.
Elles désirent aussi qu’on leur parle — autre chose que « Chérie, je suis rentré, qu’est-ce qu’il y a à manger ? » Le film de Sophie Hyde (il est significatif que réalisateur et scénariste soient l’une et l’autre des femmes de la Génération X) est à cet égard révélateur : on n’y voit rien de plus qu’une épaule, un torse d’homme, mais on y écoute avec intérêt le dialogue d’Emma Thompson et de Daryl McCormack, où l’escort dénoue patiemment les contraintes et les préjugés où s’enfermait depuis toujours la belle cliente — car Thompson, à 63 ans, si elle n’a pas le physique intemporel de Kidman, est fort belle et joue magnifiquement.
Messieurs, méfiez-vous. Vos compagnes fomentent d’obscurs complots. Elles ne prétendent pas être aimées, mais bien culbutées. Elles sont prêtes à payer, pour ça — comme vous : « escort » est, après tout, un mot neutre, il peut être masculin ou féminin selon les goûts. Elles ne vous trompent pas, au fond : elles exploitent ces zones que vous avez laissées en jachère. C’est ce que j’ai décrit par ailleurs dans un petit essai intitulé « La Théorie du camembert » — disponible sur le Web, heureux veinards que vous êtes…
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