Après le vote de la mention de censure par l’Assemblée nationale hier soir, Michel Barnier présentera à Emmanuel Macron la démission de son gouvernement ce matin à 10 heures. L’irresponsabilité de la classe politique est dénoncée, alors que la France n’a pas voté son budget, et que nos partenaires européens regardent avec circonspection l’immaturité politique de ce qu’ils appelaient autrefois la « grande nation ». L’analyse politique de Céline Pina.
Le gouvernement Barnier n’aura duré que trois mois. Et sa fin aura été spectaculaire. À défaut d’être capable de proposer aux Français une catharsis préalable à un nouveau départ, l’hémicycle est en train de réhabiliter le théâtre de Guignol.
Le PS, hier parti de gouvernement, sombre avec les LFIstes
Cette censure marquerait-elle le retour du parlementarisme ? Si c’est le cas, il faut reconnaître que le parlementarisme ne fait pas envie: médiocrité des hommes, absence de vision, sens des responsabilités absent, pulsions érigées en normes de conduite. Et ce n’est pas seulement le cirque permanent de LFI qui sidère les Français, mais l’absence de toute hauteur de vue – y compris de la part de ceux qui devraient être des repères ou des vigies.
Était-il opportun de faire tomber le gouvernement maintenant, alors qu’il n’existe aucune solution pour mettre fin au blocage institutionnel que nous vivons? La réponse la plus rationnelle était « non », mais il arrive qu’un processus échappe à ses instigateurs. C’est toujours le cas quand la passion prend le dessus sur la raison.
Les Français pourraient rapidement regretter M. Barnier
Michel Barnier s’est révélé un très bon Premier ministre. D’abord et avant tout parce qu’il a redonné de la dignité et de la crédibilité à cette fonction. Son calme, son sang-froid, sa forme de détachement et sa combativité tranquille ont été reconnus par les Français comme des caractéristiques d’homme d’Etat. Un genre qui paraissait avoir été dissous dans le happening permanent et les montagnes russes gratuites qui paraissent être la marque de l’adulescent du 55 Rue du Faubourg Saint-Honoré qui refuse obstinément de ranger sa salle du trône… Les Français sont donc en train de lui préparer ses cartons.
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Car si Michel Barnier est tombé, ce n’est pas lui qui était visé. Il a pris la balle de la censure, mais il n’en était pas la cible. Celui dont une majorité des Français attend la chute est le président de la République. Triste destin politique où la seule manière de poser un acte attendu par la nation est la démission. Et on ne parle donc pas de celle du Premier ministre.
Bal des faux-derches
Dans ce bal des faux-culs, le PS a montré qu’il avait perdu jusqu’au sens de l’honneur, puisque d’honneur il n’a plus depuis qu’il trouve normal de s’allier avec un parti extrémiste qui prône l’antisémitisme et appelle « résistants », des terroristes. On n’attendait rien d’Olivier Faure, il est destiné à finir dans les poubelles de LFI, mais on aurait pu espérer que François Hollande ait quelque sens des responsabilités. Peine perdue, confit en aigreur, ce dernier a saisi l’occasion de se venger de l’humiliation que lui avait fait subir Emmanuel Macron en l’empêchant de se représenter en 2017. Entre l’intérêt général et le règlement de comptes, M. Hollande a choisi comme d’habitude de tirer la France vers le bas, ce qui ne le grandit pas. Un ancien président ne devrait pas agir comme ça, mais sans doute ne le comprendra-t-il jamais. Seuls quelques députés proches de Carole Delga ont refusé de voter la censure.
Marine amère
Marine Le Pen, elle, n’a pas supporté que le procès des assistants parlementaires du RN puisse potentiellement l’empêcher de se présenter à la prochaine présidentielle. Elle l’a d’autant plus mal vécu que les manipulations consistant à utiliser des assistants pour faire un travail politique plus large que strictement parlementaire est une donnée de base de la vie politique, et que les partis ont toujours tous eu leur méthode pour que l’Assemblée nationale, le Sénat ou le parlement européen servent de réservoir et financent partiellement l’armée de petites mains des partis… Mme Le Pen a pu légitimement avoir l’impression de tomber là où d’autres se sont gavés pendant des années, sans être inquiétés. D’autant qu’au plus haut niveau de l’État, notamment dans l’entourage du président, de Richard Ferrand à Alexis Kohler, l’existence d’affaires relevant de l’enrichissement personnel a été dénoncée (affaire des Mutuelles de Bretagne, affaire MSC) et qu’il a pu être constaté une absence de célérité et d’efficacité de la Justice inversement proportionnelle à l’énergie dépensée quand il s’agit des adversaires du pouvoir… L’affaire Fillon en est l’illustration la plus notable.
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Mais ce qui fait la noblesse de l’homme d’État, c’est de choisir l’intérêt général même quand, et surtout quand, il y a des enjeux personnels. Là est la grandeur du politique. Ce n’est pas le choix qu’a fait Marine Le Pen. Elle a donc parfaitement réussi sa stratégie de normalisation, elle agit exactement comme les autres leaders !
Jusqu’en 2027, quoi qu’il en coûte !
C’est donc reparti pour un tour de manège. Si le jeu des noms peut occuper quelques Français un temps, la situation délicate du pays, elle, n’est pas prête de s’améliorer. On ne voit pas comment le nouveau Premier ministre qui sera nommé pourra faire mieux que Michel Barnier puisqu’il n’aura pas plus de majorité que le Savoyard et encore moins de légitimité que lui. C’est au point que le principal atout d’un des noms qui revient ce matin sur toutes les lèvres comme chef du gouvernement putatif, François Bayrou, est mis en avant parce qu’il a donné son parrainage à Marine Le Pen, l’a soutenue dans l’affaire des attachés parlementaires et qu’il est un fervent défenseur de la proportionnelle, cette machine à rendre un pays ingouvernable… Bref, les principaux atouts de M. Bayrou sont sa compatibilité avec la patronne du RN. C’est dire son peu de forces propres.
La farce va donc continuer, seuls les ingrédients seront modifiés à la marge. Cette expérience aura néanmoins révélé deux hommes, Michel Barnier et Bruno Retailleau. Le ministre de l’Intérieur a notamment donné le sentiment que l’on pouvait agir sur les dossiers sécurité et immigration et sortir de l’impuissance qui caractérise le discours du centre et de la gauche.
Une seule question importante reste sur la table: la nomination d’un Premier ministre nous sortira-t-elle du blocage? Tout le monde sait que la réponse est non, et les citoyens attendent aujourd’hui de pouvoir tourner la page du macronisme. Ils risquent d’être déçus, car s’ils ont élu Jupiter, ils se retrouvent ce matin avec Arapède 1er, bien déterminé à ne pas lâcher son rocher…
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