Saint Juppé, politicien et martyr


Saint Juppé, politicien et martyr

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Donc, Alain Juppé, 72 ans sera élu en mai 2017 Président de la République Française. Félicitations ! Il succédera ainsi à Alain Poher, Raymond Barre, Édouard Balladur, Ségolène Royal, et last but not least Dominique Strauss-Kahn. Au cimetière des ambitions perdues, plein de ceux qui, choisis par le Mainstream et les sondages avaient « désignés, proclamés, fêtés, encensés, adulés. Ils étaient élus »[1. Philippe Séguin, discours de Bondy, 30 janvier 1995]. Ces opérations qui relevaient de la prophétie auto-réalisatrice, ont toutes finalement mangé le bitume. Qu’à cela ne tienne, remettons ça. Sondages flatteurs, CV tronqué, émissions de télévision en forme de tapis rouge, et exclamations de ravissement dans les médias, y compris dans les colonnes de Causeur.

Mais pourquoi ce revival de l’aveuglement amnésique ? La réponse est simple : le retour de Nicolas Sarkozy. Sous forme humoristique, j’ai essayé ici de décrire ce qui nous attendait.

N’ayant jamais ressenti la passion, la déception, et la haine compulsive qui s’attachent à la personnalité de celui-ci, j’ai un rapport très neutre à ce qui m’apparaît comme inéluctable. La personnalité clivante de l’ancien Président nourrit cependant un réflexe évident : « Tout sauf Sarkozy ». Sentant venir la catastrophe, la gauche effondrée, essaie de repeindre Alain Juppé sous des couleurs acceptables. Le Mainstream embraye, qui n’a aucune envie de supporter à nouveau le mari de Carla Bruni. Et puis il y a aussi la bourgeoisie, qui n’a jamais vraiment apprécié le parvenu de Neuilly et ses foucades. Agglomérée aux deux premiers, elle sera l’un des importants courants qui soutiendront l’hypothèse Juppé.

Cette bourgeoisie française, même transformée aujourd’hui en oligarchie, a des intérêts de classe. Dotée de moyens, de relais, d’une grande influence culturelle, elle possède une pratique ancienne de l’intervention politique dans l’élection présidentielle. Déjà, après la grande peur de 1968, non pas du monôme étudiant, mais du mai-juin ouvrier, considérant que de Gaulle n’était plus assez fiable dans le maintien d’un système conforme à ses intérêts, elle souhaita son départ. Demandant à Valéry Giscard d’Estaing, son représentant de l’organiser. Je me rappellerai toujours son intervention télévisée, pendant la campagne du référendum d’avril 1969 et de sa phrase : « Je ne l’approuverai pas ». Le PCF, aveuglé par sa volonté d’une union avec le PS, ne vit pas la manœuvre. Grâce à l’apport de ces voix de droite, Charles de Gaulle fut congédié. Georges Pompidou, beaucoup plus rassurant, fit un intérim pour laisser la place à Giscard lui-même. L’épisode François Mitterrand fit un peu peur au début mais on s’adapta. Et la conjonction des intérêts qui avaient fabriqué Giscard se prit à rêver à l’idée de recommencer et d’installer à l’Élysée soit un de ses représentants directs, soit un politicien accommodant. Il y eut « l’économiste » Raymond Barre père la rigueur bonhomme pour l’échéance de 1988. Perdu. Chirac sèchement battu cette année-là n’apparaissait pas crédible pour 1995. Après un tour de piste un peu ridicule de Delors, les relais des puissants fabriquèrent donc Édouard Balladur. Encore perdu. En 2002,  ils auraient bien préféré Jospin le grand privatiseur. On connaît l’histoire. Ce fut donc Jacques Chirac avec 82 % des voix au second tour… En 2007, le choix imbécile des militants socialistes de Ségolène Royal, comme candidat repoussoir, était suffisant pour faire élire le candidat de droite Nicolas Sarkozy. Malheureusement, celui-ci à l’usage se révéla insupportable. Les patrons ne l’aiment pas, pour des raisons politiques, techniques mais surtout culturelles. Ce parvenu est mal embouché et politiquement parfois imprévisible.

Le rejet de l’opinion rendant sa défaite inévitable en 2012, les médias nous sortirent alors de leur chapeau un néolibéral chimiquement pur membre par surcroît du Parti socialiste, qualité souhaitable pour mieux faire passer les purges. Même sans Nafissatou Diallo, DSK – caricature de l’establishment – aurait été battu. Justement à cause du caractère artificiel de son intronisation. Comme l’a encore démontré le référendum sur le TCE de 2005, le peuple ne fait pas toujours ce qu’on lui demande. Caramba, encore raté ! Ce fut donc François Hollande dont la soumission au capitalisme financier et à l’Europe des marchés ne pouvait effaroucher personne dans les couches dirigeantes. Mais dont trahison des engagements et inadaptation  pathétique à la fonction sont la source d’une impopularité rédhibitoire.

La défaite de la gauche en 2017 étant écrite, qui à droite pour succéder à Hollande, se demandent en chœur l’establishment, les grands patrons et la gauche molle? Patatras, voilà le parvenu de Neuilly qui rapplique! Panique à bord. Dites les juges, vite vite il faut nous en débarrasser ! L’affaire des écoutes a du plomb dans l’aile. Alors, lancement de toute urgence du missile tenu en réserve : Bygmalion. Problème, il n’y a aucune chance d’obtenir une condamnation de Nicolas Sarkozy assortie d’une inéligibilité avant mai 2017. La solution de repli, c’est de lui opposer un candidat crédible. Alors malgré ses 72 ans, ce sera Alain Juppé. Qui entend bien profiter de l’aubaine.

Mais, en fait, qui est Alain Juppé ? Brillant apparatchik du RPR dans les années 80, Jacques Chirac en  fit un maire-adjoint de Paris chargé des finances et de la gestion du domaine privé. C’est dire s’il fut aux premières loges… Il bénéficiera de tous les avantages liés à la fonction. Ce qui lui valut quelques soucis de logement qu’il a toujours considéré comme très injustes. Car un vif sentiment de sa supériorité intellectuelle, provoque chez lui une certaine ingénuité. Il soutint très mollement Jacques Chirac à l’automne 94, et s’apprêta à rejoindre Balladur en février 95 persuadé que le manche était de ce côté. C’est Philippe Séguin qui, portant la campagne de Chirac à bout de bras, le convaincant de la ligne de la « fracture sociale », inversa la tendance et permit en mars le fameux « croisement des courbes ». Sans beaucoup de scrupules, Alain Juppé changea à nouveau de trottoir. On connaît la suite, à celui qui fut l’artisan de sa victoire, et qui lui avait dit entre les deux tours : « n’oublie pas le pacte républicain… n’oublie pas ce peuple qui t’aura fait confiance et dont tu seras le seul recours… », Chirac préférera comme Premier ministre « l’apparatchik froid et qui n’aime pas les gens ». Le goujat insensible virant sans un mot et brutalement les « jupettes », ces ministres féminins que l’on avait sollicitées pour la galerie. Qui se fracassera ensuite sur les grèves de décembre 95. Par absence de sensibilité sociale, il ne les comprendra pas et poursuivra dans une sorte de voie autiste, concoctant avec Dominique de Villepin la dissolution de 1997. Rappelons-nous son humiliation entre les deux tours des législatives annonçant qu’il ne serait plus le premier ministre, si la droite l’emportait, passant en vain la main à Philippe Seguin. Trop tard pour éviter cinq ans de cohabitation à Jacques Chirac.

On nous ressert aujourd’hui la calembredaine de sa « condamnation sacrifice » au profit de Jacques Chirac. Cela ne correspond pas à la réalité. Alain Juppé fut poursuivi ès qualités de patron du RPR qu’il cumulait avec son poste de Premier Ministre. La loi de 1990 sur le financement des partis, avait été modifiée en 1995. Ce qui lui fut essentiellement reproché était de ne pas avoir mis les choses en ordre après ce nouveau texte. C’était sa propre responsabilité. Il a ensuite été victime d’une stratégie judiciaire suicidaire. Se présentant en première instance sur une ligne de rupture arrogante opposant sa légitimité politique au pouvoir des juges. Il y obtint une condamnation sévère qu’il ne fut pas possible de rattraper en appel. Après une courte traversée du désert, élection sans risque à la mairie de Bordeaux dans le siège encore chaud de Jacques Chaban-Delmas. Avant une spectaculaire défaite aux législatives en pleine vague bleue de 2007.

Alors on me dit ici qu’il a fait Normale Sup. Pensant immédiatement à BHL ou à Christophe Barbier, l’argument me laisse froid. Ensuite, qu’il ne fait pas de fautes de français. Encore heureux ! Après que l’État lui a financé deux grandes écoles (ENS, ENA) il ne manquerait plus qu’il massacre notre langue, comme un vulgaire Sarkozy ou une ouvrière de chez Gad !

Contrairement à ce que pourrait laisser penser cet article, je n’ai rien de spécial contre Alain Juppé. Ce que je déplore, c’est une nouvelle manipulation voulue par cet assemblage d’intérêts convergents  et reposant sur de gros moyens. Prenant les gens pour des imbéciles et des amnésiques. Et, comme les précédentes du même type, elle échouera. L’élection présidentielle en France, la mère de toutes les batailles, se déroule toujours sur des bases politiques. Parce qu’aussi imparfait soit le peuple, dans cette élection c’est lui qui décide. Et ce ne sont pas toujours les stratégies décidées dans les salons qui l’emportent.

Et il vaut mieux se préparer au scénario qui se profile, aussi pénible soit-il. Quel que soit son candidat, la gauche divisée sera laminée. Nicolas Sarkozy, qui aura récupéré l’UMP, ficelé les primaires, profitant de son savoir-faire et du relais indispensable d’un parti en ordre de bataille devrait quand même arriver à faire 20 % au premier tour. Il n’aura pas besoin de l’élan populaire dont il profita en 2007, et qu’il conserva en partie en 2012. En 2002, Jacques Chirac avait fait 19 % au premier tour et 82% au second…

Nicolas Sarkozy sera au second tour où il battra Marine Le Pen probablement arrivée en tête au premier. Le pire était que ce scénario était inscrit dans l’élection de François Hollande le 6 mai 2012.

*Photo : HARSIN ISA/SIPA. 00693489_000052. 



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