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Flacons et déraison

Came versus Picrate


Flacons et déraison
© D.R.

Dry January. Quand les débats sur l’addiction assimilent le vin aux drogues dures, c’est toute une culture française qui se voit remise en question par un puritanisme croissant


Ces temps-ci, les télévisions et radios ne sont pas avares de débats sur le thème de l’addiction. J’ai assisté à quatre de ceux-là en seulement quelques jours (sur BFM, RTL, France 2 et Slate). Chaque fois, après avoir ciblé la drogue proprement dite, la mise en accusation dérive sur l’alcool, le vin en particulier, qui, au prix d’un amalgame assez surprenant, se trouve de ce fait placé sur le même plan que le haschich, la coke ou l’héroïne. Curieuse association, en réalité.

Bien sûr, il n’est nullement question ici de nier les ravages que l’abus répété d’alcool peut générer. Il s’agit seulement de relever quelques fortes différences malheureusement passées sous silence dans les débats que j’ai suivis. Première différence, l’addiction aux drogues repose sur un délit, la circulation, le commerce et la consommation de ces substances étant illégaux. Interdit juridique qui ne frappe pas – du moins pas encore – le beaujolais ou le bas armagnac. Deuxième distinction, et de taille, l’argent mis dans la dose de came alimente un circuit qui n’a absolument rien à voir avec la paisible, la débonnaire filière vinicole française.Les éventuels différends entre vignerons d’Alsace ou d’ailleurs se règlent rarement, en effet, à la kalachnikov, et les contrats passés portent davantage, à ma connaissance, sur le volume d’hectos que sur la tête du concurrent.

Enfin, et peut-être surtout, l’amalgame évoqué évacue volontairement la puissante empreinte culturelle, civilisationnelle que portent chez nous le vin et ses dérivés. « Le vin est senti par la nation française comme un bien qui lui est propre, écrit Roland Barthes lui-même dans Mythologies. C’est une boisson-totem. » Et donc à appréhender comme telle. L’assimiler sans nuances à des saloperies d’importation criminelle revient donc à s’en prendre à une part non négligeable de notre culture. Mais peut-être bien est-ce là l’arrière-pensée de ces puritains de plateau si enclins à fourrer leur nez dans nos flacons ?

Janvier 2025 - #130

Article extrait du Magazine Causeur




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Ex-prof de philo, auteur, conférencier, chroniqueur. Dernière parution : « Moi, papesse Jeanne », éditions Scriptus Malvas

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