Entre Trump qui cartonne chez les minorités, Netflix qui formate les gamins, et des études sur les moustaches ou les vampires, la guerre culturelle américaine ressemble à une série dont le scénario devient de plus en plus absurde !
Comme il a été souvent souligné, la victoire de Donald Trump en 2024 incarne, sans nul doute, une réaction viscérale contre ce que beaucoup perçoivent comme une dérive woke aux États-Unis. Depuis que l’assassinat de George Floyd a été érigé en symbole révolutionnaire, cette idéologie s’est insinuée dans tous les recoins de la société américaine, portée par un militantisme omniprésent. Mais à l’instar du principe d’entropie, cher aux scientifiques, l’histoire nous rappelle qu’un retour à l’équilibre est presque toujours inévitable lorsque le balancier penche trop d’un côté. Faut-il pour autant penser que les « Éveillés » ont définitivement perdu la guerre culturelle ?
À observer les thèses de doctorat lunaires déposées dans de nombreuses facultés de sciences humaines, on réalise vite que le wokisme, « unique religion née dans les universités » (Jean-François Braunstein), n’a rien perdu de son souffle. Des deux côtés de l’Atlantique, prolifèrent des disciplines telles que les Disability Studies, Fat Studies, Queer Studies, Gender Studies, Indigenous Studies, ou encore les Critical Race Studies. À cela s’ajoutent des études environnementales, comme les Climate Justice Studies (exploration des effets différenciés du changement climatique sur les populations marginalisées), les Ecofeminism Studies (croisant oppression des femmes et exploitation de la nature) ou les Anthropocene Studies. Certaines de ces « études » flirtent même avec l’absurde : Moustache Studies, Vampire Studies, Smell Studies ou encore Procrastination Studies figurent parmi les curiosités de ce panorama académique. En parallèle, Nature, Science, PNAS, refusent désormais de publier des articles scientifiques sur le seul critère de qualité, estimant que ce serait discriminatoire[1].
Cibler la jeunesse
Certes, l’intersectionnalité des luttes – Black Lives Matter, antifas, néoféminisme MeToo, transactivisme, climato-militants, décoloniaux, repentants de l’Histoire – a révélé ses contradictions. L’évidence saute aux yeux lorsqu’on constate que certaines populations discriminées, notamment dans des quartiers à forte immigration, peuvent elles-mêmes être homophobes ou antisémites. L’insécurité des Juifs et des homosexuels à Berlin est une illustration éclatante de ces paradoxes.
Pour autant, les « Éveillés » ont compris qu’il était vain de convaincre les plus de 50 ans, ces vieux « réactionnaires » selon leur jargon. Leur stratégie est ailleurs : cibler la jeunesse. Et dans cette guerre culturelle, les plateformes de streaming telles que Netflix, HBO, Disney+ et Apple TV+ sont des armes redoutables pour imposer à nos enfants cette vision néo-progressiste que les progressistes traditionnels ont eu bien du mal à anticiper. Dana Walder, par exemple, patronne des studios Disney, refuse les scénarios trop « hétéronormés »[2].
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Aux États-Unis, la victoire de Trump a été d’autant plus spectaculaire qu’il a réalisé des percées historiques auprès des minorités : un doublement de son score chez les Noirs (de 10 à 20%), 47% chez les Hispaniques, et même un soutien significatif des musulmans du Michigan. Ce sont notamment ces « minorités », exaspérées par l’agenda woke omniprésent dans leurs écoles et quartiers, qui ont permis à Trump de décrocher le grand chelem dans les États-clés. Pour l’élite progressiste de la Côte Est, rien n’est plus insupportable que de voir ses supposés alliés voter pour le « fantasque milliardaire » comme l’appelle l’Associated Press.
Une bataille, pas la guerre
Mais cette victoire ne signe pas la fin de la bataille. Les grandes entreprises, notamment via leurs départements des Ressources humaines continuent d’appliquer une politique d’inclusivité dogmatique. Cependant, quelques signaux faibles mais encourageants apparaissent. Certaines entreprises américaines commencent à abandonner leurs politiques d’embauche basées sur ces sigles jargonneux et tellement américains, comme DEI (Diversity, Equity, and Inclusion), ERG (Employee Resource Group), ou encore BIPOC (Black, Indigenous, and People of Color). Même le sacro-saint ESG (Environmental, Social, and Governance) subit des critiques croissantes. L’Amérique, laboratoire des extrêmes, a au moins le mérite de reconnaître ses erreurs et, parfois, de faire machine arrière.
Le wokisme n’existe pas
Un exemple frappant de cette dérive inclusive est l’entrisme antisémite dans les universités de l’Ivy League. Le Congrès, dans un rapport accablant, a mis en lumière comment l’obsession woke a inhibé l’empathie naturelle à l’endroit des étudiants juifs lorsque des activistes les empêchaient de rejoindre leur campus. L’audition par le Congrès américain de Claudine Gay, première présidente noire de Harvard, incapable dans cette douloureuse affaire d’appeler un chat un chat et plombée par des accusations de plagiat, a illustré l’acmé de ces renoncements.
Pour les éveillés, cependant, les critiques ne sont qu’une réaction d’ultra-conservateurs nostalgiques d’un monde où les femmes éduquaient leurs enfants pendant que leurs maris lisaient tranquillement leur journal… Selon eux, le wokisme est un fantasme. Seul l’anti-wokisme existe, incarné par des esprits rétrogrades à bout de souffle qui ont le toupet de prendre leur revanche dans les urnes.
[1] « Changer de genre ? Comment le malentendu opère chez les jeunes… et les moins jeunes », Beryl Koener et Jean-Pierre Lebrun, Campagne-Première.
[2] Woke Fiction, Comment l’idéologie change nos films et nos séries, Samuel Fitoussi, Le Cherche-Midi.