Plus féministe que notre chroniqueur Jean-Paul Brighelli, tu meurs ! Encore faut-il s’accorder désormais sur ce que l’on appelle « féminisme », parce qu’au féminisme universaliste et républicain est venu s’opposer le féminisme revendicatif, anti-mâle et tue-l’amour de la génération #MeToo, qui récuse les hommes dans l’univers patriarcal et prétend instaurer une scission définitive entre les sexes. Grand bien leur fasse.
On se rappelle la formule de Vigny, dans « La Colère de Samson » : « Les deux sexes mourront chacun de son côté ». Après quelques centaines de milliers d’années à s’être échinés à peupler une terre hostile, les hominidés semblent avoir décidés d’en finir avec la reproduction, et tout ce qui y amenait : la galanterie, l’amour et les relations humaines.
Telle est la thèse de Frederika Abbate, dans un stimulant petit livre intitulé La Femme est une île, et dont le sous-titre est celui que j’ai choisi pour cette chronique.
Un coupable presque parfait : la construction du bouc émissaire blanc
La Femme est une île… Certains peut-être ici sont assez vieux pour se souvenir de cette pub des années 1970-1980 pour le dernier-né des parfums Guy Laroche, où une femme nue, agenouillée à la limite des vagues sur une plage supposée paradisiaque, câlinait un grand flacon du dernier « jus » (c’est comme ça que l’on dit) du parfumeur. Une image qui ne passerait plus aujourd’hui, étant entendu que les femmes ne se promènent pas toutes nues aux Fidji ni ailleurs, sont poilues comme des gorilles et vêtues de l’éternelle combinaison des chauffeurs-routiers, dernier accessoire de mode chez les émules de Virginie Despentes ou Alice Coffin.
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La République exaltait la fraternité. Les chiennes de garde prônent la sororité, de façon à évacuer tout élément mâle. Mais attention : « La cible des néo-féministes ne concerne pas tous les hommes, mais les Occidentaux seulement, les Blancs, et en priorité de plus de cinquante ans (…) Les plus jeunes, avec une instruction publique dégradée et une entreprise de « déconstruction » masculine en bonne et due règle, sont moins dominants que les hommes plus âgés. » Elle est loin l’époque où Albert Cohen (un sale type, Juif de surcroît) expliquait dans Belle du seigneur que les femmes vénèrent les gorilles. Après avoir transformé leurs ultimes rejetons mâles en ouistitis, elles lâchent leurs coups : « L’accent qui est mis sur l’homme blanc marque bien sûr la volonté de séparer les humains en deux camps distincts : les opprimés et les oppresseurs. Et le Blanc se situe à la cime de la liste des oppresseurs. »
Inversion générale
C’est la raison pour laquelle un viol commis par un migrant est plus supportable, au nom de l’inter-sectionnalité des luttes, que celui tenté par un Gaulois. Une tentative de baiser sera donc punie par la justice comme s’il s’agissait d’un crime — voir ce qui vient d’arriver à Nicolas Bedos, qu’Elisabeth Lévy analyse en détail, pour s’en effarer, dans le dernier numéro de Causeur. Pendant ce temps, les racailles basanées sont condamnées à des stages-poney.
Revenons à la publicité Guy Laroche. Au premier degré, l’instrumentalisation érotique du corps féminin est évidente. Mais l’aspect subliminal, parfaitement décrypté par Frederika Abbate, suggère que la bouteille bercée dans les bras de la créature du lagon bleu est un substitut d’enfant — et que la destination finale de la femme est évidemment d’enfanter : des mioches ou des fioles de parfum. Cette essentialisation « naturelle » est aujourd’hui inacceptable, pensez, il y a lurette que Beauvoir a expliqué qu’on ne naît pas femme, on le devient.
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(Parenthèse : Abbate note assez perfidement que l’autrice du Deuxième sexe a conservé à son doigt, jusque dans la tombe qu’elle partage avec Sartre à Montparnasse, la bague de fantaisie que lui avait donnée Nelson Algren, son amant américain. Dans une biographie fort documentée (Beauvoir in love, 2012), Irène Frain raconte d’ailleurs, en large, en travers et en profondeur, combien la co-papesse de l’existentialisme adorait se faire démonter par ce robuste écrivain prolétarien, et gésir comme une méduse échouée sur leur lit défoncé d’amour à Chicago).
Dans l’inversion générale des valeurs qui caractérise le féminisme nouveau et toute la société occidentale moderne, on comprend bien que la reproduction — l’extraordinaire pouvoir de la reproduction — soit le dernier souci des féministes, qui viennent de lancer le mouvement 4B (no marriage, no childbirth, no dating men, no sex with men) afin de contrer les résultats présumés catastrophiques de l’élection de Trump. Cela rejoint le primat du lesbianisme, le « trouble dans le genre » selon sainte Judith Butler, ou les menaces transhumanistes qui promettent l’identité sexuelle de votre choix.
Évidemment, cela ne concerne que le monde occidental. Les autres, les anciens dominés du système patriarcal-colonisateur, peuvent bien assigner les femmes à une inexistence de fait — jusqu’à les couvrir de voiles noirs, en Arabie Saoudite, ou leur interdire de parler entre elles, en Afghanistan. Danielle Mitterrand, qui légitimait l’excision, fut la grand-mère des toutes ces cinglées qui occupent les médias et les tribunaux.
Les garçons sont d’ores et déjà déconstruits, et se satisfont d’un corps d’endive cuite. Les compagnons de nos viragos, quand elles en ont encore, restent à la maison, abonnés exclusifs aux tâches ménagères et à la culpabilisation. Les enseignants font des cours sur le transgenrisme, incitant les jeunes indécis à s’interroger sur ce qu’ils sont, de façon à ce qu’ils ne soient plus rien. Il est bon que de temps en temps des femmes intelligentes s’insurgent contre la pensée magique de leurs consœurs, si désireuses d’instaurer cette « société liquide » où vous passerez d’un genre à l’autre — jusqu’à vous dissoudre.
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