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Comment réaliser ses ambitions quand on est procrastinateur

Stan Cuesta publie "La musique a gâché ma vie"


Comment réaliser ses ambitions quand on est procrastinateur
Le journaliste, écrivain et musicien Stan Cuesta © Hannah Assouline

Le journaliste rock Stan Cuesta publie La musique a gâché ma vie, un recueil de sémillants et vifs récits partiellement autobiographiques. Entretien.


Version 1.0.0

Causeur. Pourquoi une citation du plus beau roman de Modiano, Villa triste, en exergue de votre livre ? Que représente ce romancier pour vous ?

Stan Cuesta. J’adore Modiano, j’ai lu tous ses romans, je les relis sans cesse. Ce qui me fascine, c’est que je les confonds tous, je suis incapable de me souvenir de ce dont il est question à la lecture d’un titre, et quand je le relis, je le redécouvre, avant de tout oublier à nouveau. C’est comme un nuage dans le ciel : il est là, on l’observe et l’instant d’après il a disparu sans qu’on s’en aperçoive vraiment. Il y a de la magie dans l’écriture de Modiano. En relisant Villa Triste, je suis tombé sur ce dialogue, où les mots « Tout feu tout flamme » ont fait écho à ma nouvelle du même nom, ainsi que l’évocation d’un « métier » flou, que j’ai ressentie comme étant en adéquation avec un des thèmes que j’aborde.

Quels sont vos écrivains préférés ?

Je n’ai pas une culture littéraire classique, car j’ai fait, bêtement, des études scientifiques. Je m’aperçois, en fréquentant un peu le milieu littéraire que beaucoup de ses acteurs – écrivains, éditeurs, critiques – ont fait les mêmes études, khâgne, Normale Sup, Sorbonne, etc. Moi, je n’ai pas encore vraiment lu Proust, ni même Hugo ou Balzac ! J’ai tout découvert par la musique… Et particulièrement en lisant le Rock & Folk des années soixante-dix. Donc mon écrivain préféré a longtemps été Jack Kerouac, dont j’ai tout lu, d’abord en français puis en version originale. Aujourd’hui, j’ajouterais bien sûr Modiano, mais aussi J. D. Salinger, et Réjean Ducharme, que j’essaie de faire mieux connaître en France.

Vos textes ressemblent plus à des récits autobiographiques qu’à des nouvelles. Quelle est la part d’autobiographie et celle de la fiction, s’il y en a ?

Il semble que, comme Monsieur Jourdain, je fasse de l’autofiction sans le savoir… Je n’ai pas étudié la question, je ne connais même pas la définition précise de ce mot. Disons que la plupart des textes partent d’expériences réelles vécues puis s’en écartent plus ou moins. Dès qu’on écrit, on fait de la fiction. Même quand on se raconte oralement. En tant que journaliste j’ai interviewé beaucoup d’artistes et je sais qu’ils racontent souvent de leurs vies ce qu’on en a déjà dit, ce qu’ils ont lu quelque part, même si c’est totalement romancé, voire faux. C’est la fameuse phrase tirée de L’Homme qui tua Liberty Valance, de John Ford : « Quand la légende dépasse la réalité, on imprime la légende. » La réalité m’intéresse assez peu. J’imprime la légende.

Le titre est, je suppose, provocateur. Pourquoi ce titre ? Quels sont vos goûts musicaux ?

C’est le titre d’un des textes, qui traite du monde du travail, ou pour être plus précis, du refus du monde du travail. Je suis ce qu’on appelait dans les sixties un drop-out, un gars qui a laissé tomber. L’amour de la musique m’a fait renoncer à une carrière « sérieuse », qui aurait été beaucoup plus rémunératrice que tout ce que j’ai fait dans la musique. C’est en ce sens que cette dernière m’a « gâché » la vie que j’aurais pu, que j’aurais dû avoir. Mais qui m’aurait tellement ennuyé que j’en serais probablement mort… Donc c’est ironique, bien sûr. J’avais ce titre depuis très longtemps. Quand j’enregistrais mon album avec Bill Pritchard, je lui en avais parlé, et il m’avait dit « Music ruined my life, excellent, I want to read it » ! Je viens de lui envoyer avec une dédicace du genre : « Il ne m’a fallu que trente ans pour l’écrire, merci d’avoir été patient ! »

Votre œuvre contient plus d’essais et de biographies que de fiction, romans et/ou nouvelles. Comment vous est venu le désir de ce recueil aujourd’hui ?

Je suis assez lent dans toutes mes réalisations, mais je finis par atteindre mes buts… Dans ma jeunesse, je n’avais aucune ambition matérielle (devenir riche, avoir une belle maison, etc.) mais j’avais plusieurs rêves, notamment, dans le désordre : faire un disque, écrire dans Rock & Folk, publier un livre personnel… J’y ai mis le temps, en raison de mon erreur d’aiguillage professionnelle du début, et aussi à cause d’un certain talent pour la procrastination, mais je les ai tous réalisés. Le plus dur, c’est après, comme dirait Gilbert Bécaud : Et maintenant, que vais-je faire ?

Votre enfance et votre adolescence se sont déroulées dans le XVIe arrondissement avec des parents communistes. Ce n’est pas courant. Parlez-nous de votre environnement familial…

Ce que je raconte dans le livre est très proche de la réalité : j’ai grandi à Créteil, puis à Boulogne-Billancourt, qui étaient à l’époque encore des banlieues populaires. Mes parents étaient de gauche – ils ont glissé du communisme vers le socialisme, comme beaucoup, en raison de la répression du Printemps de Prague. Et juste après, ils ont hérité d’un appartement dans le seizième, où j’ai passé toute mon adolescence, au milieu de grands bourgeois – mais aussi de fils de concierges espagnoles et portugaises, comme dans ce film avec Carmen Maura, Les Femmes du sixième étage… C’était comme d’être surclassé dans un avion. Ça m’a appris à faire illusion. Ça me sert toujours.

Vous rappelez à juste titre que les catholiques chantaient les chansons des communistes ; vous expliquez que ces deux pôles s’attiraient. Pouvez-vous revenir là-dessus ?

Il me semble que dans les années 1970, les cathos aussi bien que les cocos étaient sur la pente savonneuse, ils ne dirigeaient plus les consciences comme ça avait été le cas après-guerre. Donc cette fameuse opposition à la Don Camillo-Peppone n’avait plus vraiment cours. Ils devenaient marginaux. Mai-68 les avait tués, pour des raisons différentes. Et puis c’était la mode des prêtres-ouvriers, des hippies, des messes rock. Je pensais comme beaucoup que les chrétiens, s’ils appliquaient réellement la parole des évangiles, auraient tous dû être de gauche. Ça a failli être le cas, à un moment. J’ai grandi là-dedans. C’est pour ça que j’adore Nanni Moretti, par exemple.

« Georges » est un très beau texte. Vous racontez que celui-ci fut un peu votre mentor, votre initiateur. Qui était ce cousin par alliance et qu’est-il devenu ?

Je l’ai perdu de vue très vite. Je ne suis pas très famille. Ni travail, comme je l’ai déjà dit. Ni patrie !

Autre maître : votre professeur de musique, M. Cousté ; qui était-il ?

On dit un peu partout beaucoup de mal des réseaux sociaux, mais tout le monde les utilise, pour le meilleur et pour le pire. Je n’en garde que le meilleur, notamment cette possibilité hallucinante, qui était encore de la science-fiction il y a trente ans, de retrouver des gens avec lesquels on avait totalement perdu le contact. J’ai ainsi renoué à distance avec ce professeur de musique, que j’ai côtoyé de la sixième à la terminale, et qui a changé ma vie, au sens propre. Je lui ai envoyé le livre et, récompense suprême, il en a annoncé la publication sur sa page Facebook, en mentionnant, très discrètement, qu’il y apparaissait… Si ce livre n’avait servi qu’à ça, je serais déjà comblé.

Autre magnifique récit, « Confusion », très chaud… Autobiographique, partiellement ou pas du tout ?

C’est le premier texte que j’ai écrit. Il me fallait un déclencheur, ça a été le Prix de la nouvelle érotique, organisé par Au Diable Vauvert, maison d’édition pour laquelle j’avais traduit quelques livres. Sa fondatrice, Marion Mazauric, me poussait à y participer. C’était amusant, il y avait une double contrainte : écrire une nouvelle érotique en une nuit, entre minuit et sept heures du matin, sur un thème dévoilé juste avant minuit, avec un dernier mot imposé. Je me suis pris au jeu et j’ai jeté toutes mes forces dans la bataille, pensant que je n’écrirais peut-être jamais rien d’autre. Elle contient une part d’autobiographie et une part de fantasme, mais j’y suis allé à fond. J’ai même failli gagner. Il semble que je sois arrivé deuxième, à mon grand dam, puisque le vainqueur remportait 3000 euros et le suivant rien du tout. D’où mon surnom de « Poulidor de l’érotisme ».

Votre livre semble nostalgique des seventies et des eighties. Vous n’aimez pas la cancel culture ; que pensez-vous de notre époque ?

Je me méfie du mot « nostalgie », parfois employé à tort et à travers. S’il signifie un regret du passé, et cette fameuse impression que « tout était mieux avant », alors je ne suis pas nostalgique. Les jeunes réacs d’aujourd’hui se font une impression fausse des années 1960 et 70, voire même 80… Tout n’était pas rose, loin de là. Pour les sixties, par exemple, on pense explosion de couleurs, Swingin’ London et Haight-Ashbury. Mais ça concernait très peu de monde, et très loin ! La réalité de la France de ces années-là, c’était la grisaille généralisée, la télé en noir et blanc surveillée par un ministère de l’Information, la répression morale, sexuelle, la bien-pensance, l’ordre bourgeois, etc. Pour être nostalgique des années Pompidou, il faut ne pas les avoir connues ! Ça ne rigolait pas du tout.

Autre récit très fort et très émouvant, « The Entertainer ». Qui était Olivier Lancelot ?

Comme je le raconte, c’était un de mes seuls copains de Supélec, un drop out comme moi, devenu pianiste de bar ! Je ne l’avais pas revu depuis des décennies. J’ai vécu tellement de vies différentes, tellement déménagé, changé de métier, connu tellement de gens que j’ai ensuite perdu de vue, que j’ai parfois l’impression que mon passé est un film que je regarde comme un spectateur incrédule. C’est probablement pour ça que j’aime en faire de la fiction. J’ai vécu ces événements, j’ai connu ces personnes, mais aujourd’hui, c’est comme si je me regardais moi aussi de loin, comme si j’étais moi-même un personnage de ces fictions.

Que représente pour vous Robert Wyatt ?

C’est un de mes musiciens et chanteurs préférés. Il y a un culte autour de lui, justifié. Comme une société secrète des adorateurs de Robert Wyatt. Partout dans le monde, à quelques signes de reconnaissance, je rencontre des adeptes de la secte, et nous devenons amis. Cela suffit à nous rapprocher. Je cite Jean-Louis Murat et Pascal Comelade, mais il y en a bien d’autres. J’ai eu la chance de rencontrer Wyatt, de l’interviewer, ou plutôt de discuter avec lui, pour Rock & Folk. Ce pseudo-métier de journaliste musical me sert surtout à ça. C’est très mal payé, très peu lu, quasiment obsolète. Je m’en fous. J’ai rencontré la plupart de mes héros. Je suis content.

Pouvez-vous nous parler de votre expérience à Radio France ? Vous balancez non sans audace.

Tout est dit dans ce texte, La musique a gâché ma vie, qui donne son nom au recueil. C’est probablement l’un des plus importants, car il traite de ce sujet aujourd’hui passé de mode, mais qui me passionne : le refus du travail. Et de tout ce qui va avec : le tout-économie, la publicité, la consommation, la croissance, la bêtise, la laideur, etc. Je suis intarissable sur le sujet. À part ça, Radio France est une merveille. Un chef-d’œuvre en péril, pour citer une émission de télévision de mon enfance. L’arrivée de la publicité sur France Inter m’a tué. Le jour où Le jeu des mille francs (je ne suis pas encore passé aux euros) s’arrêtera, ça sera la fin des haricots.

Tout votre recueil témoigne d’une manière d’écartèlement entre votre carrière de journaliste et de musicien. Avez-vous des regrets par rapport à votre carrière de musicien et d’auteur-compositeur ?

Ce n’est pas un écartèlement. J’ai même continué les deux de front pendant un certain temps. Il n’y a pas non plus de regret. J’ai fait ce que je voulais. Je pense que j’y reviendrai par écrit dans un futur plus ou moins proche.

Quels sont vos projets tant littéraires que musicaux ?

En musique, je suis au point mort depuis une éternité. Je suis bien placé pour savoir que tout le monde fait de la musique. Tout le monde enregistre, fait des disques (qui ne sont plus vraiment des disques) et tout le monde me les envoie ! Je n’en peux plus. C’est probablement pour ça que j’ai tout arrêté. En ce qui concerne les livres, j’ai une dizaine de projets en chantier… Mais vu que l’édition va mal, et que ce n’est pas près de s’améliorer, c’est environ ce qu’il faut pour qu’il y en ait au moins un qui aboutisse. Disons que je vais ralentir les commandes (essais, biographies, etc.) et essayer de donner une suite à ce recueil. Rendez-vous dans trente ans !

La musique a gâché ma vie, Stan Cuesta, Antidata, 2024. 144 pages

La musique a gâché ma vie

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Il a publié une vingtaine de livres dont "Des Petits bals sans importance, HLM (Prix Populiste 2000) et Tendre Rock chez Mille et Une Nuits. Ses deux derniers livres sont : Au Fil de Creil (Castor astral) et Les matins translucides (Ecriture). Journaliste au Courrier Picard et critique à Service littéraire, il vit et écrit à Amiens, en Picardie. En 2018, il est récompensé du prix des Hussards pour "Le Chemin des fugues".

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