Alors qu’un accord de cessez-le-feu entre Israël et le Liban semble imminent, le Hezbollah reste, malgré de lourdes pertes, la force dominante au Liban. Si les succès militaires israéliens sont indéniables, la mise en œuvre de cet accord et son impact géopolitique soulèvent des questions majeures, notamment sur la capacité à contenir durablement le Hezbollah.
Un accord de cessez-le-feu au Liban semble se profiler, mais il reste difficile de convertir les résultats purement militaires en gains politiques et géostratégiques. Malgré les coups très durs qu’il a subis – tant matériellement que moralement – dans les ruines de l’État libanais, le Hezbollah demeure la force militaire, économique et politique la plus puissante du pays, et surtout la seule à conserver la capacité d’imposer sa volonté par la violence à l’intérieur du pays.
Bien que le projet d’accord de cessez-le-feu entre Israël et le Liban n’ait pas encore été publié, plusieurs informations disponibles permettent d’en connaître les grandes lignes. Ce projet inclut un mandat élargi permettant à Israël de mener des frappes le long de la frontière et à l’intérieur du territoire libanais afin de neutraliser les menaces émanant du Hezbollah ou d’autres organisations. Selon cet accord, Israël serait autorisé à intervenir militairement dans tous les cas où des menaces, y compris en profondeur au Liban (par exemple dans la vallée de la Bekaa), seraient identifiées, telles que la production, le stockage ou le transport d’armes lourdes, de missiles balistiques ou de missiles à moyenne et longue portée. Toutefois, de telles interventions seraient conditionnées à l’échec du gouvernement libanais ou d’un organe de supervision placé sous l’égide des États-Unis à éliminer ces menaces.
Côté libanais, une zone spécifique de « légitime défense immédiate »
Par ailleurs, le texte autorise Israël à poursuivre ses vols militaires dans l’espace aérien libanais à des fins de renseignement et de surveillance. De plus, Israël ne libérera pas les membres du Hezbollah capturés dans le sud du Liban, d’autant qu’aucun civil ou militaire israélien n’est actuellement retenu par le Hezbollah.
Le document précise que l’armée libanaise sera la seule force armée, à l’exception de la FINUL, autorisée à opérer sur le territoire libanais. Ce point établit un lien, bien que modeste, avec la résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations unies adoptée en 2004, considérée comme plus contraignante que la résolution 1701 adoptée en 2006 après la deuxième guerre du Liban. L’armée libanaise sera également responsable d’empêcher l’entrée non autorisée d’armes et de munitions via les points de passage frontaliers, notamment à la frontière avec la Syrie, ainsi que de démanteler les infrastructures de production d’armement établies par diverses organisations sur le territoire libanais. De plus, l’accord délimite une zone spécifique au Liban, le long de la frontière, où les États-Unis reconnaissent à Israël le droit d’« agir en légitime défense immédiate. »
Ce texte, du point de vue israélien, est sans doute préférable à la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) et reflète clairement que le rapport de force entre le Hezbollah et Israël s’est nettement amélioré en faveur de ce dernier. Sur le plan militaire, les résultats sont indiscutables. Le Hezbollah a perdu une grande partie de ses dirigeants militaires et politiques, plus de 3 000 de ses combattants ont été tués, et plusieurs milliers ont été blessés, dont beaucoup ne pourront plus retourner au combat. Des centres de commandement, des dépôts de matériel de guerre et une large partie de ses roquettes et missiles (entre un et deux tiers) ont été détruits.
Quant aux infrastructures, notamment les tunnels et autres constructions souterraines préparées et déployées le long de la frontière avec Israël pour permettre une attaque surprise comme celle du 7-Octobre, elles ont été largement démantelées. Plusieurs villages frontaliers, transformés depuis 2006 en structures mixtes civiles-militaires au service du Hezbollah, sont aujourd’hui réduits en cendres. Des vergers qui abritaient des bunkers camouflés ont également été systématiquement détruits. La majorité des habitants chiites du sud du Liban ont quitté leurs bourgs et villages, devenant des déplacés souvent sans véritable abri.
Et surtout, tous ces succès israéliens ont été obtenus avec des pertes relativement faibles au front – 70 morts au combat – et des dégâts légers à l’arrière du pays.
Enfin, l’élément le plus marquant est d’ordre psychologique. Après sa victoire de 2006, le Hezbollah et son chef Hassan Nasrallah estimaient avoir instauré un équilibre de dissuasion stratégique avec l’État d’Israël, se percevant en quelque sorte comme ses égaux sur le plan militaire. Victorieux, voire invincibles, ils imposaient leur domination au Liban, au service de la communauté chiite, mais surtout de l’Iran. Ce n’est désormais plus le cas. Infiltré par le renseignement israélien, le Hezbollah n’a pas seulement été militairement affaibli, mais aussi profondément humilié – notamment à travers l’opération des « bippers » et les assassinats ciblés de ses dirigeants, y compris Nasrallah lui-même. Aux yeux de nombreux Libanais, cela a mis en lumière une forme de défaite pour une organisation perçue comme exerçant une occupation de facto sur le pays.
Pour illustrer ce changement, on peut citer Walid Joumblatt, leader druze connu pour ses revirements politiques constants. Celui qui, pas plus tard que l’été dernier, relayait encore la propagande du Hezbollah, critique aujourd’hui ouvertement l’Iran et son allié chiite local, signe d’un basculement significatif dans le paysage politique libanais.
Le Dôme de fer a tenu
En Israël, ces succès étaient inespérés. Pour comprendre l’état d’esprit qui prévalait avant cette guerre, il est essentiel de se pencher sur le « scénario de référence » envisagé par les responsables israéliens. Publiée début février 2024, une étude menée par l’Institut de politique antiterroriste de l’Université Reichman examinait les défis critiques liés à la préparation de Tsahal et de l’arrière à une guerre multi-fronts. Ce travail, conduit sur trois ans par six groupes de réflexion réunissant près de 100 experts en terrorisme, anciens responsables de la sécurité, universitaires et décideurs, avait donné lieu à des conclusions glaçantes.
Selon ce scénario, le conflit devait commencer par des tirs massifs de roquettes du Hezbollah, visant presque l’intégralité du territoire israélien. Ces tirs, estimés à 2 500 à 3 000 projectiles par jour, auraient compris des roquettes non guidées et des missiles précis à longue portée. Les bombardements auraient continué quotidiennement jusqu’à la fin du conflit, prévue environ trois semaines après son déclenchement. Dès les premières phases, des groupes terroristes de toute la région auraient rejoint les hostilités. L’une des principales stratégies du Hezbollah aurait été de saturer les systèmes de défense aérienne israéliens, tels que le Dôme de fer, pour affaiblir la réponse israélienne.
Les réserves de munitions pour le Dôme de fer et la Fronde de David se seraient épuisées en quelques jours, laissant Israël sans défense active contre des milliers de roquettes et de missiles lancés jour et nuit. Parallèlement, le Hezbollah aurait cherché à neutraliser l’armée de l’air israélienne en ciblant ses pistes d’atterrissage et ses hangars, endommageant les avions F-16, F-35 et F-15, qui constituent les piliers de la supériorité aérienne israélienne.
Des missiles précis, équipés de charges explosives lourdes, auraient visé les infrastructures critiques : centrales électriques, installations de dessalement et réseaux de distribution d’eau. Les ports seraient paralysés, bloquant le commerce international.
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Des essaims de drones suicides iraniens tenteraient d’atteindre des cibles stratégiques au cœur d’Israël, comme des usines d’armement, des dépôts militaires et des hôpitaux, déjà surchargés par un afflux massif de blessés. Ces attaques auraient provoqué des destructions considérables en Israël, entraînant des milliers de pertes humaines, tant sur le front qu’à l’arrière.
En parallèle, le Hezbollah aurait envoyé des centaines de combattants de sa force d’élite Radwan pour infiltrer le territoire israélien. Ces forces auraient essayé de prendre le contrôle de localités frontalières et de postes militaires, obligeant Tsahal à se battre sur son propre territoire, ce qui aurait retardé ses opérations en profondeur au Liban.
Après environ trois semaines de violence, les destructions sans précédent en Israël et au Liban, combinées aux pressions internationales, auraient mis fin au conflit dans un sentiment frustrant de « match nul », comme en 2006.
La réalité de cette guerre, bien que grave, s’est avérée moins catastrophique que ce scénario, ce qui souligne d’autant plus la portée des succès israéliens.
Néanmoins, des questions cruciales restent en suspens : le Hezbollah parviendra-t-il à contourner les restrictions qui lui seront imposées ? Comment le mécanisme d’application, complexe et lourd, pourra-t-il réellement fonctionner ?
La résolution 1701, adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU à la fin de la guerre du Liban en 2006, était déjà considérée comme une bonne décision du point de vue israélien. Toutefois, elle n’a jamais été appliquée par les acteurs censés la faire respecter, à commencer par la FINUL. Après quelques tentatives initiales pour remplir leur mission, les forces de la FINUL ont reçu un message clair du Hezbollah. En 2007, six soldats de la FINUL ont été tués dans un attentat à la voiture piégée dans le sud du Liban. Puis, en janvier 2008, un affrontement indirect a éclaté entre la FINUL et des militants du Hezbollah dans une zone contrôlée par l’organisation chiite, près de la frontière israélienne. Cet incident aurait été déclenché par une patrouille de la FINUL tentant d’accéder à une zone suspectée d’abriter des infrastructures militaires non déclarées. Le Hezbollah aurait bloqué l’accès, invoquant la sécurité des habitants locaux. Des rapports décrivent une confrontation tendue, sans affrontements armés directs, mais marquée par des menaces implicites. Les Casques bleus ont rapidement compris : leurs supérieurs onusiens et les gouvernements qui les soutenaient préféraient éviter tout conflit. Ils ont donc adopté une posture passive, feignant que tout allait bien.
Face à cette réalité, les gouvernements israéliens successifs – en particulier ceux dirigés depuis 2009 par Benjamin Netanyahou – ont eux aussi adopté une approche prudente et évité de « faire des vagues », observant sans intervenir l’installation progressive du Hezbollah dans le sud du Liban. Même après le 8 octobre 2023, lorsque la milice chiite a commencé à lancer des roquettes et à provoquer des incidents frontaliers, Israël s’est abstenu de répondre fermement et n’a pas non plus imposé l’application de la célèbre résolution 1701.
Le troisième acteur censé faire respecter le cessez-le-feu et la résolution 1701 était l’armée libanaise. Cependant, même lorsque les forces du Hezbollah ont installé des tours d’observation à quelques mètres de ses positions, elle n’a rien fait. En réalité, le Hezbollah a exercé une pression intimidante sur tous les acteurs locaux. Même lorsque les renseignements israéliens ont transmis des informations détaillées sur l’établissement d’infrastructures militaires du Hezbollah sous couvert d’activités civiles, aucune action concrète n’a été entreprise.
Aujourd’hui, un mécanisme international dirigé par un général américain pourrait-il traiter plus efficacement les violations de l’accord ? Il est difficile de l’imaginer, sachant que ce mécanisme devra d’abord s’appuyer sur le gouvernement libanais, son armée, et la FINUL pour réagir aux plaintes et aux informations fournies par Israël. Israël conserve le droit de répondre immédiatement si le Hezbollah viole sa souveraineté, que ce soit par des tirs de roquettes, des obus ou des infiltrations. Cependant, ce droit découle déjà du principe de légitime défense. Ce qui manque – et ce qu’il est difficile d’envisager à ce stade – c’est la volonté politique de réagir avec force et de ne plus tolérer de telles violations.
Ainsi, les véritables défis émergeront lorsque le Hezbollah recommencera à reconstruire ses infrastructures civiles-militaires dans les villages chiites proches de la frontière ou dans les zones boisées environnantes. Dans ces conditions complexes sur le terrain, face à une population civile potentiellement hostile, peut-on réellement croire que la FINUL et l’armée libanaise parviendront à empêcher un retour progressif au statu quo ante du 7-Octobre ?
Bien que cet accord – s’il est effectivement signé, ce qui reste incertain – reflète une victoire militaire israélienne, sa valeur politique demeure pour l’instant incertaine. Seules des actions militaires directes – avec ou sans l’approbation de la commission internationale – pourraient transformer cet accord en un outil politique efficace dans la guerre qu’Israël et une partie des Libanais mènent contre le Hezbollah. Enfin, cet accord présente également l’avantage de mettre fin au conflit actuel et d’isoler le Hamas à Gaza. Selon certains observateurs en Israël, il pourrait servir de modèle pour un accord similaire à Gaza, incluant cette fois la libération des otages et l’établissement d’un mécanisme international ou arabo-international pour remplacer le Hamas.