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Le hussard noir de la mer

Olivier de Kersauson publie "Avant que la mémoire s’efface" (Cherche Midi)


Le hussard noir de la mer
Le navigateur Olivier de Kersauson © JULIEN DE FONTENAY/JDD/SIPA

L’amiral Olivier de Kersauson se fait instituteur dans un bréviaire paru au Cherche midi où il égrène quelques propos maritimes


Nous sommes habitués à le voir et à l’entendre dans les studios, maugréer, rabrouer, tancer, taquiner les hommes qui ont choisi la terre à la mer. Bougon en chef, réfractaire aux modes absurdes, habillé de sa mauvaise humeur qui fit son succès radiophonique, caractériel par ruse pour faire oublier son érudition, Olivier de Kersauson est notre marin médiatique, phare brestois du « Tour du monde », aujourd’hui Polynésien de cœur. Dans une nation qui compte de nombreux navigateurs célèbres, on retiendra Tabarly l’héroïque, le racinaire. Sans lui, rien n’aurait été possible, il a ouvert les voies. Puis Florence, son prénom a ému la France à une époque où la parité sur l’eau errait dans les limbes. Et Kersauson, rocailleux et tempétueux, l’homme des records du monde en multicoque, capitaine du Lyonnaise des eaux et du Sport-Elec, patron à l’ancienne, croyant à bord aux vertus de l’observation, méfiant sur les nouvelles technologies tout en les étrennant, libertaire-conservateur, drôle de bonhomme totalement ancré dans un temps déconstruit.

Esthète de l’audace

Avec l’âge, il ne se fait pas plus doux ou mielleux. On l’aime pour ses abordages virils dans les débats qui agitent la société ; sa répartie décontenança tant d’animateurs satisfaits d’eux, à la télé. Cependant, dans son dernier ouvrage Avant que la mémoire s’efface, Kersauson se fait instituteur, plus éducateur que professeur jargonnant, il parle de ce qu’il connaît le mieux, la mer, ses joies et ses démons, avec des mots simples à la portée d’un Berrichon ne connaissant que les étangs clos de Sologne. Ce fameux trois-mâts, large d’épaules, a un lourd passif avec l’horizon ; en 1967-1968, il effectuait déjà son service militaire dans la marine, affecté sur la goélette Pen Duick III (19 mètres) sous les ordres du capitaine de vaisseau Tabarly. Kersauson, dans un rôle nouveau de transmetteur, convoque le ciel, les vents et la mer. Une vie à naviguer, à observer, à retenir quelques intuitions, à éprouver des millions de solutions, à se méfier des appareils, à calculer et à « cheffer » car, à la fin, un homme va décider pour l’ensemble de l’équipage. Ce retour à une navigation connectée aux éléments naturels, sur les années de ce long apprentissage où comme Jean Gabin on sait que l’on ne sait (presque) rien est un beau témoignage sur le danger, la prise de risque, la liberté et une forme d’absolu. Kersauson n’engage pas une controverse entre modernes et anciens, il n’est pas hostile, par principe, aux nouveaux matériaux et aux outils de prévision, car son rêve demeure intact. Il recherche le frisson et la béatitude de la vitesse pure, il sera toujours un esthète de l’audace. « C’est vraiment jouissif d’avoir des beaux bateaux dans les mains, c’est comme les gens qui aiment conduire et avoir une belle voiture » écrit-il. Ce bonheur-là, quand ça « roule », « quand ça glisse » à 30 nœuds, l’homme sait intimement qu’il a enfin trouvé un sens à sa vie.

L’amour du risque

À la manière d’un écrivain qui tente de trouver le chemin vers la phrase parfaite, bien balancée et équilibrée, sans graisse avec cette profondeur vivifiante qui éclaire l’esprit, le marin travaille à l’oreille, avance au son. « Naviguer, c’est se servir autant des oreilles que des yeux » conclue-t-il. Kersauson, voyageur sans valises, n’est pas un adepte du principe de précaution à tout-va. Il replace le risque au centre des existences humaines. A contre-courant des discours pusillanimes, il déclare que le risque est : « inhérent à la vie, il est biologique, ontologique si l’on préfère ». Dans ces carnets, il reconnaît que certains écolos qu’il qualifie d’escrologues l’agacent, mais nier leurs combats serait une hérésie. « Il y a un crime de l’humain à l’égard de la nature. Le discours écologiste, même avec ses excès, permet la prise de conscience ». Kersauson n’est pas atteint de gâtisme, il a parcouru la planète et vu des horreurs comme les stations baleinières en Géorgie du Sud, « là où furent tuées des milliers de baleines ». Kersauson rend aussi hommage au plus grand, Magellan, « c’est le premier geste de la mondialisation » et l’initiateur de la cartographie. Quand il évoque l’effroi du Grand Sud, on trésaille, « C’est un univers qui n’a pas besoin de moi, j’y suis inutile. L’homme est là, il est là, mais il ne sert à RIEN ». Cette solitude est une introspection sur soi qui est tellement salutaire à l’ère de l’homme s’imaginant surpuissant.

Avant que la mémoire s’efface de Olivier de Kersauson – le cherche midi 216 pages.




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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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