Surprise: des électrices américaines ont estimé que certains sujets étaient plus importants que l’avortement
Les chaînes d’information françaises en ont fait leurs choux gras pendant les deux derniers jours de la campagne présidentielle aux Etats-Unis. Sauf une, je vous laisse deviner laquelle. Il existerait un vote caché des femmes républicaines, et ce vote pourrait très bien donner la victoire à la candidate démocrate.
Les femmes républicaines considérées comme décérébrées
Les femmes républicaines entrent dans le bureau de vote au bras de leur époux, forcément un patriarche grincheux et autoritaire, et une fois dans l’isoloir, je t’embrouille et j’exprime ma liberté de femme et ma volonté de protéger le droit à l’avortement, je noircis la case correspondant au vote pour Kamala ! Un clip a mis en images ce scénario de rêve, la républicaine enfin libérée de la tutelle masculine adressait dans la dernière image un clin d’œil joyeusement complice au spectateur. Donc il y aurait un vote caché, donc les sondages se trompent, donc la Démocrate a encore toutes ses chances de l’emporter. Et les présentatrices et encore plus les présentateurs, de s’esbaudir dans la joie d’une communion dans le Bien, un Bien pro-féministe, pro-Kamala, anti-Mussolini, anti-Hitler, anti-tous les méchants.
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Personne n’osa dire que l’hypothèse inverse d’un vote caché des hommes démocrates en faveur de Donald Trump était tout aussi vraisemblable. Le dépouillement du scrutin a d’ailleurs montré que chez les Noirs et les Latinos les hommes n’avaient plus du tout envie d’être assignés au vote démocrate. Et vu le triomphe du Républicain, je me demande si les Barbie n’ont pas elles aussi voté pour lui. Personne n’osa dire que ce clip était insultant pour les femmes républicaines, a priori considérées comme des décérébrées incapables de choisir par elles-mêmes.
Individualisme contre intérêt général
Cette affaire de vote caché est apparemment anecdotique, mais l’anecdotique peut se montrer extrêmement révélateur, ainsi que l’a prouvé le voyage de notre président au Maroc. Ce clip suppose que l’électeur, une fois entré dans l’isoloir, ne vote qu’en fonction de son intérêt personnel, qu’il est incapable de choisir d’après ce qu’il pense être l’intérêt de sa société tout entière et du pays où il vit, incapable d’être – oh, je vais dire un gros mot – patriote. Il me semble que tout électeur raisonnable fait dans sa tête une liste hiérarchisée des problèmes de son pays et choisit un bulletin en fonction des réponses à ces problèmes que propose tel ou tel candidat. Un exemple que je n’irai pas chercher loin, ma modeste personne. Il m’est arrivé de voter pour une candidate dont je réprouvai totalement les idées antilibérales en économie, mais dont j’approuvai totalement les idées antimigratoires. Je pensais en effet qu’elle avait plus de chances que d’autres d’arriver au pouvoir et de mettre ses idées en pratique.
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Voter en fonction de ses intérêts personnels ou en fonction des intérêts de son pays ? On saute à pieds joints dans l’opposition anthropologique essentielle à notre époque : progressistes versus conservateurs, pour parler à l’américaine. L’individualisme ravageur des Démocrates américains comme des progressistes de tous pays pose en principe que la dame républicaine dans son isoloir est incapable de penser que les problèmes de l’immigration à la frontière mexicaine, la saine peur que pourrait inspirer à Poutine l’imprévisibilité de Trump, la fermeté de l’aide à Israël, sont plus importants pour elle que le soutien qu’elle pourrait accorder à l’interruption de grossesse aux Etats-Unis.
Le progressisme est ici pris la main dans le sac ; il préfère systématiquement les droits de l’individu à ceux de la société. “ Nous autres civilisations savons que nous sommes mortelles”, disait ce progressiste de Valéry. Qu’importe que la France meure, “que voulez-vous que ça me fasse que la France s’islamise”, pourvu que les droits individuels des migrants et ceux des djihadistes incarcérés soient respectés ? Qu’importe que les Italiens disparaissent d’Italie, que les gènes venus de Michel-Ange, de Palladio ou de Garibaldi finissent dans des préservatifs, pourvu que les migrants n’aillent pas dans le pourtant coquet centre de rétention construit en Albanie, pourvu que l’insatiable pouvoir des juges triomphe de la démocratie ?
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