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L’amour, continent mystérieux

Philippe Labro publie "Deux gimlets sur la 5e Avenue" (Gallimard, 2024)


L’amour, continent mystérieux
L'écrivain Philippe Labro invité de l'émission "La grande librairie" sur France 5, cette semaine. Capture TV.

Philippe Labro, le plus américain de nos écrivains français, qui fêta ses 18 ans sur une route américaine, peut-être la mythique 66, publie chez Gallimard ce qu’on appelle une novella, texte trop court pour être un roman, et trop long pour être une nouvelle.


La novella, c’est un genre exigeant. Il faut du rythme, de la précision, de l’équilibre. Labro possède toutes ces qualités. Ajoutons-y la plus importante : l’imagination. Le délicieux et morandien Michel Mohrt, au crépuscule de sa longue vie, avait lui aussi signé une novella intitulée Un soir, à Londres. Martin a rendez-vous avec Victoria qu’il a connue pendant son enfance. Mais la ressemblance entre les deux récits s’arrête là…

Les bons cinéastes font de bons romanciers

Ça commence à Paris, en 1961. Le gris domine, celui des façades de la capitale, des costumes des ministres, du ciel. La guerre d’Algérie agite tous les esprits. Un homme et une femme sont sur le point de se quitter. Élisabeth et Lucas, entre 20 et 23 ans, se sont aimés, mal. Lucas était immature et trop narcissique, dépressif, déjà vieux dans sa tête à vouloir vivre dans le passé proche. Les yéyés avaient tout emporté ; mais lui s’obstinait à écouter les grands standards américains des années 30 et 40. Il était également cinéphile, une dévorante passion. Élisabeth n’était pas de nature rêveuse. Blonde, d’un blond « Racing », le sourire « Colgate », les yeux jais, elle possédait un tempérament qui ne se satisfaisait pas des états d’âme de Lucas, jeune homme autodestructeur hanté par la mort de son frère Antoine, tué en Algérie. Alors elle a rompu, tandis que Lucas évoquait la maladie des marronniers du jardin du Luxembourg et « le caca » des pigeons qui dérèglait les horloges de Paris. La scène de rupture est très cinématographique. Rien d’étonnant : Philippe Labro a réalisé de bons films. Mais les mots qu’il emploie pour évoquer la rupture ne ratent pas leur cible, le cœur du lecteur. Il écrit : « Lorsqu’une femme choisit de rompre, elle agit avec une détermination, une énergie quasi féroce, des gestes précis et concrets, les preuves tangibles du non-retour. » Il ajoute, cruel : « Les hommes sont plus lâches. Ils ont peur de la solitude. Leur faiblesse est là. »

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40 ans plus tard, le hasard permet à Lucas et Élisabeth de se retrouver sur la 5e Avenue. Elle reconnaît son dos, immédiatement. On est en 2001. « Le viol » des Twin Towers par les Boeing des terroristes saoudiens vient de se produire. Changement de paradigme, accélération de l’Histoire. Le XXIe commence. La guerre fait débuter les siècles. Philippe Labro analyse avec pertinence les bouleversements qui se produisent dans le cerveau des soldats. Lucas, peut-être un peu mythomane, raconte qu’il a passé près de dix mois au Viêtnam, au milieu des combats. À Élisabeth, au bar d’un hôtel, le Sherry Netherland, devant un gimlet – gin et jus de citron vert –, Lucas s’épanche : « Car c’est un virus, la guerre. On prétend que le virus a disparu et l’on suppose que les poumons sont intacts. C’est faux. Il y a des fibroses qui restent. Et puis, comment te dire, il n’y a plus grand-chose qui t’étonne. » Ils se racontent leur absence de 40 ans. Je vous laisse la découvrir, avec leurs joies et leurs désillusions. Ça ne colle toujours pas vraiment entre eux. Philippe Labro avoue : « Ils étaient devenus deux adultes qui ne ressemblaient plus aux jeunes gens d’autrefois. Ressemblaient-ils à eux-mêmes ? »

Nostalgie, une définition

Lucas n’est pas un homme complet, et cette incomplétude dérange Élisabeth. Il se drape alors dans la nostalgie, ce qui permet à Labro d’écrire une belle page sur ce qui est la preuve d’un manque impossible à combler. Il résume ainsi la nostalgie : « L’odeur des peaux de mandarine dans les wagons de deuxième classe. » Des deux, c’est Élisabeth la plus américaine car si le Français dit que « c’était mieux avant », l’Américain annonce que « demain est un autre jour. » Elle s’éloigne à nouveau pour lui laisser le temps de se trouver, et de composer avec « la parfaite imperfection de (sa) vie. »

La fin est inattendue. L’amour nous réserve des surprises. Il prend son temps, qui n’est pas celui du plus-que-présent que l’époque nous impose. Il échappe aux lois de la rationalité. C’est, au fond, assez rassurant. 

Philippe Labro, Deux gimlets sur la 5e Avenue, Gallimard. 128 pages.

Deux gimlets sur la 5ᵉ Avenue

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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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