Propos recueillis par Jacques de Guillebon
Jacques de Guillebon : Le personnage principal de votre film L’Apôtre est un musulman qui se convertit au christianisme. Eût-ce pu être quelqu’un de n’importe quelle autre religion que l’islam, voire un athée ?
Cheyenne Carron : Non ! Mon film a été fait en hommage à la sœur du prêtre du village d’où je viens. Cette femme a été étranglée par un musulman, et le prêtre, son frère, a souhaité vivre auprès de la famille du tueur pour, disait-il, « les aider à vivre ». Alors, il était naturel que le héro de l’histoire soit un musulman qui, touché par la beauté de ce geste de charité, décide de devenir catholique.
Votre film a été accueilli par une presse élogieuse, mais il est diffusé dans une seule salle à Paris. Est-ce à cause de son sujet – un musulman qui se convertit au catholicisme – ou de votre place marginale dans le cinéma français ?
Je n’ai pas trouvé de distributeur pour ce film car le sujet faisait peur. Alors, avec mon film sous le bras, je suis allée frapper à la porte d’un cinéma parisien qui soutient mon travail depuis toujours, Le Lincoln, qui l’a accepté.
Le choix d’un tel sujet est-il celui d’une jeune convertie qui vient de se faire baptiser ou l’expression d’une foi profonde ?
Je ne suis pas une « jeune convertie ». J’ai toujours été catholique. Abandonnée à l’âge de 3 mois, j’ai été placée dans une sublime et modeste famille catholique au sein de laquelle j’ai grandi en allant à la messe tous les dimanches. J’ai été une enfant de la DDASS, qui a morflé, et Dieu était là pour moi. J’ai reçu l’amour chrétien de ma mère. La foi, je l’ai eue bien avant mon baptême, et c’est grâce à ma foi que je m’en suis sortie dans la vie. Si je me suis fait baptiser tard c’est parce que les familles d’accueil n’ont pas le droit de faire baptiser les enfants qui leur sont confiés par la DDASS.
J’ai été de nombreuses années clandestines de Dieu, et un jour, j’ai décidé que je devais rentrer « dans le rang », et recevoir le baptême, avec toutes les obligations que ça exige de moi vis à vis de Dieu.
Du cinéma catholique, on retient souvent les figures de prêtres, celle du curé de campagne de l’adaptation de Bernanos par Bresson, Léon Morin, ou dernièrement celui de La mante religieuse de Nathalie Saracco. Le prêtre est encore central chez vous : ce personnage mystérieux est-il nécessaire à l’art catholique ?
Vous oubliez un film essentiel : Sous le Soleil de Satan de Maurice Pialat (Palme d’Or 1987), avec ce personnage de l’Abbé Donissan (Gérard Depardieu). Dans L’Apôtre, le prêtre est un saint, toute l’histoire arrive grâce à lui. Son geste de charité, va être le point de départ de la conversion d’Akim. Par ailleurs, je ne suis pas sûre d’avoir parfaitement rendu hommage au prêtre de mon village qui d’ailleurs est mort il y a deux semaines. C’est difficile par la fiction, d’être à la hauteur de la vérité de la vie.
Votre foi se nourrit-elle particulièrement d’œuvres artistiques chrétiennes : littérature, cinéma, peinture ?
Ma foi se nourrit de sa source, le Christ. Et le chemin de cette foi m’a été donné par l’amour d’une mère chrétienne. Ensuite, la littérature, la peinture, la musique, le cinéma chrétiens sont des moyens d’entretenir ma flamme.
Croyez-vous qu’une foi manifeste comme la vôtre puisse vous enfermer devant un monde sécularisé comme le nôtre ?
Ça m’est égal.
Dans votre film précédent, La Fille publique (2013), comme dans l’Apôtre, les éléments autobiographiques sont évidents. Serez-vous encore, d’une façon ou d’une autre, le sujet de votre prochain film ?
La Fille publique était, effectivement, le récit de ma vie à l’assistance publique mais L’Apôtre est, comme je l’ai dit, un hommage à un prêtre que j’ai connu, et non pas le récit de ma propre conversion. Mon prochain film traitera, lui aussi, d’un sujet qui n’est pas autobiographique : le racisme anti-blanc, car ce sujet n’a jamais été traité au cinéma. Il y a beaucoup de très beaux films faits sur le racisme contre les noirs, mais aucun sur celui pratiqué contre les blancs. Alors je vais corriger cela.
Je viens d’une famille qui a adopté des enfants. J’ai la peau marron clair et un petit frère indien, Maya, noir de peau. J’ai également un frère et une sœur blonds aux yeux bleus. Le racisme est très loin de moi, alors je n’ai aucun complexe ni culpabilité à m’attaquer à ce sujet qui pour beaucoup de gens est tabou.
Il n’est pas seulement difficile de diffuser mais aussi de produire ce genre de films : vous avez dû, comme Nathalie Saracco pour La mante religieuse, recourir à un montage financier ingénieux hors du système classique du cinéma. Croyez-vous qu’il y ait une méfiance, voire une hostilité, en France vis-à-vis de ce type de cinéma d’inspiration chrétienne ?
Nathalie Saracco a su lever beaucoup plus de fonds que moi ! D’ailleurs, je n’ai pas encore vu son film. Effectivement, il est difficile d’obtenir le soutien des institutions nationales pour un cinéma chrétien. Mais ce qui compte, c’est que ce cinéma existe, envers et contre tous.
L’Apôtre, un film de Cheyenne Carron.
*Photo : DR.
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