La qualification des faits apparaît, pour les parties civiles, comme une indéniable victoire juridique. Toutefois, au regard d’actes mettant en danger de la société tout entière, les peines prononcées constituent une défaite politique pour la République. Tribune de Didier Lemaire, philosophe et Secrétaire général de « Défense des serviteurs de la République ».
Vendredi 20 décembre 2024, la cour d’assises spéciale de Paris a rendu un verdict qui va au-delà des réquisitions du parquet. La qualification des faits de « association de malfaiteurs terroriste » a été retenue pour Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui. Même si ces derniers n’ont pas appelé explicitement au meurtre, la cour retient « qu’ils avaient préparé les conditions d’un passage à l’acte terroriste ». Il est donc reconnu qu’insuffler la haine et cibler une personne suffisent pour prendre part au crime.
La charge de « complicité d’assassinat terroriste » a été prononcée pour les deux amis du tueur, ceux qui l’ont accompagné dans son raid, Naïm Boudaoud et Azim Epsirkhanov, « Ils ont préparé les conditions d’un attentat terroriste. Ils savaient que les armes recherchées allaient servir à atteindre l’intégrité physique d’un tiers ». Et même s’il n’est pas démontré qu’ils étaient avisés de l’intention d’Abdoullakh Anzorov de donner la mort à Samuel Paty, « ils avaient conscience de sa radicalité ».
Parmi les quatre autres accusés, qui ont entretenu des relations avec l’assassin, deux ont été reconnus « coupables d’association de malfaiteurs terroriste », Ismaïl Gamaev et Louqmane Ingar, un pour « apologie de terrorisme », Yusuf Cinar, et une autre prévenue, Priscilla Mangel, pour « provocation directe au terrorisme ». Tous ont été reconnus coupables d’avoir, à un degré ou à un autre, contribué à l’assassinat de Samuel Paty. On pourrait, en ce sens, considérer que justice est faite.
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Toutefois, le prononcé des peines paraît bien faible au regard des maximums et du contexte, cet assassinat ayant ébranlé profondément et durablement la sécurité et la liberté dans notre pays.
En effet, les peines encourues pour complicité d’assassinat terroriste étaient de 30 ans de réclusion criminelle. Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui ont été condamné à 13 et à 15 ans de réclusion. Naïm Boudaoud et Azim Epsirkhanov ont, quant à eux, écopé de 16 ans. Les peines encourues pour association de malfaiteurs terroriste étaient de 30 ans de réclusion. Ismaël Gamaev et Louqmane Ingar ont été condamnés à 5 ans d’emprisonnement, dont 30 mois avec sursis, et à trois ans de prison, dont deux ans avec sursis. Yusuf Cinar encourait pour apologie du terrorisme une peine de 7 ans de réclusion et 75 000€ d’amende. Il a été condamné à 3 ans de prison dont deux avec sursis probatoire. Pour provocation au terrorisme, aggravée par l’utilisation d’un service de communication en ligne, Priscilla Mangel, encourait 7 ans de réclusion criminelle et 100 000€ d’amende. Elle comparaissait libre et demeure libre avec 3 ans de prison avec sursis probatoire.
La cour n’a pas voulu prononcer les peines théoriques maximales, réduisant la plupart de moitié ou les conditionnant à du sursis. Pourquoi une telle clémence alors qu’elle admet que cet assassinat relève d’une « barbarie absolue » et porte « atteinte irrémédiable aux valeurs de la République et à la laïcité, au sanctuaire de l’école, causant un émoi considérable dans le pays et, plus particulièrement, au sein du corps enseignant, et un traumatisme définitif et durable notamment pour son fils de 5 ans » ? La cour a-t-elle réellement pris, comme elle l’affirme, la mesure de la gravité des faits ? On peut se demander si la faiblesse de ces condamnations ne traduit pas une forme de désaveu.
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Reste une question qui engage notre avenir politique. C’est la question que pose, inexorablement, Mickaëlle, la sœur de Samuel Paty : la question de la responsabilité d’institutions qui ont abandonné le professeur à son sort, le ministère de l’Éducation nationale et celui de l’Intérieur. Telle Antigone, elle s’avance seule face au pouvoir et refuse que son frère n’ait pas une sépulture digne de lui, la sépulture de la vérité. « Il aurait fallu faire quelque chose de sa mort », regrette-elle. Face au mutisme des ministres qui étaient en poste au moment des faits, il aurait fallu, en effet, reconnaître les défaillances de l’État et, au lieu de renoncer à défendre les fondements de notre société et persister dans le mensonge, mettre fin à l’inertie politique de notre pays. Au-delà de la décapitation du professeur, ce crime s’attaquait, conformément au projet totalitaire et génocidaire de l’islamisme, à l’école et, à travers elle, à la République et à la nation tout entière. Quelle réponse avons-nous apportée à cette volonté de nous détruire ? La charte de la laïcité ? L’interdiction de l’abaya ? Est-ce une plaisanterie ?
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