La maison Hennessy, filiale de LVMH, suspend un projet d’exportation de cognac en vrac vers la Chine, visant à contourner des surtaxes, après une grève massive et dans le contexte de tensions commerciales croissantes entre l’Europe et la Chine.
Le 25 novembre, la célèbre maison de Cognac Hennessy, filiale du groupe LVMH, annonçait envisager d’exporter son fameux breuvage en le conditionnant en fûts plutôt qu’en bouteilles, dans le but de contourner les nouvelles mesures douanières de la Chine imposant une surtaxe aux brandys européens. Quelques semaines plus tôt, à l’occasion du Salon de l’Auto, la presse révélait que certains véhicules de tourisme en provenance de Chine arriveraient désormais en Europe sous des codes douaniers propres aux véhicules professionnels. Ceux-ci en effet ne sont pas concernés par la mesure de surtaxe, applicable aux véhicules chinois, validée par Bruxelles courant octobre. On peut donc penser que ces pratiques de contournement sont de bonne guerre, mais est-ce vraiment le cas ?
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Qu’elles soient motivées par une politique protectionniste comme dans le cas des États-unis ou par de simples rancœurs entre des chefs d’État, ces mesures économiques utilisant la taxation douanière comme frein ou mesure de rétorsion ne sont pas nouvelles. Pendant longtemps cependant, elles concernaient surtout le secteur très particulier de l’énergie, étroitement lié à la conjoncture géopolitique, et non celui plus général des biens de consommation.
Ces derniers mois, le phénomène prend une telle ampleur, n’épargnant aucun secteur de l’économie mondiale, que certains médias et politiques n’hésitent plus à parler de « guerre commerciale ».
En réalité, il s’agit davantage d’une guerre d’intimidation puisqu’il existe autant de mesures de surtaxes douanières que de possibilités pour les industriels de les contourner. Cela peut aller du simple tour de passe-passe administratif en changeant le conditionnement d’un produit (dans le cas du Cognac), au changement de destination de celui-ci (dans le cas des véhicules de tourisme), jusqu’à l’ouverture d’une filiale ou la délocalisation de certaines étapes de la production dans le pays destinataire.
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Cette conjoncture, qui plus est dans un climat géopolitique tendu, nous amène cependant à nous interroger sur la capacité de la France seule à protéger son économie. En effet, notre forte dépendance aux produits importés, notamment chinois, limite notre pouvoir de négociation. En matière automobile, comment pourrait-on instaurer un bras de fer avec la Chine alors que celle-ci fournit la plupart des composants des voitures électriques produites en France ? C’est finalement l’Union européenne qui a pris la mesure de taxation douanière des véhicules chinois, et non la France qui ne peut mener seule certains combats. Plus que jamais, c’est le moment pour l’Union européenne de prouver qu’elle est la puissance économique qu’elle a toujours prétendu être.
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Cependant, les enjeux liés à l’économie mondialisée, qu’ils soient financiers, politiques, environnementaux ou sociaux, sont tels qu’ils méritent davantage que de simples décisions isolées ou d’annonces médiatiques choc. La politique européenne à ce sujet doit être forte, mais surtout cohérente. Il serait grand temps par exemple de limiter, voire de supprimer, cette aberrante aide au développement de plus de 100 millions d’euros, versée chaque année par la France à la Chine, vestige d’une époque où celle-ci était encore un pays émergent et non la deuxième puissance économique mondiale. On pourrait aussi aborder le sujet brûlant de l’exonération douanière pour les colis en provenance de Chine d’une valeur commerciale inférieure à 150 euros : c’est cette faille qui permet le raz-de-marée des produits de l’ultra fast fashion, avec les conséquences dramatiques que l’on sait pour les entreprises françaises. Ménageant ainsi la chèvre et le chou, donnant d’une main ce qu’elle reprend de l’autre, l’Europe manque cruellement d’une politique économique cohérente face à la Chine.
Les actes isolés ou effets d’annonce risquent de ne porter leurs fruits qu’à court terme ; seul un cap clair pourrait permettre à la politique économique européenne d’atteindre ses objectifs à long terme.
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Face à ces décisions et enjeux qui les dépassent, comment peuvent se positionner les entreprises françaises, petites ou grandes ? Là encore malheureusement, le jeu ne se fait pas à armes égales. D’un côté, les entreprises chinoises sont conseillées, protégées, parfois subventionnées par leur gouvernement ; de l’autre, les entreprises françaises sont écrasées par des taxes et des normes. Le projet de la maison Hennessy relatif au conditionnement de son cognac en fûts a d’ailleurs été suspendu seulement quelques jours après son annonce, puisqu’un mouvement de grève a immédiatement été mis en place pour s’y opposer.
Dans ces périodes troubles où, plus que jamais, les entreprises françaises doivent faire preuve de compétitivité et de flexibilité sur le marché international, il est préoccupant de les voir bâillonnées par les syndicats et écrasées par la législation de leur propre pays.
Les mesures de rétorsion douanière semblent aujourd’hui n’épargner aucun secteur économique, et peuvent donc concerner la quasi-totalité des biens de consommation, entraînant inévitablement une hausse des prix. Ayons donc une pensée pour les consommateurs qui finiront grands perdants d’une joute commerciale à l’échelle mondiale. Plus que jamais pour eux, entre boire et conduire, il faudra choisir…
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