Jean-Christophe Rufin a soutenu la semaine dernière la candidature de Boualem Sansal à l’Académie française comme moyen symbolique de demander sa libération, mais l’initiative n’a pas abouti.
Causeur. Vous avez proposé à vos pairs de l’Académie française d’élire Boualem Sansal à un fauteuil vacant en utilisant une procédure exceptionnelle. Pourquoi ?
Jean-Christophe Rufin. Boualem est quelqu’un que nous connaissons et que nous aimons. Nous l’avons distingué par deux fois dans le passé en lui décernant le Grand Prix de la francophonie, et le Grand prix du roman pour 2084. C’est un éminent défenseur de la langue et de la culture françaises.
Et par ailleurs, qui d’autre peut le défendre ? Pas les politiques car leurs interventions ne font qu’aggraver les choses, et pas non plus les diplomates puisqu’il est précisément la victime d’une crise diplomatique entre la France et l’Algérie. Donc, c’est aux artistes, aux écrivains, aux intellectuels de le faire.
Etait-ce pour la beauté du geste ou pensez-vous que son élection aurait pu avoir un effet protecteur ?
Il y aurait eu deux effets possibles. Le premier, c’était de prolonger le soutien et l’intérêt pour le sort de Boualem Sansal. Il y a eu des pétitions, des appels, c’est très bien mais très éphémère, il y a toujours un moment où ça s’essouffle parce que la roue de l’actualité tourne. Son élection aurait inscrit les choses dans la durée. D’autre part, c’est un homme seul, dans sa geôle ou dans son hôpital. Il est important qu’il sache qu’il appartient à une famille, à une communauté, qui bénéficie de la protection statutaire du président de la République. C’est donc une manière supplémentaire d’affirmer le soutien de la France dans la durée et de montrer que notre défense de la francophonie, notamment à travers nos très nombreux prix, que notre soutien ne s’arrête pas le jour où un auteur francophone est en prison.
Quoi qu’il en soit, vous n’avez pas été suivi, puisque votre proposition a été refusée par 13 voix contre 6. Pourquoi ?
Tout d’abord, le débat a fait apparaître une unanimité de principe sur la nécessité de soutenir Boualem Sansal. D’ailleurs, jeudi, la cérémonie de remise des prix de l’Académie lui sera dédiée et commencera par un hommage solennel. C’est sur les méthodes que nous avons eu des divergences profondes. Ma proposition de l’élire n’a pas été retenue, une majorité des académiciens présents craignant que nous aggravions la situation. Je n’y crois pas car sa situation est déjà très grave, mais cet argument est légitime.
A lire ensuite, Elisabeth Lévy: Français et Algériens: séparés par un passé commun
Vous n’en êtes pas moins déçu par ce refus. Avez-vous trouvé vos pairs trop prudents, trop soucieux de ménager la chèvre et le chou ?
Disons qu’il y a des différences de tempéraments. Le mien, c’est de dire qu’il faut agir et voir ce qui se passe. L’histoire se fait comme ça, on ne peut pas toujours avoir des garanties a priori qu’une décision n’aura pas d’effets pervers. Beaucoup ne voient pas les choses ainsi. On ne peut pas nier qu’il y a une certaine pesanteur de l’institution qui n’est pas habituée à agir dans l’urgence, c’est le moins qu’on puisse dire. Peut-être aussi, un certain souci de bienséance qui est souvent légitime mais qui devrait parfois s’effacer quand l’heure l’exige. Par ailleurs, il faut noter que nous étions assez peu nombreux et que beaucoup d’académiciens qui étaient sur ma ligne n’étaient pas là, ce qui a un peu déséquilibré les choses. Cela dit, la majorité était très nette.
Vous avez été diplomate. D’après votre expérience, faire du raffut peut-il être utile dans ces cas-là ?
Le réflexe du Quai, dans les affaires de prise d’otages, c’est toujours de demander le silence. Mon expérience, c’est que le silence n’a jamais rien arrangé. La pression médiatique, en revanche, peut souvent faire avancer les choses. N’oubliez pas que pour l’Algérie, se joue aussi une question d’image. Après tout, il y a certainement au sein du pouvoir algérien des gens qui n’ont pas envie que leur pays apparaisse trop clairement comme une dictature. C’est pour l’avoir dit que Boualem Sansal est en prison, ce qui lui donne cruellement raison.
Le problème c’est qu’en général les preneurs d’otage réclament quelque chose. Nous n’allons pas reconnaître l’algérianité du Sahara occidental pour libérer Boualem Sansal…
Certes, mais il y a beaucoup d’autres paramètres sur lesquels on peut jouer : les visas, les relations commerciales, la coopération économique et sécuritaire. Nous avons tellement de liens avec l’Algérie que, même s’il n’y a pas de monnaie d’échange évidente, nous avons les moyens de les faire bouger. D’ailleurs, ils s’en sont pris à un symbole, c’est peut-être une manière de ne pas toucher à des intérêts plus fondamentaux.
Finalement, à quoi sert l’Académie si elle n’est pas capable d’un coup d’éclat pour faire libérer un écrivain…
L’Académie française n’est pas une ONG et elle ne l’a jamais été. C’est une institution culturelle dont la vocation est d’exprimer la reconnaissance du pays pour ses écrivains et, au-delà, pour tous les créateurs francophones. Peu de pays donnent ainsi un statut officiel à leurs écrivains. Notre premier moyen d’action, ce n’est pas le dictionnaire qui est une façon d’affirmer une continuité historique, puisque c’était la première mission de notre compagnie. Aujourd’hui, notre levier d’action principal ce sont les prix que nous décernons, des Grands prix dans tous les domaines de la création francophone. Ne soyez pas trop dure : avec ses défauts, l’Académie française est utile au rayonnement de la France et de la langue française.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !