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Pédagogisme: Philippe Meirieu assure qu’il n’est pour rien dans l’échec de l’Éducation nationale

En revanche, l’extrême droite…


Pédagogisme: Philippe Meirieu assure qu’il n’est pour rien dans l’échec de l’Éducation nationale
Le pédagogue Philippe Meirieux en 2007 © IBO/SIPA

L’enseignement centré exclusivement sur le savoir est réduit à n’être efficace que par accident et fort superficiellement. Il ne s’attache pas à l’essentiel : la construction de la connaissance dans et par l’apprenant. 

Philippe Meirieu, L’école, mode d’emploi.

En 2011, le Club de l’horloge attribuait à Philippe Meirieu, le pape des prétendues sciences de l’éducation, le prix Lyssenko pour « sa contribution majeure à la ruine de l’enseignement ». Après avoir transformé le professeur en « manager de l’aventure quotidienne de l’apprendre » et relégué les savoirs au fond de la classe, M. Meirieu décida dans les années 1980 de faire de cette dernière un lieu « ouvert » dans lequel « l’apprenant » allait devoir construire son propre savoir et le professeur en rabattre un peu. Instigateur des funestes Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (IUFM) inspirés des schools of education américaines et transformés en 2013 en les non moins désastreuses Écoles Supérieures du Professorat et de l’Éducation (ESPE) puis, en 2019, en les tout aussi catastrophiques Instituts Nationaux Supérieurs du Professorat et de l’Éducation (INSPE), M. Meirieu – bourdieusien, jospinien, pédagogiste et intriguant – possédait tous les défauts requis pour mener l’Éducation nationale vers le gouffre où elle sombra corps et âme. La « génétique mitchourinienne » promue par Lyssenko étouffa la recherche biologique en URSS durant près de trente ans ; Philippe Meirieu a enseveli l’École sous des « sciences de l’éducation et de la pédagogie » qui, aujourd’hui encore, poursuivent leur œuvre d’insalubrité publique  – son prix était donc hautement mérité.

Un lecteur appliqué de Mona Chollet

Certains professeurs parmi les plus anciens espéraient ne plus entendre parler de lui. Las ! M. Meirieu vient de sortir un livre (dont nous reparlerons) et de signer dans Libération un article dans lequel il préconise de « cesser d’opposer autoritarisme et laxisme pour encourager le “Ose par toi-même” »1. Le didacticien estime en effet qu’un « vent de répression » souffle sur l’Éducation nationale où les velléités d’élever le niveau « se traduisent surtout pas des mesures de sélection et d’exclusion ». Il en va de même, selon lui, pour les « jeunes en galères » injustement menacés « d’enfermement » et pour les enfants martyrisés par leurs parents et renvoyés « dans leur chambre au moindre débordement ». Tout cela serait le résultat d’une « “révolution conservatrice” préférant systématiquement la répression à la prévention, la sanction au soin, l’exclusion des gêneurs à l’accompagnement des marginaux ». Les syndicats enseignants de gauche, le Syndicat de la magistrature et les dealers des cités applaudissent. 

Pour nous convaincre, Philippe Meirieu fait référence à celle que d’aucuns considèrent comme un des plus brillants esprits de notre temps, un phare intellectuel dans la nuit conservatrice, une boussole dans ces moments tourmentés où il est si facile de se perdre dans les méandres de la réaction – j’ai nommé Mona Chollet. Non seulement M. Meirieu est parvenu à lire le nouvel ouvrage de cette dame sans s’assoupir2, mais même il y a dégoté une idée, effrayante, et qui a nourri sa réflexion, celle du retour d’une éducation brutale et répressive, une « réhabilitation soft de la “pédagogie noire” » que Mme Chollet devine dans les actuels rapports de domination patriarcaux et parentaux, rien que ça. Il faut dire que cette idée, comme les deux autres de sa dernière brochure, est venue à l’esprit de cette journaliste dans des circonstances dramatiques, circonstances qu’elle décrit dans un entretien donné récemment à L’Humanité : « Alors que j’étais enfin libre, amoureuse, capable de vivre de mon écriture, en passe de réaliser mon rêve, une voix intérieure que je n’avais jamais entendue s’est mise à m’interdire le bonheur. Elle me dénigrait, me rabaissait, m’interdisait de profiter de cette situation, provoquant en moi un concentré chimiquement pur du sentiment d’illégitimité. Il fallait que j’analyse cet amas d’empêchements. » Ceci peut expliquer cela.

Belles contraintes

Si M. Meirieu reconnaît qu’une éducation sans aucune contrainte ne peut que nuire au développement de l’enfant, c’est en adoptant un point de vue strictement rousseauiste (le rousseauisme de Jean-Jacques, pas celui de Sandrine) : les enfants ne sont pas intrinsèquement mauvais mais ils vivent dans une « société inégalitaire ». Il faut par conséquent choisir les « belles contraintes » qui, tout en instaurant de modestes limites, permettront l’épanouissement des chérubins. Philippe Meirieu opte pour celles du « faire ensemble » (du football, une recette de cuisine ou un journal scolaire), seules à même de « préparer nos enfants à “faire ensemble société” ». Il recommande finalement de s’en remettre aux pratiques d’une « éducation populaire si maltraitée aujourd’hui ». L’éducation populaire à laquelle il est fait allusion est celle qui, née au début du XXe siècle et relancée après la Libération, reposait sur la création de ce que le techno-verbeux Philippe Meirieu appellera plus tard « la complémentarité éducative, cette complémentarité permettant le repérage des fonctions spécifiques de chaque éducateur et de la manière dont elles s’agencent pour ouvrir un espace à l’expression d’un sujet », à savoir, pour le dire plus simplement, des structures culturelles et sportives mises à disposition de la population et, plus particulièrement, des jeunes gens. L’idée était en soi estimable et connut quelques succès – la pratique étendue du sport et de la musique, les exigeantes maisons de la culture chères à Malraux, les ciné-clubs scolaires, par exemple – mais, pour perdurer et permettre aux enfants de se confronter à de véritables découvertes spirituelles, artistiques ou intellectuelles, encore eût-il fallu que l’École, maillon principal de cette Éducation populaire, ne sombrât pas dans les bourdieuseries et le pédagogisme, avec l’idée erronée que son objectif principal est de combler les inégalités sociales. L’égalitarisme ayant supplanté l’élitisme et la méritocratie ayant été abandonnée au profit de la démagogie, le déclin était inéluctable. Après quelques décennies d’abaissement institutionnalisé, le résultat est là, catastrophique et insurmontable. 

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En toute logique, après avoir commis ses méfaits et constaté l’ampleur du désastre, Philippe Meirieu aurait dû se faire oublier, se cacher, se retirer dans quelque monastère où il aurait pu se repentir de ses crimes. Il n’en est rien. Toute honte bue, ce calamiteux personnage resurgit sur le devant de la scène éditoriale : Éducation : rallumons les Lumières, tel est le titre de l’objet contondant avec lequel il compte estourbir ceux qui continuent de dénoncer son influence malsaine. Ces derniers sont d’ailleurs tous mis dans le même sac, celui de… l’extrême droite. L’argumentation, superficielle et obsessionnelle, tient en deux mots : il y aurait d’un côté les nostalgiques du Maréchal et les députés d’extrême droite prônant « un recours martial à l’autorité », et, de l’autre, les « humanistes », « celles et ceux qui sont convaincus que c’est la quête de la justice qui confère à une politique sa véritable légitimité ». Les premiers imposeraient « le paradigme du repli sur soi » en bafouant « la valeur, essentielle à toute démocratie, de l’ouverture à l’altérité », tandis que les seconds rêvent de voir leur pays « continuer à progresser vers plus d’émancipation et de solidarité ». Air connu. 

Le diable Blanquer et les gentils idéalistes

Selon M. Meirieu, « en matière d’éducation, tout s’est précipité avec l’arrivée de Jean-Michel Blanquer au ministère de l’Éducation nationale en 2017 ». En plus d’avoir remis en cause le pédagogisme, dénoncé l’égalitarisme et réhabilité le “par cœur”, le méchant ministre Blanquer aurait enfourché « nombre de chevaux de bataille des néoconservateurs » : le combat contre l’écriture inclusive et le wokismeHeureusement, écrit M. Meirieu, Pap Ndiaye – cet audacieux ministre qui aura eu le courage de « dire tout haut d’une chaîne de télévision (devinez laquelle) qu’elle est d’extrême droite » – s’attaquera au contraire « aux marqueurs éducatifs de l’extrême droite », en particulier la laïcité « instrumentalisée par les boutefeux de l’exclusion ethnique ». Mais, se désole le chantre de la pédagogie gauchisante, cédant « aux pressions de l’extrême droite », le président de la République remerciera Pap Ndiaye et installera à la tête du ministère le redoutable Gabriel Attal, dont la première mesure, l’interdiction du port de l’abaya à l’école, sera la preuve de sa soumission à… l’extrême droite. Les heures sombres, la bête immonde, des groupuscules maréchalistes, la notion de préférence nationale renouant avec « les perspectives les plus noires des années 1930 », la montée de l’extrême droite en France et en Europe, la conférence d’Adorno “Éduquer après Auschwitz”, des « soubresauts réactionnaires », etc. sont évoqués pêle-mêle au fil des pages, histoire de marteler la Vérité sur l’École selon Saint Meirieu : la gauche a échoué mais ce n’est pas de sa faute – la droite et l’extrême droite ont gagné la guerre culturelle « contre tous ceux qui comme [lui], parce qu’ils croient en l’éducabilité des humains, sont définitivement considérés comme de dangereux idéalistes ». Il fallait oser ce tour de passe-passe, ce trucage de la réalité – preuve supplémentaire que l’idéologie règne en maîtresse dans le cerveau de M. Meirieu, le concepteur, faut-il rappeler, de la « pédagogie des situations-problèmes », un techno-machin grâce auquel « l’éducateur, conscient du fait qu’expliquer une chose à autrui est le meilleur moyen de le trouver lui-même, se donne pour tâche d’inventer des situations qui lui imposent de s’approprier les solutions requises ». Tout ceci est bien énigmatique. Au moins aussi énigmatique que le mot « énigme » lorsqu’il est défini par Philippe Meirieu : « Savoir entrevu qui suscite le désir de son dévoilement. L’énigme naît ainsi de ce que l’apprenant sait déjà et dont le formateur sait montrer le caractère partiel, ambigu, voire mystérieux. Le désir de savoir peut ainsi émerger face à une situation-problème si celle-ci est construite à partir d’une évaluation diagnostique des compétences et capacités d’un sujet. Le déjà-là problématisé offre la possibilité de son dépassement. »3 À l’époque (1988), de nombreux professeurs rirent aux éclats en lisant cette soupe indigeste. Mais l’idéologie a fait son œuvre. Fini de rire : l’ouvrage distillant ce genre de marmelade est aujourd’hui régulièrement réédité et mis à disposition des futurs professeurs désireux ou obligés de se mettre au diapason des méthodes pédagogiques les plus modernes, c’est-à-dire les plus néfastes.    

Les théoriciens libertaires de la rue de Grenelle ont toujours eu en détestation l’incitation au travail, l’assiduité, la recherche de l’excellence – seuls moyens d’amener n’importe quel enfant, issu de n’importe quel milieu, à se dépasser pour aller au plus haut de ses capacités –pour leur préférer l’absence d’effort, la facilité, l’égalité vers le plus nul et la discrimination par le bas : « À la source de ce mouvement (l’égalitarisme à marche forcée sous la férule du pédagogisme) réside une haine de l’élitisme. Les pédagogues sont, en très grande majorité, des gens qui ont échoué aux divers concours qui jalonnent la carrière, de l’entrée de l’ENS à l’agrégation : Philippe Meirieu ne s’en est jamais bien remis », explique Jean-Paul Brighelli dans son avant-dernier livre4. Depuis quarante ans, à tous les échelons du système éducatif, ont été promus des individus de moins en moins qualifiés et de plus en plus serviles – parfaits, donc, pour enseigner ou faire enseigner l’ignorance (Jean-Claude Michéa) dans une structure étatique prévue pour une « éducation de masse qui se promettait de démocratiser la culture, jadis réservée aux classes privilégiées, mais qui a fini par abrutir les privilégiés eux-mêmes » (Christopher Lasch). 

Les enseignants français devenus des managers du “faire société”

L’idéologie pédagogiste a décapité la transmission des savoirs. La morale gauchisante a supplanté la culture – et la droite elle-même s’est agenouillée devant elle. L’écologisme et le wokisme s’incrustent sournoisement dans les manuels scolaires de presque toutes les disciplines. Dans la garderie sociale qu’est devenue l’école, le professeur est de plus en plus souvent sommé d’être une sorte de « gestionnaire de l’apprendre », un animateur, un manager du « faire société », un coach du « vivre ensemble », un conseiller social, sociétal et inclusif, un tout ce qu’on veut du moment qu’il enseigne le moins possible. Logiquement, les universités déclinent à leur tour. Le relativisme culturel le plus niais règne dans les amphithéâtres. L’écriture inclusive, des théories relevant de la superstition et le blablatage militant d’obscurs mouvements censés représenter les « minorités » y ont désormais droit de cité. Les départements de sciences sociales, humaines ou politiques, ces nouveaux temples de l’ignorance et de la bêtise, sont aujourd’hui les meilleurs agents à la fois du gauchisme libéral-libertaire, de l’islamo-gauchisme et de l’impérialisme culturel américain. Dans ces antres du wokisme, sont formés les brillants sujets que s’arracheront demain les médias, divers organismes soi-disant indépendants, les administrations, les universités elles-mêmes. Immanquablement, certains finiront dans les différents services bureaucratiques de l’Éducation nationale. Il y aura parmi eux de nouveaux experts, de nouveaux spécialistes en sciences de l’éducation imprégnés de pédagogisme. Sur les décombres laissés par leur mentor, ils achèveront son œuvre de destruction avec la bénédiction des habiles bénéficiaires d’un système profitant à une faible proportion de la population – celle qui pourra par exemple mettre ses enfants dans les derniers établissements privés dispensant de véritables connaissances puis les envoyer poursuivre leurs études à l’étranger. Après l’École, le déclin de la France se mesurera aussi – et en vérité se mesure d’ores et déjà – à l’aune de celui de ses universités. 


  1. https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/education-entre-laxisme-et-repression-une-autre-voie-existe-par-philippe-meirieu-20241202_WKLQ7UPZNBFUXPBJ44DHHGHZ5M/ ↩︎
  2. Mona Chollet, Résister à la culpabilisation : sur quelques empêchements d’exister, 2024, Éditions Zones.    ↩︎
  3. Philippe Meirieu, Apprendre… oui, mais comment. ESF Éditeur. Il est à noter que Philippe Meirieu a beaucoup, beaucoup, beaucoup écrit sur l’École – ce qui lui a été d’une grande aide dans les (rares) moments où il lui a fallu se justifier sur son influence, qu’on peut qualifier de préjudiciable, dans l’EN. Jean-Claude Riocreux, agrégé de Lettres classiques et ancien inspecteur d’académie, souligne ce point dans l’analyse qu’il fait de l’ensemble de son œuvre à l’occasion de l’attribution de son prix Lyssenko : « Dans la masse des écrits (de Philippe Meirieu), on enregistre des évolutions, ce qui est normal, des nuances parfois importantes d’un ouvrage à l’autre, mais aussi des contradictions. Tous ceux qui ont lu cette œuvre ont souligné ce fait. J’en suis moi-même désormais convaincu : à toute critique sur tel ou tel point, M. Meirieu sera en mesure de nous opposer une citation faisant diversion, contradiction ou contre-proposition. D’autre part, M. Meirieu, comme la plupart des réformateurs de l’école, semble marquer une préférence pour ce qui est confus et contourné. »  ↩︎
  4. Jean-Paul Brighelli, La fabrique du crétin. Vers l’apocalypse scolaire, 2022, Éditions de l’Archipel.       ↩︎


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Amateur de livres et de musique. Dernier ouvrage paru : Les Gobeurs ne se reposent jamais (éditions Ovadia, avril 2022).

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