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Quand les psys écrivent des contes

Laurent Pépin publie « Clapotille » (Fables fertiles, 2024)


Quand les psys écrivent des contes
Laurent Pépin. DR.

Après une rentrée littéraire monstrueuse, pleine de livres que nous ne lirons jamais, d’idées éculées et bien-pensantes, il est temps de s’intéresser à la vraie littérature et aux petits éditeurs discrets qui dénichent de vraies plumes, comme la maison d’édition Fables fertiles qui édite les contes pour grandes personnes de Laurent Pépin. Avec Clapotille, le psychologue-écrivain clôt sa trilogie… De quoi retourner au pays des merveilles ?


Imagine-t-on Bruno Bettelheim, auteur de La Psychanalyse des contes de fées, abandonner l’analyse pour recourir à la fiction ? Ne lui manquerait-il pas un peu de cette innocence coupable qui est la clé des contes réussis ? Savoir que la princesse qui se pique le doigt à un rouet et s’endort représente toutes ces jeunes filles qui, enfin nubiles, sont mises sous clé par des parents inquiets, jusqu’à ce que l’élu se présente, ça stérilise l’imagination…

Laurent Pépin, psychologue clinicien de formation, a donc pris le risque, en écrivant ses contes modernes, d’aller dans le sens du symbolisme à la portée des caniches, comme disait Céline.

Cauchemars

Pari pourtant réussi. Après Monstrueuse féérie en 2020 (réédité en 2022 dans une version révisée), qui adoptait la voie de la poésie la plus dévastatrice pour ressusciter les monstres et les confronter, au prix d’une « décompensation poétique », avec l’elfe que chacun porte en soi, il a écrit L’Angélus des ogres (2021), qui permet de ré-affronter, à l’âge adulte, les bêtes étranges qui vivent sous votre lit — belle métaphore de l’inconscient. Le Petit Poucet choisit de rester dans la forêt où les ogresses sont anorexiques, et les enfants traumatisés sont consolés avec des « éclairs à la viande crue ; babas à l’encre de lampyre ; gâteaux au sang caillé : tarte, où les olives et les raisins voisinaient avec la chair noire, faisandée, de bêtes en décomposition, tourtes aux pruneaux et aux anguilles vivantes qui frétillaient dans le feuilletage » : il s’agit de permettre aux malades que nous sommes de surmonter leurs traumas en redécouvrant des liens oubliés entre les mots. Parce que construire des phrases avec ses cauchemars est le premier pas vers une libération espérée.

Laurent Pépin achève, avec Clapotille (toujours dans la petite maison d’édition des Fables fertiles) une trilogie dont le titre global est Se tenir debout face aux vivants. Sacré programme.

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La toute jeune Capotille évolue dans « les bas-fonds de la Ville ». La terreur est partout, « les gens se cachent et ceux qui ne se cachent pas, ce sont tous des gens identiques ». Le rêve est devenu illégal, dangereux puisque susceptible de virer au cauchemar. Un effluve de rêve de travers et vous voilà bourreau et non plus victime. C’est le Rhinocéros de Ionesco repensé par Sigmund F. A chaque phrase nous faisons « des allers-et-retours entre son monde imaginaire et notre médiocrité désenchantée ». Nous ne sommes pas loin de ces bars-à-rêves clandestins aux noms de cocktails hallucinés — ceux peut-être que confectionnait Colin sur son pianocktail dans L’Ecume des jours. L’un sirote son « rêve-lointain-de-paysages-oubliés », l’autre son « rêve-à-exhumer-les-amours-perdues » : annoncez la fêlure de votre âme, comme disait Baudelaire, vos monstres et vos trous noirs distordus. Ciel ! Serait-ce une métaphore ?

Notre rapport perdu à l’imaginaire

Clapotille n’est ni un conte ni une dystopie, mais une fable, à peine déguisée, sur la tragédie de notre temps et notre rapport à la littérature et à l’imaginaire.

Nous nous sommes laissés endormir par la réalité-vraie, le récit-véridique, le témoignage-vécu et autres sornettes, taxant d’histoires de bonnes femmes les recettes à base de bave de grenouille. Nous avons oublié que c’est sous l’esquisse des vagues de l’horreur qu’« une réalité brute se transforme un jour en une image allégorique » : « Des formes apparaissent dans le flacon, des ombres, des essaims de couleurs. Et une musique ancienne, accrochée aux souvenir du corps » — mais c’est à nous, lecteurs, d’y mettre nos notes. Grâce aux inventeurs de mondes comme Laurent Pépin, nous ne sommes pas toujours « condamnées à nous dessiner tout seul », ni à errer comme des âmes en peine.

Laurent Pépin, Monstrueuse féérie, Fables fertiles, 2020 et 2022, 120 p.

L’Angélus des ogres, Fables fertiles, octobre 2023, 100 p.

Clapotille, Fables fertiles, octobre 2024, 125 p.

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Agrégée des Lettres et Docteur ès Lettres des Universités d'Aix-Marseille et Autonome de Madrid.

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