Le film d’animation La Plus Précieuse des marchandises, un documentaire insoumis, mais insignifiant, et le grand Ophüls pour couronner le tout : ainsi va en novembre le cinéma dans les salles obscures…
Fable
La Plus Précieuse des marchandises, de Michel Hazanavicius
Sortie le 20 novembre
Michel Hazanavicius prend manifestement un malin plaisir à n’être jamais là où on l’attend. Un jour, il redonne vie à un OSS 117 aussi crétin que réjouissant sous les traits de Jean Dujardin. Un autre, il égratigne avec brio la statue de Godard. Un troisième, il rend hommage au cinéma muet et remporte un Oscar pour cela. Cinéaste cinéphile adepte de détournements d’images et de sons, il nous revient cette fois avec un drôle d’objet cinématographique. On le savait scénariste et réalisateur, on le découvre aujourd’hui dessinateur et capable même de bâtir un splendide film d’animation. Certes, un studio tout entier s’est mobilisé derrière lui pour créer des images à partir de ses dessins mais l’auteur, c’est bien lui et lui seul. Cet étonnement sur la forme vient à l’appui d’une surprise sur le fond du propos. Délaissant la blague, le pas de côté ou l’exercice de style, Hazanavicius adapte un court texte de Jean-Claude Grunberg, La Plus Pécieuse des marchandises, le récit d’un bébé juif sauvé d’une mort certaine par l’épouse d’un « pauvre bûcheron ». Le tout dans un pays indéterminé mais néanmoins situé le long d’une sinistre voie ferrée dont le terminus pourrait s’appeler Auschwitz.
C’est à l’évidence une fable, avec son lot de belles âmes et de noirceur, d’espoir et d’abattement, de rires et de larmes. Le « Il était une fois » traditionnel se pare ici des vertus d’une évocation historique que seuls les esprits faibles trouveront superflue. À l’heure où des chiffres catastrophiques prouvent l’ignorance crasse des collégiens et des lycéens français à l’égard de l’extermination des juifs d’Europe par les nazis, un tel film ne peut qu’être d’utilité publique et de première nécessité. Refusant toute facilité narrative comme tout effet voyeuriste et complaisant, Hazanavicius se montre d’une fidélité totale à l’esprit et à la lettre du texte de Grunberg. Et c’est précisément dans ce récit littéraire que réside l’un des atouts majeurs du film. Loin de faire la malin, le cinéaste a repris pour son scénario des pans entiers d’un texte écrit à la pointe sèche. En le donnant à lire à Jean-Louis Trintignant, il en a renforcé l’incroyable portée crépusculaire. C’est en fait le dernier « travail » de l’acteur devenu presque aveugle et que la mort a fini par emporter en juin 2022. L’enregistrement de la voix off du film est intervenu bien avant l’achèvement de l’objet cinématographique proprement dit. Comme s’il y avait eu bel et bien urgence à confier à l’incroyable phrasé chuchoté de Trintignant la lourde responsabilité d’incarner le conteur. C’est alors une voix d’outre-tombe qui porte les images du film, comme un testament artistique majeur. Les deux autres voix principales (les acteurs Dominique Blanc et Gregory Gadebois) sont parfaitement à la hauteur de cette dimension atteinte par Trintignant.
En choisissant le noir et blanc pour son dessin, Hazanavicius renforce une exigence faite d’intelligence et de sensibilité. Son trait est tout à la fois précis et mouvant, alerte et profond. La neige s’anime comme jamais et chaque arbre d’une forêt-refuge prend des allures humaines. Cette forme animée ne doit rien au hasard. Tout ici ressort d’un projet artistique longuement pensé et mûri. Le temps très long de l’animation, de sa fabrication, de sa finalisation permet évidemment d’atteindre ces objectifs ambitieux. Mais ici, on est encore un cran au-dessus de la moyenne. Idéalement, il faudrait que ce film irradie dans les collèges et les lycées. Mais on frémit à l’idée que les soubresauts de l’histoire immédiate paralysent certains enseignants et les empêchent de montrer La Plus Précieuse des marchandises à leurs classes ignares. Ce serait une nouvelle victoire de l’obscurantisme et de l’impossibilité à penser l’histoire. Resteraient alors les parents, dépositaires d’un devoir de transmission. Et après tout, ce film s’adresse aussi à eux. Voir un film en famille, est-ce trop demander ?
Foutaise
Au boulot !, de Gilles Perret et François Ruffin
Sortie le 6 novembre
La démagogie est la chose la mieux partagée au monde et n’a pas de limites. On arrive rapidement à cette conclusion en découvrant Au boulot !, le nouveau documentaire de Gilles Perret réalisé avec François Ruffin. Le premier aime manifestement filmer les Insoumis, car son précédent film était un portrait complaisant de Mélenchon. En s’alliant cette fois avec le député Ruffin, il fait preuve d’une belle constance idéologique. Les deux auteurs ont décidé de défier l’avocate Sarah Saldmann, habituée des plateaux télé et des formules à l’emporte-pièce. On se croirait sur Canal + tendance historique tant les ficelles sont grosses : il s’agit de mettre la Saldmann bling-bling face à la France d’en bas, des premiers de cordée dont personne ne songe à remettre en cause et l’abnégation et le courage au quotidien. Mais quel est l’intérêt profond d’une telle démarche, sinon de se payer, et pour pas cher, une figure médiatique ? L’avocate n’aurait jamais dû accepter le principe d’un tel « documentaire ». Nul ne l’a forcée et le piège s’est refermé sur elle. Le résultat est une curée assez facile qui se termine sur une plage du Nord par un sommet de complaisance veule.
Feux d’artifice
Trois films de Max Ophüls en version restaurée
Sortie le 6 novembre
Évidemment, il y a Vigo, Renoir, Grémillon, Pagnol et Guitry, entre autres. Mais au milieu trônent Max Ophüls et ses films qui n’en finissent pas de nous charmer. Trois d’entre eux ressortent sur les écrans et l’on s’en réjouit bigrement. Deux chefs-d’œuvre, Le Plaisir (1952), Madame de… (1953)et une rareté, Sans lendemain (1939). Trois occasions de plonger ou de replonger dans l’univers délicat, magique, tragique et profondément mélancolique du cinéma d’Ophüls. Lui dont Truffaut a dit un jour : « Il était pour quelques-uns d’entre nous le meilleur cinéaste français avec Jean Renoir. » Lui qui a su si bien rendre compte de l’extrême fragilité des sentiments humains. Lui dont le cinéma est comme une ode à l’élégance.