Dans leurs plaidoiries cette semaine, les avocats du FN / RN ont notamment soutenu que les assistants parlementaires ont toujours été dans leur grande majorité des militants actifs. Et que puisque personne ne peut établir une proportion entre ce qui relève du travail partisan ou du travail parlementaire, il est donc quasiment impossible de cadrer bureaucratiquement leurs horaires.
C’est Me François Wagner qui ouvre les plaidoiries de la défense mutualisée. L’avocat s’attelle à démontrer avec soin qu’aucune prohibition n’était en vigueur à la période de la prévention. Il relève que le directeur général de l’Olaf lui-même justifie, dans son rapport annuel daté du 2 juin 2015, l’absence de poursuite contre le parti espagnol Podemos dans le même genre d’affaires car «les règles (concernant les assistants) ne sont pas claires comme de l’eau de roche. Cela laisse de la marge pour les allégations.» Pour rappel, le bureau du Parlement européen a lui-même créé un groupe d’évaluation temporaire -qui va durer plusieurs années- composé d’eurodéputés afin d’évaluer la réglementation dite des MAS (Mesures d’applications). C’est dans ce cadre qu’est publiée le 5 juillet 2010 une liste indicative d’éléments de travail de l’assistant. L’accusation considère que cette liste, pourtant présentée comme indicative, non restrictive, non exhaustive, s’impose à partir de cette date…
Voulant à tout prix faire entrer des carrés dans des ronds, l’instruction tord les textes. Mais la Cour de justice européenne dit elle-même fin 2022 que l’article 33 des MAS régulièrement convoqué par le parquet fait référence «à des notions juridiques abstraites qui ne doivent pas mentionner les hypothèses concrètes».
Inéligibilité rétroactive
Concernant les assistants parlementaires eux-mêmes, les conseils se sont étonnés que ceux-ci soient mis en examen. Dans le cas du MoDem, les assistants ont été exclus de la procédure, étant donné que les employés, de par leur lien de subordination, ne sauraient, selon le droit du travail, être responsables des faits de leurs employeurs. De plus, Me Wagner souligne que «dans la prévention concernant Micheline Bruna, il manque six mots ‘Jean-Marie Le Pen, député français au Parlement européen’, c’est une sorte d’inéligibilité rétroactive.» Pour la défense, le fait que l’accusation ne fasse jamais référence au mandat de Jean-Marie Le Pen comme donneur d’ordre, mais uniquement à sa fonction de président d’honneur, caractérise une lecture tronquée de la réalité. D’autant plus à cette période où le président d’honneur du FN se trouve être mis de côté avant d’être exclu. «Pour l’instruction, quand Micheline Bruna rencontre Jean-Marie Le Pen, il n’est que le président d’honneur du parti et jamais l’eurodéputé.» Cette lecture partielle et partiale de la réalité «déséquilibre complètement l’analyse des poursuites.»
«L’assistant, c’est l’ombre du député»
À sa suite, Me Apery conteste le fait même que le Parlement européen puisse exercer un droit de regard sur le travail des assistants. L’avocat cite Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, qui a lui-même indiqué que «chaque parlementaire exerce son mandat comme il l’entend, il est souverain.» «Le président préside, le gouvernement gouverne, l’assistant assiste. L’assistant, c’est l’ombre du député.» En conséquence, contrôler le travail de l’assistant, c’est contrôler le travail du député. D’autant que dans la rédaction même des contrats-types proposés par le Parlement européen, celui-ci prend soin de couper tout lien avec les assistants. L’assistant salarié n’a en conséquence aucun droit vis-à-vis du Parlement européen, mais inversement le Parlement européen ne peut avoir de droit de regard sur le travail de l’assistant employé d’un député. Le contrat de travail entre l’assistant et son député relève donc du conseil des Prud’hommes.
«Un deux poids, deux mesures.»
De sa voix de stentor, Me Nikolay Fakiroff s’attaque à la phrase du «procureur qui a brocardé la mutualisation» des assistants «qualifiée d’argument magique.» Non sans malice, l’avocat présente alors l’avantage de «la mutualisation de l’assistance judiciaire» qui évite au tribunal d’avoir à écouter quatre plaidoiries identiques présentées par quatre avocats différents pour quatre prévenus… Pourtant, cette mutualisation, dite ‘task force’ par les centristes, a été acceptée par le même tribunal lors du procès du MoDem. Alors pourquoi cette mutualisation n’est-elle pas acceptée dans le cas du FN/RN ? «Parce que c’est vous et que vous le valez bien?» s’exclame Me Fakiroff qui pointe un «deux poids, deux mesures.»
Pour illustrer ce glissement de procédure, Me Fakiroff rappelle l’indignation de Guillaume Lhuillier (aujourd’hui assistant parlementaire accrédité au Parlement européen) face à l’incompréhension du ministère public sur son engagement politique : «Ce n’est pas parce que l’on est assistant parlementaire, que l’on devient militant ; c’est parce que l’on a été militant que l’on devient un jour assistant parlementaire.» Cet échange tendu résume l’inversion opérée par le ministère public. La méconnaissance de ce qu’est l’engagement militant fait accroire aux représentants du Parquet que chacun cherche avantage quand c’est exactement l’inverse. Le militant politique ne compte pas ses heures, il est sur le terrain, il donne ses soirées, ses week-ends pour la cause qu’il défend. Le fait de devenir assistant parlementaire vient couronner son engagement, ce qui ne veut pas dire qu’une fois contractualisé, ledit militant se désengage. Le militant continue à militer, avant, pendant, après son travail d’assistant parlementaire. On reproche aux assistants parlementaires d’être aussi des militants politiques, mais, comme l’analyse Sébastien Michon, directeur de recherche au CNRS, «les assistants parlementaires ont toujours été dans leur grande majorité des militants actifs.»
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Le directeur financier du Parlement européen, M. Klethi, évoquait de son côté un risque de conflit d’intérêts entre l’emploi d’un assistant parlementaire et son activité militante. Mais, en quoi un engagement politique viendrait-il entraver le travail d’un assistant parlementaire ? D’autant que Bruno Gollnisch a rappelé durant le procès que «ces pratiques parlementaires étaient partagées par tous (…) Tous les vice-présidents du bureau du Parlement ont chacun une douzaine d’assistants dont au moins un a des fonctions politiques.» L’aveuglement des réquisitions se retrouve par ailleurs dans le fait que jamais l’accusation ne tient pour acquis que les eurodéputés incriminés n’aient demandé quoique ce soit aux assistants mis en cause. Jamais. C’est totalement absurde lorsque l’on considère le travail réalisé en commission par ces mêmes députés, travail salué par le Parlement européen lui-même. Pourtant, les députés n’ont certainement pas effectué ce travail tout seul, ils ont bien été aidés par leurs assistants. «Il est évident que les assistants ont travaillé comme assistants, et il est évident que personne ici n’est capable d’établir une proportion entre ce qui relève du travail partisan ou du travail parlementaire», appuie Me Fakiroff. Ainsi, si jamais l’accusation estime qu’il y a aussi eu du travail partisan effectué pour les eurodéputés en tant que personnalités politiques, le tribunal devra alors différencier le travail parlementaire du travail politique et procéder à une partition au prorata temporis… Mais non, «tous les contrats sont pris en considération in globo.»
Sur cette juxtaposition des différents travaux, Marie-Christine Arnautu a défendu le fait que son assistant ne reste pas enfermé dans les bureaux bruxellois pour ne rien y faire quand il y a toujours du travail de terrain à faire quelque part. Synchronicité télévisuelle amusante, la plateforme de France Télévision diffuse actuellement la série Parlement, écrite par d’anciens assistants parlementaires européens. Située dans l’enceinte du Parlement européen, la narration donne à voir de manière tout à fait jubilatoire le quotidien des euro-assistants confrontés à la bureaucratie européenne, aux guerres de pouvoirs entre le Parlement, la Commission, le Conseil, et l’influence des lobbies. On y voit aussi des assistants payés à ne rien faire, mais pointant bien dans l’enceinte du Parlement européen. Comme le clame Marie-Christine Arnautu, eût-il été préférable qu’elle demande à Gérald Gérin de rester dans son bureau bruxellois, quitte à ne rien y faire, plutôt que de l’accompagner sur le terrain, pour faire de la politique, rencontrer les électeurs, ou faire des recherches pour alimenter son travail pour la commission des transports ?
D’ailleurs, les horaires de travail soulèvent plusieurs questions. L’accusation reproche ainsi à Loup Viallet, assistant parlementaire de Dominique Bilde, d’avoir aussi travaillé pour Florian Philippot. Mais, quand on consulte l’horodatage des mails que le jeune étudiant envoie aux cadres du parti, il est 21h57, 22h49, 21h44, 04h58, 02h44, etc. Autant d’horaires tout à fait compatibles avec une activité d’assistant parlementaire diurne. Loup Viallet, «limite fayot», comptabilise ainsi 65% de ses échanges le soir avec Florian Philippot, qu’il abreuve de notes toutes rédigées bénévolement. Car la vie politique, c’est aussi cela. Des militants impliqués qui consacrent leur temps libre à la politique. Derechef, cette question des horaires pourrait d’emblée être inopérante tant le député lui-même n’a pas vraiment d’horaires de travail. En sus de sa présence en commission et en plénière, le député anime des réunions publiques qui ont souvent lieu le soir et le week-end. De même, lorsque le député se rend dans les médias, c’est rarement aux horaires de bureau. Dès lors, tout comme l’exercice du mandat d’un député s’apparente plus à une mission, sans horaire fixe, l’agenda de l’assistant se calque sur celui de son parlementaire. Il peut donc se retrouver à travailler le soir ou le week-end, mais non en journée. À la vérité, il est impossible de cadrer bureaucratiquement le travail des députés et de leurs assistants. D’autant que c’est la loi-même qui sacralise la liberté d’exercice du parlementaire. Ainsi, rien n’empêcherait un député de passer tout son mandat à jouer aux boules avec ses électeurs sur la place du village. Rien. Il peut même faire équipe avec son assistant. Seuls les électeurs sont juges du mandat de leur député.
Quand bien même, quand de bonne foi les prévenus présentent d’eux-mêmes des preuves de travail à l’Olaf, cela est ignoré, balayé. Bruno Gollnisch a ainsi saisi le Tribunal judiciaire de l’Union européenne (TJUE). Pour prouver sa bonne foi face aux instances judiciaires qui ne voudraient rien entendre, l’ancien n°2 du FN ne cesse de demander une confrontation avec M. Antoine-Poirel, chef de service chargé de la délégation française au Parlement européen avec qui il entretenait les meilleures relations, et qui peut confirmer que la mutualisation était connue de tous. Mais cette confrontation lui est constamment refusée. Contacté, M. Antoine-Poirel a refusé de répondre aux questions. Ici même, quand Bruno Gollnisch présente au tribunal des preuves de travail de Guillaume Lhuillier, par ailleurs constatées par huissier, la présidente du tribunal tourne en dérision le DVD produit lors de sa législature. «C’était vendu çà! », dénigre la magistrate en parlant du DVD de présentation du travail de l’eurodéputé Gollnisch interrogé par son assistant. Quand le nom de Guillaume Lhuillier apparaît dans l’ours du journal édité par l’eurodéputé, là encore, le parquet met en doute sa participation. Comment se défendre face à autant de déni ? La défense apporte des preuves, mais cela ne convient jamais. Des dizaines de témoignages d’eurodéputés attestent de la présence des assistants à Bruxelles et à Strasbourg. Catherine Griset a communiqué à l’instruction 872 pages de documents, discours, notes, emails. L’assistante de Marine Le Pen gérait plus de cinq adresses électroniques dans lesquelles elle répondait aux sollicitations qui étaient adressées à Marine Le Pen, députée française au Parlement européen. Sollicitations qui entremêlent, il est vrai, problématiques européennes et nationales, comme les deux maillons d’une même chaîne…
Si aucune de ces preuves ne sont acceptées par l’accusation, c’est peut-être aussi parce que ce travail remet en cause les dérives normatives de l’Union européenne. Et que le Parlement européen, étrangement relayé par la voix du procureur Nicolas Barret, voudrait enfermer le député dans le rôle de «producteur de normes.» Bienvenue en enfer ! À vouloir faire de tous les députés des petites mains au service du soviet européen, les apparatchiks de Bruxelles oublient bien vite que les peuples des nations européennes ont exprimé à de multiples reprises leur refus de cet accaparement supra-étatique. Car, dans la vraie vie, ce n’est pas la même chose de vivre à Paris, dans un petit village des Pouilles italiennes, au cœur des Hautes-Tatras polonaises, à Copenhague, ou à Athènes. «Il ne peut y avoir la même norme de la Scandinavie à la Méditerranée», revendique Marie-Christine Arnautu. Les hommes vivent sur un territoire, et ce territoire les façonne. «L’appropriation d’un lieu va de pair avec l’appropriation de soi», écrivait Jean Piaget.
Le détachement des élites, qui vivent enfermées dans le «blob bruxellois», ou dans des cabinets ministériels obsédés par les cases de leur tableur, qui s’envolent en avion de mégalopoles en mégalopoles comme d’autres prennent le RER, voire qui avouent même se sentir plus proche d’un New-yorkais que d’un paysan picard, ne conduit qu’à des impasses structurelles.
«C’est parce que les réquisitions ne sont pas neutres qu’elles n’ont pas été individualisées»
Dans l’affaire du MoDem, les deux représentantes du parquet, Louise Neyton et Céline Ducournau, ont requis des peines de sursis, car, justifiaient-elles, « nous ne sommes pas ici pour poursuivre le MoDem avec acharnement mais juste pour dire le droit.» Mais, face aux prévenus FN/RN, la même Louise Neyton, «vraiment habitée par l’exécution provisoire», réclame indistinctement des peines d’inéligibilité avec exécution provisoire pour tous les prévenus, indifféremment. Même les grands-mères qui déclarent dorénavant consacrer leur vie à leurs petits-enfants ! Ou les retraités Fernand Le Rachinel ou Bruno Gollnisch qui, même si ce dernier envisage de se présenter au conseil municipal de son village, ont leurs carrières politiques derrière eux. «C’est parce que les réquisitions ne sont pas neutres qu’elles n’ont pas été individualisées», conteste la défense. De fait, l’exécution provisoire pose un problème d’État de droit et de démocratie car les prévenus ne pourraient être candidats, avant même une décision définitive. Comme l’a résumé Me Wagner, «quand la politique entre dans le prétoire, la justice en sort aussitôt.»
«Juger, c’est aimer écouter, essayer de comprendre et vouloir décider.» Cette citation de Pierre Drai est affichée sur les murs du Tribunal de Paris où travaillent la juge Bénédicte de Perthuis et ses assesseurs.