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Poitiers, Rennes, Marseille… la France orange mécanique!

Drogue : les règlements de compte se multiplient en France


Poitiers, Rennes, Marseille… la France orange mécanique!
Quartiers nord de Marseille, 2020 © Lionel Urman/IPA/SIPA

Mexicanisation? Narco-Etat? La France est-elle en train de basculer ? Face aux innombrables fusillades liées au trafic de drogue (impliquant souvent des mineurs), de belles âmes s’emploient à minimiser l’effroi ressenti par les Français. Elles dénoncent avec gourmandise des inexactitudes dans les propos du ministre de l’Intérieur quant aux échauffourées survenues à Poitiers, ou comparent le nombre de victimes avec celui des morts liées au narcotrafic au Mexique. L’analyse de Céline Pina.


Dimanche, à minuit 59, la page d’accueil du Monde avait des airs d’Ici Paris : les quatre premières informations portaient toutes sur des faits divers sanglants ou des violences urbaines. L’un n’excluant pas l’autre. A Rennes, c’est le décès d’un homme de 20 ans tué à coups de couteaux qui faisait l’actualité pendant que l’on annonçait à Poitiers la mort d’un adolescent lors d’une fusillade. Laquelle faisait écho à une autre fusillade, à Valence cette fois-ci, ayant entrainé également la mort d’un homme. Le journal annonçait aussi que neuf interpellations après des violences urbaines avaient eu lieu dans la banlieue de Lyon.

Douce France

Bienvenue dans la douce France et ses belles provinces, elle tend à se transformer en « vous rentrez à OK Corral à vos risques et périls ». Cette accumulation de faits divers constitue un fait de société car ils marquent une évolution tragique : une explosion de la violence dont les politiques déplorent les effets sans jamais s’attaquer aux causes. Pourquoi ? Parce que les causes sont en train d’échapper à tout contrôle faute d’avoir accepté de regarder en face la situation. Parce que le trafic s’appuie sur des maux bien connus et n’est pas sans lien avec les questions du communautarisme, d’immigration incontrôlée, d’absence de contrôle des frontières. Et ce qui est merveilleux, c’est que le déni ne faiblit pas à gauche, laquelle concentre ses flèches sur le seul homme qui paraisse regarder en face la situation, Bruno Retailleau.

Quand Bruno Retailleau parle de mexicanisation, il ne fait pourtant que reprendre le discours et un certain nombre d’alarmes qu’avaient tiré depuis longtemps les spécialistes de ces questions. L’Europe est une cible essentielle pour le marché de la drogue : les contrôles y sont quasiment absents et il existe toute une piétaille (jeunes des cités, mineurs isolés, clandestins) qui sont la chair à canon du trafic. Ils sont interchangeables, n’ont aucune importance aux yeux de leurs employeurs et surtout sont exploitables à merci car les juges rechignent à les punir, achevant ici leur abandon par la société. Ce trafic s’ancre dans des territoires précis et est d’autant plus difficile à combattre qu’il crée un écosystème, une contre-société dans les mêmes lieux qui sont déjà des territoires perdus de la République. Barbus et trafiquants s’entendent en effet très bien. Les principaux producteurs de drogue ayant des liens avec l’islam radical, ou émanent des narco-états comme l’Iran par exemple. Les deux œuvrant chacun dans leur genre à la déstabilisation politique.

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L’explosion du trafic de drogue et des violences qui lui sont liées, le fait que cette gangrène se répande à une vitesse folle dans le périurbain est le résultat de politiques à la Gribouille dont tout le monde pouvait prévoir l’échec. Avoir réparti les migrants sur le territoire et envoyé un certain nombre de population ni intégrées ni intégrables en province a eu des conséquences dramatiques : les différents gouvernements Macron ont répandu dans la France entière des personnes en total décalage culturel et ne bénéficiant d’aucune prise en charge efficace, parce que trop nombreux et pesant sur des territoires dans lesquels le service public a disparu ou est exsangue. Ce phénomène a entrainé la mise à disposition pour des mafias en plein développement, d’un personnel taillable et corvéable à merci. Cela a ouvert de nouveaux marchés au trafic. Les violences constatées n’ont donc rien d’étonnant.

Les habitants des zones périurbaines supportaient l’abandon par l’Etat et la médiocrité des services publics, mais y restaient au nom de la tranquillité qu’ils trouvaient. Au moins échappaient-ils à l’OK Corral permanent que leur semblait devenir la région parisienne… Ils n’ont même plus cela, alors qu’aucun espoir de redressement des services publics n’est en vue.

Petites mains

Second point à relever : le trafic de drogue repose en partie sur l’exploitation des mineurs. Utiles pour surveiller les points de deal, faire le guet, ou jouer les nervis voire les tueurs à gage pour les plus abîmés. En refusant de lever l’excuse de minorité et de dispenser des sanctions fortes, la Justice cautionne les raisonnements des trafiquants : utiliser le plus possible de mineurs pour leur faire prendre un maximum de risques en leur expliquant qu’ils ne craignent rien ou très peu par rapport aux adultes. L’excuse de minorité devient alors une malédiction et non une protection : enfants et adolescents sont ciblés par les trafiquants pour servir de petites mains. En refusant d’ouvrir les yeux sur les conséquences dramatiques d’une mansuétude coupable, une partie de la Justice participe par son laxisme au développement du trafic et aux effets délétères d’un recrutement qui cible les plus fragiles. Qui veut faire l’ange fait la bête se vérifie une fois de plus. Mais, apparemment, se laver les mains de sa responsabilité à l’égard d’enfants, pour se glorifier de ne pas les traiter comme des adultes quand cela signifie en réalité les abandonner à leur sort, doit être vu comme une preuve de vertu chez les juges…

Autre difficulté pour lutter contre la violence des narcotrafiquants : le déni de la classe politique, la gauche et notamment LFI en tête. Première étape : comparer la situation actuelle du Mexique et celle de la France pour expliquer que, franchement, on en est encore loin donc qu’il est urgent de ne pas agir et de ne rien faire. Sauf que chez les spécialistes de la question, on parle aujourd’hui de tsunami blanc pour évoquer l’explosion de violence que génère le trafic de drogue. On le mesure en voyant l’importance des saisies. A Anvers, un des points principaux d’arrivée de la drogue sur notre continent, sur les 238 millions de tonnes de marchandises déchargées en 2020, seul 1% des containers est contrôlé. Et c’est la même histoire dans la plupart des ports européens. Notamment au Havre. Des aubaines pour inonder l’Europe d’autant plus grandes que sur cet aspect des contrôles à l’entrée, aucune annonce n’apparait bien convaincante ; on parle de scanner à l’entrée, de redéployer 23 douaniers au Havre, mais derrière ces annonces assez faibles, il n’y a aucun objectif. Et il est clair que passer de 1% de containers contrôlés à 2 ou 3% ne changera guère la donne.

Déplacement d’Emmanuel Macron à Marseille, 19 mars 2024 © Christophe Ena/AP/SIPA

On a eu une nouvelle preuve du déni qui frappe beaucoup de monde avec la polémique stérile lancée par Manuel Bompard à la suite les dramatiques évènements de Poitiers. Le député lfiste accuse Bruno Retailleau de mensonge. Il n’y aurait pas eu de rixe impliquant des centaines de personnes, juste une expédition punitive rassemblant une soixantaine de jeunes. Outre que le déroulé de cette soirée sordide n’est pas complètement connu, le député montre ici sa totale déconnection du terrain. Pour les habitants des villes petites et moyennes, ce point-là n’est qu’un détail. Ce qu’ils ont en revanche bien compris, c’est que ceux qui ont fait du 93 un département repoussoir sont en train de s’installer chez eux et reprennent les mêmes fonctionnements qui ont fait de la Seine-Saint-Denis un département où on ne vit pas par choix dans de nombreuses villes.

2024 : la France bascule ?

C’est ce refus obstiné d’ouvrir les yeux sur une bascule, selon certains déjà réalisée, qui ici alerte. Cela explique surtout pourquoi, en l’absence de doctrine partagée, les pouvoirs publics n’agissent pas efficacement : toute intervention et utilisation de la force déclenche des polémiques sans fins alors que des enquêtes sont toujours menées pour en vérifier le bon usage.

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A l’autre bout de la chaine, là où les décisions pourraient donner des résultats rapides, pas grand-chose n’est fait non plus. On l’a vu, l’excuse de minorité est devenue le moyen d’étoffer rapidement un CV d’homme de main, une activité que l’on peut commencer dès 10 ans. On peut même multiplier les expériences et améliorer ses qualifications sans jamais avoir fait un tour en prison. Grâce à la procédure d’effacement des condamnations, on peut même blanchir son casier judiciaire ensuite. Sans compter qu’en France une peine prononcée est rarement effectuée. Souvent le détenu est libéré quand il n’en a fait que la moitié. De la même façon, notre pays est d’une naïveté confondante. Savez-vous que chez nous, pour que les biens d’un trafiquant soit saisi, il faut que l’Etat apporte la preuve de l’origine frauduleuse des fonds ? Comme seul l’argent compte pour ces gens, qu’ils soient hommes de main, petits ou gros trafiquants, c’est au portefeuille qu’il faut frapper. En Italie, si la personne ne peut apporter la preuve de la traçabilité de son argent, tous ses biens peuvent être saisis.

Dernier point : supprimer les aides sociales et l’accès au logement social aux familles de trafiquants permettrait d’envoyer un message fort à tous ceux qui sont tentés de basculer dans cette activité, en plus d’assainir le territoire. Les conséquences du basculement dans la délinquance ne seraient plus hypothétiques et lointaines mais rapides, et elles couperaient les dealers de leur environnement.

Enfin, rien ne changera tant que les pouvoirs publics se comporteront en mater dolorosa et non en figure paternelle posant des limites. On le voit dans la polémique stérile à propos des jeunes victimes. Sont-ils des innocentes victimes, des dégâts collatéraux, ou ont-ils été ciblés car ils prenaient part aux trafics ? Que leurs mères clament leur innocence est normal, et une enquête doit être menée, mais que la question des liens entre victimes de fusillades et trafic puisse se poser est légitime au regard de nos connaissances sur le sujet – et n’est pas une preuve de racisme ou de mépris social.

Ce qui vient de se passer à Poitiers et la polémique stérile que tente de lancer LFI nous indique une chose : les choses ne sont pas prêtes de changer et pour de basses raisons politiciennes, une partie de la gauche est en train de regarder des territoires tomber, sans même un geste ou une pensée pour des habitants relégués aux confins des préoccupations parisiennes. Elle est même prête à tout pour faire échouer l’un des rares ministres qui prend le problème à bras-le-corps. Son idéologie vaut tellement plus que la vie de vos enfants.

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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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