Le droit du rire et de l’oubli


Le droit du rire et de l’oubli

hollande trierweiler merci

Autour de moi et ailleurs, les femmes qui commentent la vengeance écrite de Valérie Trierweiler se rejoignent sur un point : c’est une femme blessée. Avant même de formuler une critique de cette entreprise de basse trahison, il semble qu’elles comprennent d’instinct le lien de cause à effet qui donne à une amante quittée une « license to kill ».

Dans ces cas-là, il n’y a plus de proportion dans les ripostes ou de convention de Genève dans la guerre des sexes, il n’y a même plus ni Noire ni Blanche, ni Arabe ni Juive, ni riche ni pauvre dans la vague solidaire et compassionnelle qui emporte, avec la femme « blessée », toutes les autres.

De la mise à la porte d’un amant volage avant délestage de ses vêtements et sous-vêtement cinq étages plus bas au divorce fracassant qui laisse un « papa » plumé et grelottant au sommet d’une grue, l’infinie variété des revanches hystériques ou calculées bénéficie en milieu féminin d’une généreuse culture de l’excuse, et la charité n’est pas de mise pour ceux qui ne prennent pas Carmen au sérieux quand elle chante : « Si je t’aime prends garde à toi. »[access capability= »lire_inedits »]

Il importe peu alors que le père de famille attentif et responsable soit chassé, exclu, banni en même temps que son alter ego qui aimait les femmes ou que le président de la République, chef de l’État et des armées, morfle pour le couillon découcheur et lâcheur. En amour trahi ou fini, tout est permis. Une femme désaimée ne s’empêche pas, elle se lâche.

Voyons donc ce que Valérie nous dit, puisque nous avons la chance de vivre dans une démocratie éclairée comme un studio de télévision, à l’exact opposé de ces dictatures où les dirigeants surveillent le peuple : ici, le surveillant, c’est nous.

« Il est cynique et menteur. »

Tous ceux et toutes celles qui connaissent la musique savent avec Sacha Guitry que « le mensonge est encore ce qu’on a trouvé de mieux pour passer d’une femme à une autre sans avoir d’ennuis ». Ils n’accableront pas notre président pour sa stricte observance des lois naturelles dans sa pratique de l’adultère. Mais il y a plus grave, et le plus coupable n’est pas l’accusé. Valérie ne se contente pas de nous révéler que son ex est un homme comme les autres, elle dépasse des bornes que je n’aime pas voir franchies.

« Il parle des pauvres comme des sans-dents. »

Naturellement, je me moque comme François Hollande et comme vous des pauvres et des édentés, et je suis plutôt rassuré que notre chef sache, en privé, rire de tout, même avec n’importe qui. Le plus préoccupant n’est pas que la France d’en haut méprise celle d’en bas, qui se défend bien, mais que Valérie livre François en pâture au peuple en exposant des confessions, des confidences, et le plus secret, le plus intime de leurs échanges : leurs private jokes. En déballant du privé en place publique, l’ex-première dame  nous rejoue une « plaisanterie » à la Kundera où elle serait la délatrice et nous le tribunal populaire. Elle nous entraîne dans un monde transparent qui menace le droit des amants à se moquer du monde et où la méfiance pourrait bien un jour commander des cœurs boutonnés.

Quel couple ne jouit pas d’une complicité cimentée par un échange tendre et constant de blagues racistes ? Ou sexistes ? Ou les deux ? Comme celle de la blonde dans le RER.

Quelle union ne vibre pas d’un amour espiègle quand les amants s’offrent les mots d’humour les plus « phobes » en mode homo ? Ou islamo ? Ou les deux ? Comme celle des Gazaouis gays coincés dans un tunnel ?

Pendant des siècles la tradition française a voulu que ce qui ce faisait ou se disait au lit restât au lit. Cette tradition, battue en brèche par l’indiscrétion numérique sous toutes ses formes, pourrait définitivement disparaître à cause des mauvaises manières d’une mauvaise joueuse. Si ce mode de vengeance est permis, compris, légitimé, et peut-être imité, ce sera la fin du privilège des amants à faire de l’humour sans entraves. Si la suspicion entre dans les alcôves, le doute finira par compromettre le don de soi, dans l’amour comme dans l’étreinte. Si le principe de précaution fait son entrée en conjugalité, la connivence en sortira et, avec elle, les délices de l’association de médisants, la joie des comploteurs, la complicité des pactisés. Seul le règne de la confiance autorise un dialogue amoureux qui tisse l’union des cœurs, des esprits frères et des âmes sœurs. Si les confidences les plus profondes ou les plaisanteries les plus douteuses ne sont plus en sécurité, la vie des amants pourrait bien se réduire à des passages de sel dans un monde qui en serait privé.

Alors, on me dit que ces 200 pages de bas étages, menacent l’institution présidentielle, voire la République elle-même. Elles menacent bien plus que cela. Voici pourquoi l’affaire Trierweiler contre Hollande ne doit pas faire jurisprudence, même dans l’esprit vengeur des filles blessées, pour l’honneur des femmes et le bien de tous. Et puisque le livre a du succès, qu’il reste un épouvantail plutôt qu’un exemple et que la guerre des sexes reste, bien que sans lois, un commerce loyal.

 

Si Hollande avait lu Philip Roth…

François Hollande regrette sûrement de n’avoir pas suivi les conseils d’étudiants américains mâles donnés à un autre président dans La Tache de Philip Roth:

« Si Clinton l’avait enculée, elle aurait peut être fermé sa gueule. C’est pas l’homme qu’on raconte, Clinton. S’il l’avait retournée et enculée dans le bureau Ovale, on n’en serait pas là.

–          Mais il l’a jamais dominée, il a pas pris de risques.

–          Il faut bien voir que dès qu’il est entré à la Maison-Blanche, il a cessé de dominer. Il pouvait plus. Il dominait pas Willey non plus. C’est pour ça qu’il lui en a voulu. Une fois devenu président, il a perdu cette capacité de dominer les femmes qu’il avait dans l’Arkansas. Tant qu’il a été attorney général et gouverneur d’un petit Etat obscur, ça lui allait comme un gant.

–          (…)

–          Seulement quand on arrive à la Maison-Blanche, on peut plus dominer. Miss Willey se retourne contre vous. Il aurait dû s’assurer de sa loyauté en l’enculant. C’aurait dû être un pacte entre eux. Une chose qui les aurait liés. Seulement voilà, il n’y a pas eu de pacte. »

Philip Roth, La tache, Gallimard, traduit de l’anglais par Josée Kamoun, p.185.[/access]

*Photo: Jacques Brinon/AP/SIPA.AP21618263_000002

Octobre 2014 #17

Article extrait du Magazine Causeur



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Cyril Bennasar, anarcho-réactionnaire, est menuisier. Il est également écrivain. Son dernier livre est sorti en février 2021 : "L'arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, réponse à Rokhaya Diallo" aux Éditions Mordicus.

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