Au royaume du Danemark, où le drame de Charlie Hebdo trouve son origine, il ne fait pas bon bafouer les interdits islamiques sur la représentation de Mahomet et la sanctuarisation du Coran. La liberté d’expression y est devenue un enjeu politique et sécuritaire. Portrait d’un pays où la terreur a remporté la partie.
En 2005, l’écrivain danois Kåre Bluitgen, auteur d’une biographie intitulée Koranen og profeten Muhammeds liv (« Le Coran et la vie du prophète Mahomet »), sollicite trois artistes pour illustrer son ouvrage. Sans succès. L’affaire est relatée par le journaliste Troels Pedersen qui révèle que, si plusieurs artistes refusent de dessiner Mahomet, c’est parce qu’ils craignent pour leur sécurité. Suite à cet article, le 30 septembre 2005, le quotidien danois Jyllands-Posten publie 12 caricatures de Mahomet réalisées par divers dessinateurs. Le journal a aussi essuyé plusieurs refus de dessinateurs craignant pour leur vie. Ils ont raison. À partir de ce moment, la liberté d’expression devient un enjeu culturel, politique et sécuritaire.
La publication provoque la réaction violente qu’on sait : plusieurs artistes reçoivent des menaces, des émeutes éclatent dans plusieurs pays arabes et musulmans, des attaques ciblent les ambassades danoises, on boycotte des produits danois. Plusieurs gouvernements arabes se fendent aussi de protestations diplomatiques.

Au Danemark, la publication suscite de violentes critiques et un débat public intense. Pour certains, il faut défendre à tout prix le droit de dessiner et de publier ces caricatures, car il en va de la liberté d’expression. D’autres jugent cette publication irresponsable en raison de ses lourdes répercussions économiques et diplomatiques. Enfin, il y a ceux, musulmans mais pas seulement, qui dénoncent la publication comme moralement répréhensible, estimant qu’elle offense inutilement les musulmans vivant pacifiquement dans le pays.
Nouveau défi
L’une des caricatures devient rapidement emblématique. Réalisée par Kurt Westergaard, elle représente Mahomet avec une bombe dans son turban, allusion à une pièce de théâtre du début du xixe siècle. Elle vaut à Westergaard de nombreuses menaces et tentatives d’assassinat. En 2008, il est visé par un attentat, ce qui conduit une grande partie de la presse danoise à republier son dessin en signe de solidarité. Le 1er janvier 2010, sa fille et lui eurent la vie sauve grâce à l’intervention rapide de la police danoise. Mais cet épisode marque le début d’une vie sous haute surveillance pour l’artiste, contraint de vivre sous protection policière permanente jusqu’à sa mort en 2021,
