À l’occasion de ses vœux aux Français pour 2025, le président de la République a annoncé vouloir leur demander de « trancher » des « sujets déterminants ». Cette perspective ouvre semble-t-il la voie au référendum qui est l’un des deux modes alternatifs d’exercice de la souveraineté nationale appartenant au peuple (article 3 de la constitution). Il l’exerce en effet par ses représentants ou par le référendum. Le peuple pourrait-il ainsi être saisi de la question migratoire, se demande la droite ?
L’article 11 détermine le champ d’application du référendum législatif. Il concerne « l’organisation des pouvoirs publics, les réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité ». Un consensus des juristes semble se dégager pour considérer que la thématique de l’immigration est hors de ce cadre, ce qu’admet Bruno Retailleau autant qu’il le déplore (1). Les réformes relatives à la politique économique et sociales de la nation seraient donc insusceptibles de se rattacher à la politique migratoire ! De ce point de vue, l’organisation d’un référendum sur l’immigration imposerait une révision préalable de l’article 11 en suivant la procédure exigeante de l’article 89 : la révision est adoptée soit par référendum après que la proposition a été votée en termes identiques par les deux Assemblées, soit par le Parlement réuni en Congrès si le projet est approuvé à la majorité qualifiée des 3/5 des suffrages exprimés. Mais, le débat n’est pas totalement épuisé dès lors que le Conseil constitutionnel s’estime incompétent pour contrôler les décisions référendaires au motif qu’elles sont l’expression directe de la souveraineté nationale (Cons. const., déc. n° 62-20 DC du 6 novembre 1962, Loi relative à l’élection du président de la République au suffrage universel direct, adoptée par le référendum du 28 octobre 1962). Les neuf sages ont eu l’occasion de confirmer leur refus. Il n’en demeure pas moins que le Conseil constitutionnel est d’avis que le recours au référendum serait inconstitutionnel car selon les déclarations de son président, l’immigration constitue « un problème en soi » (2), et non un sujet économique. Dans ce contexte, il est peu probable que le chef de l’État demande au peuple de trancher la question migratoire, ce d’autant qu’il s’est montré hostile au renforcement du contrôle migratoire en soumettant la loi Immigration-intégration à la censure du Conseil, l’année dernière.
La censure de la loi Immigration-intégration du 26 janvier 2024
Le président de la République a saisi le Conseil constitutionnel de ce projet de loi. Étaient visés les amendements du groupe LR au rang desquels figuraient le durcissement du regroupement familial, la suppression de certaines prestations sociales aux étrangers, la restauration du délit de séjour irrégulier… Par sa décision du 25 janvier 2024, le Conseil a réduit à peau de chagrin le projet de loi en poussant à son paroxysme le contrôle des « cavaliers législatifs ». L’intrigue (politique) était de savoir si les mesures censurées pouvaient être considérées comme étant « sans lien même indirect » (article 45 de la constitution) avec la loi en cause. Aucune argutie juridique ne permettait raisonnablement de le penser… Et pourtant, le Conseil l’a fait !
La censure de la proposition de loi référendaire visant à conditionner certaines prestations sociales non contributives aux étrangers en situation régulières
Après cette première censure, le groupe LR est revenu à la charge par la voie du référendum d’initiative partagée (RIP) prévu à l’alinéa 3 de l’article 11. Il peut être organisé à l’initiative d’1/5ème des parlementaires, notamment sur une question relative à « la politique sociale de la France ». L’article 1er de la proposition de loi instaurait une condition de durée minimale de résidence en France ou d’affiliation à un régime obligatoire de Sécurité sociale au titre d’une activité professionnelle que devaient remplir les étrangers non-ressortissants de l’Union européenne en situation régulière pour bénéficier de certaines prestations sociales. Le 11 avril 2024, l’aréopage devait refuser aux LR la possibilité d’organiser un RIP visant à réformer l’accès des étrangers aux prestations sociales. Pourquoi ? L’article 45-2 de l’ordonnance organique du 7 novembre 1958 modifiée, énonce que le Conseil constitutionnel doit vérifier « qu’aucune disposition de la proposition de loi n’est contraire à la Constitution ». Cette disposition réinvestit le Conseil constitutionnel, alors que ce dernier s’interdit de contrôler les lois adaptées par référendum. La loi constitutionnelle instituant le RIP a modifié l’article 61-1 de la Constitution pour imposer le contrôle de constitutionalité des propositions de lois référendaires issues du RIP.
S’agissant de l’article 1er de ladite proposition de loi, le Conseil a jugé que les exigences constitutionnelles tirées des alinéas 10 et 11 du Préambule de 1946, élément du « bloc de constitutionnalité », impliquant la mise en œuvre d’une politique de solidarité nationale en faveur des personnes défavorisées, ne s’opposent pas à ce que le bénéfice de certaines prestations sociales dont jouissent les étrangers en situations régulières sur le territoire français soit soumis à une condition de durée de résidence ou d’activité, mais que cette durée ne saurait être telle qu’elle prive de garanties légales ces exigences. Les juges de la rue Montpensier estiment excessive la durée de 5 ans retenue par la proposition de loi. L’ensemble de la loi succombe, puisque l’article 45-2 de l’ordonnance précitée exige « qu’aucune disposition de la proposition de la loi » ne doit être contraire à la Constitution. Son article 2, remplaçant l’aide médicale d’État bénéficiant à certains étrangers en situation irrégulière, par une aide médicale d’urgence, n’a donc même pas été examinée. Par ailleurs, le Conseil censure au fond les quotas d’immigration, mais pas sur une question de principes, mais au motif que le législateur n’a pas la possibilité d’imposer au Parlement l’organisation d’un débat ni la fixation par ce dernier d’objectifs chiffrés en matière d’immigration.
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Il n’est pas ici question de remettre en cause, d’une manière ou d’une autre, l’Etat de droit, mais son dévoiement. Il garantit le respect de la hiérarchie des normes avec la Constitution, norme suprême, placée à son sommet, et protège les droits fondamentaux, y compris ceux des minorités contre les discriminations objectives. Mais ce n’est pas aujourd’hui le « despotisme de la majorité » (A. de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1835) qui est à craindre, mais la tyrannie des minorités. La jurisprudence du Conseil constitutionnel a pris son essor à partir de textes à portée plus philosophique que juridique, tel que le principe de fraternité attaché à la devise républicaine. Sans réelle portée normative, ils ouvrent la voie au gouvernement des juges, qui parfois n’hésitent pas à donner une lecture contra legem de la loi. Le défi migratoire inscrit à l’agenda la question du droit à la continuité historique. Or, cette question existentielle ne peut rester confinée dans les prétoires. Il revient au pouvoir constituant de se réapproprier la norme suprême. Le contexte est hostile au référendum législatif de l’article 11, sans une révision préalable de la Constitution dont l’objet devra en outre redéfinir la hiérarchie des normes pour brider les jurisprudences des Cours suprêmes européennes (CJUE et CEDH).
1 « Le sujet pour moi, ce serait l’immigration. Il n’y a pas de phénomène qui ait autant bouleversé la société sans que jamais, le peuple français n’ait eu son mot à dire. Mais il faudrait une révision constitutionnelle pour le faire… » Bruno Retailleau dans Le Parisien, 6 janvier 2025
2 https://x.com/DariusRochebin/status/1840655455728652362
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