Un féminisme sensuel : voilà ce que propose avec intelligence Pascale Kramer dans Les indulgences, son audacieux et délicat roman, publié chez Flammarion.
Clémence, 13 ans, est follement amoureuse de Vincent, son oncle, commissaire-priseur et homme à femmes. Il n’y prête guère attention ; il résiste. Mais cinq ans plus tard, elle devient sa maîtresse au grand dam d’une bonne partie de la famille. Voilà la situation qu’analyse Pascale Kramer, habile et talentueuse romancière, dans son si délicat roman, Les indulgences. Elle analyse, oui, sans jamais juger ; ça devient rare. En ces époques de radicalisation de tous ordres, plus d’une eût pu faire de Vincent un monstre, un velu moyenâgeux, un mâle pervers et dominant, un gorille incestueux. Elle s’y refuse ; Pascale Kramer, n’épargne pas non plus le séducteur mais elle nuance ; ça fait un bien fou quand, aujourd’hui, le simple fait de dire sur les réseaux sociaux qu’avant de condamner Depardieu, il faudrait que la justice passe, vous vaut des tombereaux d’injures et menaces diverses. Tristes temps !
L’intelligence de Pompidou face à l’affaire Gabrielle Russier
Pascale Kramer développe la même intelligence que Georges Pompidou quand celui-ci, au lendemain du suicide de Gabrielle Russier, cita de magnifiques vers d’Eluard, laissant entendre qu’il ne se sentait pas l’âme d’un juge devant une tragique histoire de passion entre un élève mineur et son professeur de français, largement majeure et si séduisante.
Mais ce roman n’est pas qu’analyses et réflexions ; il est aussi et surtout finement écrit, construit avec rigueur et vigueur ; jamais on ne s’ennuie dans ce texte qui alterne poésie pure et audace crue. Pascale Kramer nous fait fantasmer quand elle décrit Karine « et ses chairs rousses » ; elle nous épate quand elle écrit : « Au fond du tiroir laissé ouvert s’effritaient un petit sac de lavande et les débris d’un papillon de nuit sec comme de la cendre. » (Comme c’est bien vu !) Elle nous fait penser à Albertine Sarrazin ou à Anaïs Nin quand elle se permet : « Alors elle le laissa presser son ventre contre le sien et réveiller en elle ce soudain et mystérieux besoin d’être vandalisée », ou encore « C’est un soir en rentrant à la maison à vélo qu’elle sentit une chaleur gluante inonder soudain son entrejambe. »
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Pascale Kramer écrit comme les romancières d’antan, les Colette, les George Sand, les Nin et Sarrazin (encore et toujours) ; elle a la liberté de Bardot époque Vailland et Vadim ; elle a le féminisme doux et sensuel des Badinter et des Agacinski. Loin, si loin, des ayatollahs en jupons qui vomissent quand une petite fille s’habille en rose ou qu’elle n’a pas envie de jouer aux soldats de plomb.
Les indulgences de Pascale Kramer font un bien fou.
Pascale Kramer, Les indulgences (Flammarion, 2024).