Le président américain a autorisé l’Ukraine à tirer des missiles américains ATACMS contre la Russie. Analyse.
Alors que Joe Biden sait désormais que la politique de son successeur sera radicalement différente de la sienne sur le dossier ukrainien, sa décision d’autoriser l’Ukraine à utiliser des missiles longue portée ATACMS fournis par les États-Unis pour frapper des cibles en Russie interroge. Ce véritable tournant dans la stratégie américaine en Ukraine n’est-il finalement qu’un baroud d’honneur visant à sauver ce qu’il reste en Ukraine avant d’hypothétiques négociations défavorables au président Zelensky ?
Une rupture majeure
Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’aide militaire américaine s’est progressivement intensifiée. Alors qu’au début du conflit, Washington livrait surtout des équipements défensifs et effectuait du renseignement, son appui militaire est monté en puissance avec des systèmes d’artillerie avancés, chars modernes, et, plus récemment, avions de chasse. Chaque étape a repoussé les limites d’un soutien initialement mesuré. Avec l’autorisation de frapper le territoire russe avec des missiles ATACMS, une ligne symbolique vient d’être franchie : frapper la Russie à des fins offensives, car jusqu’à présent l’Ukraine pouvait uniquement frapper le territoire russe que pour défendre Kharkiv menacé d’invasion.
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Le choix de ce moment précis n’est pas anodin. Sur le terrain, l’Ukraine est sous pression. Depuis les premières semaines du conflit, la Russie n’a jamais autant avancé qu’en octobre dernier : 478 km2 selon l’Institut américain pour l’étude de la guerre (ISW). Les avancées russes dans les régions de Donetsk et dans une moindre mesure de Koursk capitalisent sur les nouvelles recrues russes ainsi que la présence de troupes nord-coréennes. Car la donne a changé avec l’élection de Donald Trump et l’ouverture d’un scénario d’accord de paix territorial au début 2025. Pour la Russie, il s’agit de pousser son avantage au maximum avant la fin janvier. Pour les Etats-Unis, Joe Biden saisit l’opportunité de marquer de son empreinte ce conflit. Cette décision est autant une question d’héritage que de stratégie militaire. Biden, conscient que son mandat pourrait être jugé sur la gestion de ce conflit, cherche à se poser en défenseur de la démocratie face à l’autoritarisme.
Impact concret pour l’Ukraine ou baroud d’honneur ?
L’autorisation de frapper le territoire russe avec des missiles longue portée ouvre de nouvelles perspectives pour l’Ukraine. Désormais, Kiev peut frapper des centres de commandement russes, des lignes d’approvisionnement et des infrastructures critiques loin des lignes de front. À court terme, ces frappes pourraient ralentir les offensives russes et offrir un répit aux forces ukrainiennes. À moyen terme, elles pourraient perturber la logistique russe, forçant Moscou à revoir sa stratégie. À long terme, une pression soutenue pourrait même pousser le Kremlin à réévaluer son implication dans la guerre et être ouvert à une solution diplomatique.
Cependant, toute escalade comporte des risques. La Russie a déjà averti que des attaques sur son territoire constituent une ligne rouge, ce qui soulève des craintes de représailles. Une riposte russe pourrait viser les chaînes d’approvisionnement occidentales ou les flancs orientaux de l’OTAN. Et si ces missiles, malgré leur potentiel, n’avaient pas l’impact escompté, nous pourrions nous trouver face à un véritable tournant car des précédents montrent déjà les limites de l’escalade progressive. Les chars et avions de chasse envoyés par les Occidentaux à Kiev ont renforcé les capacités ukrainiennes sans pour autant bouleverser les rapports de force sur le terrain. Les missiles ATACMS pourraient subir le même sort : une ligne franchie sans résultats stratégiques significatifs. Pire encore, ces frappes pourraient inciter la Russie à durcir encore davantage sa position, rendant le conflit plus sanglant et prolongé.
Un baroud d’honneur qui peut coûter plus qu’il ne rapporte
Malgré les risques, la décision de Biden pourrait renforcer la position de l’Ukraine dans de futures négociations. Avec le retour de Donald Trump, la paix se profile en 2025, et même Zelensky s’est fait à l’idée. La capacité de Kiev à frapper en territoire russe pourrait forcer Moscou à prendre plus au sérieux d’éventuels pourparlers de paix et être ouvert à certaines demandes occidentales. D’autant plus que Zelensky contrôle toujours la zone de Koursk en territoire russe, une zone qui vaudra très chère pour l’Ukraine dans l’hypothèse de négociations territoriales, tant la Russie ne peut laisser une telle humiliation en l’état. L’administration Biden parie que ces missiles permettront en plus à l’Ukraine de négocier en position de force, plutôt que de faiblesse car selon différents proches de Donald Trump, la négociation de 2025 se fera sur la base des territoires contrôlés à la fin du mois de janvier.
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Pourtant, ce baroud d’honneur pourrait coûter encore plus cher à l’Occident d’un point de vue diplomatique. L’implication croissante de la Corée du Nord aux côtés de la Russie illustre à quel point ce conflit est devenu un théâtre d’affrontements géopolitiques mondiaux. Certains alliés européens craignent que les frappes en territoire russe n’entraînent des représailles susceptibles d’intensifier voire mondialiser le conflit. A ce titre, la décision de Joe Biden, bien que courageuse, pourrait définitivement placer l’Occident en situation de co-belligérance. Or, le récent sommet des BRICS de Kazan a montré que Vladimir Poutine n’était pas aussi isolé que les Occidentaux l’imaginent, même si l’unité derrière lui n’existait pas pour autant. Un tel acte pourrait forcer le Sud Global, opposé à l’Occident et constitué de pays attachés à la préservation de leur intégrité territoriale, à soutenir davantage Vladimir Poutine, à minima d’un point de vue symbolique.
Ainsi, la décision de Joe Biden montre que si la situation est extrêmement complexe, le « en-même temps » et les tergiversations ne fonctionnent pas. Que vaut un soutien militaire accru de l’Amérique au moment où la Russie est plus forte que jamais et lorsque les incertitudes sur la politique étrangère américaine n’ont jamais été aussi importantes ?
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