« Je trouve assez scandaleux le procès médiatique et politique » fait à Bruno Le Maire sur le dérapage du déficit, a assuré l’ancien Premier ministre Gabriel Attal au Sénat, vendredi.
Autrefois, dans les cours de récréation des classes primaires, le « c’est pas moi, M’sieur, c’est l’autre » était d’usage chaque fois que se profilaient un coup de règle sur les doigts, un séjour au coin ou deux heures de retenue le jeudi. Mais c’était la communale, les petites classes d’avant le certif’. Aujourd’hui, on se permet cette pratique jusque dans la cour des grands. Des grands parmi les grands. Les gens de pouvoir. Voilà ce à quoi nous venons d’assister dans le cadre de la mission parlementaire sénatoriale d’information sur la dérive des comptes publics.
Étaient entendus les deux premiers de classe sortants, renvoyés à leurs chères études avec l’ensemble de leurs condisciples du gouvernement par des citoyens qui, demeurés au niveau du primaire, n’auront pas su se pénétrer assez de leur extrême compétence. J’ai nommé ici MM. Attal et Le Maire. L’un et l’autre attelés au char de l’État depuis l’élection du président Macron, autrement dit sept longues années. Interminables années, diront certains. Le premier cité fut comme une sorte d’intermittent dans cet orchestre si souvent dissonant. Un moment à ce pupitre, un temps à cet autre, enfin au premier, là où la gesticulation politique s’exécute baguette à la main. Le chic du chic.
Ces messieurs avaient à rendre compte de l’état désastreux des finances publiques, du déficit abyssal que laissent leurs sept années d’exercice. Et là, d’une même voix ou presque, les voilà qui nous ressortent l’inusable « C’est pas moi, c’est l’autre ». En clair, si le déficit atteint le sommet vertigineux des 6,1% au lieu des 5,5 % précédemment annoncés par ces mêmes sortants – non pas au son du clairon, mais au son du pipeau, instrument dans l’art duquel ils sont passés maîtres – c’est la faute non pas à Rousseau comme le chante Gavroche, mais à Barnier. Barnier dont ils font sans vergogne l’héritier de la patate chaude, pis que brûlante même, du gouffre financier.
M. Attal l’a affirmé : 5,5%, il l’aurait fait s’il n’y avait pas eu dissolution. Pas de chance. Être sur la bonne voie et se la voir barrée pour une baliverne aussi méprisable qu’un scrutin, quoi de plus agaçant !
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M. Le Maire joue évidemment la même partition. S’il était resté, on ne raserait pas forcément gratis à Noël prochain, mais à un moindre coût tout de même. La preuve, en partant il aurait « laissé sur la table » (sic) tout ce qu’il faut pour remédier à ses sept années de dérapages incontrôlés. Sept ans, le temps de l’âge de raison. Il y accédait. Enfin ! Là encore, dommage.
Avec lui au tiroir-caisse, assure-t-il, c’était le retour au 3% de rigueur à l’horizon 2027 et l’équilibre en 2032. Deux millésimes d’élections présidentielles, notons-le au passage. M. Le Maire sous-entendrait-il par-là que, avec lui à Bercy jusqu’en 2027 et à l’Élysée les cinq années suivantes, la France renouerait avec l’équilibre budgétaire, ayant de surcroît épongé son océan de dettes ? On peut le penser. L’homme en effet a une formidable confiance en lui et s’il lui arrive de se montrer perplexe devant certaines décisions présidentielles, jamais il ne lui viendrait à l’esprit de douter de son génie. Génie polymorphe, comme on le sait : politique, littéraire, pédagogique. Ceux-là s’ajoutant à celui du pipeau déjà évoqué.
Le responsable de la débandade budgétaire ne serait donc autre que le nouveau venu, le nouveau Premier ministre. Rien que pour embêter notre paire de sortants, il aurait sorti le 6,1% de son chapeau. Alors que, à la vérité, il n’a fait qu’ausculter avec sérieux le malade, pris sa température avec le bon thermomètre. Et livré le vrai résultat.
Mais MM Attal et Le Maire n’en démordent pas. Ils sont victimes de malveillance. Ou d’incompétence, ainsi que le second ne craint pas de l’affirmer. S’il a été à ce point incapable de prévoir l’effondrement des recettes, c’est à cause de son administration qui n’a pas su ou voulu l’informer. Après tout, il se peut que les gens de ses services aient répugné à le déranger tandis qu’il se concentrait sur l’écriture de ses polissonneries de post-pubère prolongé… On les comprend. Et puis, plaide-t-il, il aurait tenté des arbitrages pour éviter le naufrage. Sans succès. « On ne démissionne pas pour un arbitrage perdu », se défend-il. Si l’arbitrage porte sur la couleur des stylos à bille, certes. Mais s’il s’agit de dizaines de milliards d’argent public, la chose, à tout le moins, se discute.
Il reste que ces comportements relèvent eux aussi d’une forme d’immaturité psychologique, d’hubris post-pubère. Le « C’est pas moi, c’est l’autre », répétons-le, est excusable en cour de récré. Au-delà, il n’est qu’indigne et pitoyable.
Tandis que M. Le Maire se trouvait en compagnie de quelques soutiens dans un restaurant proche de l’Assemblée, attendant de passer devant la commission, le député socialiste Boris Vallaud a eu ce mot aussi pertinent qu’amusant : « Faites attention qu’il ne vous laisse pas l’addition, parce qu’il en a une certaine habitude. » J’allais dire, nous citoyens contribuables sommes payés pour le savoir. Quelle ineptie ! Non, nous allons payer pour le savoir et aussi pour nous en souvenir. Longtemps, très longtemps. Ce qui n’est pas tout à fait la même musique.