Habitant Marseille, la ville qui est au cœur du narco-trafic que dénoncent les belles âmes sur le mode « y a qu’à », notre chroniqueur a trouvé dans Cramés, le dernier ouvrage de Philippe Pujol, journaliste d’investigation de gauche, si le mot signifie encore quelque chose, une description honnête des paumés des Quartiers Nord : tout un petit peuple de miséreux exploités par les caïds et qui n’ont d’autre choix que la délinquance minable, la prostitution et la prison. Des gosses que les vrais narcos exploitent, torturent à l’occasion et livrent sans états d’âme aux flics, puisqu’ils sont pour la plupart mineurs. Un addendum aux Misérables et à L’Assommoir.
J’avais jadis rendu compte de La Fabrique du monstre, le premier livre que Pujol a consacré aux laissés pour compte de Marseille. L’auteur, journaliste à La Marseillaise (le petit frère marseillais de l’Huma), y décrivait le monde des « charbonneurs », ces gosses reconnaissables à leurs doigts teintés de brun, qui dans des caves ou des squats fabriquent des joints douteux avec la came arrivée du Rif. Trop flingués déjà à quinze ans pour avoir l’idée de consommer le shit encore pur qu’ils reçoivent par Go Fast, par camions ou par containers — Marseille n’est pas un port pour rien. Non, ils préfèrent consommer la merde qu’ils fabriquent, avec addition de produits vétérinaires et autres excitants susceptibles de renforcer l’effet de la résine de cannabis. Ou qui aujourd’hui tenteront de se mettre à leur compte en diffusant de la MDMA, de la 3-MMC et autres excitants de synthèse fabriqués sur place.
2000 esclaves
Bref, ceux que Bruno Retailleau, qui n’y est pas allé voir, voudrait faire passer pour des narcos mexicanisés, sous prétexte qu’un ou deux gangs font parler d’eux dans la presse. D’ici à être la résurrection de Pablo Escobar, il y a loin. Comme dit Pujol : « Croire que la lutte contre les trafics passe par un combat du bien contre le mal est d’une naïveté presque touchante : les Bisounours aux manettes, sur l’arc-en-ciel de la morale, tous contre les méchants, contre le Professeur-Cœur-de-pierre et le sorcier Sans-Cœur… »
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Pujol brosse les portraits croisés de quelques-uns de ces pauvres gosses prématurément cramés, flingués avant leurs vingt ans — et comme jadis Paul Nizan, Pujol ne laissera personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. Pas pour Samir, ni pour Amal, ni pour Bouchra, dont le mari a été rafalé pour le compte, ni pour Cassandra, qui se console au protoxyde d’azote dont on trouve partout dans la ville des bobonnes grandes ou petites : « À la longue, note justement Pujol, le ballon, ça crame les neurones. » Ni pour celles qui ne font que de l’anal, afin d’arriver vierges au mariage — mais pourries de MST diverses. En tout, affirme Pujol, « il y a un minimum de deux milles esclaves du trafic de drogue à Marseille ». Ce ne sont pas ceux qu’il faut traquer, parc qu’ils sont interchangeables, et que la misère, la vraie, pas celle des films de Ladj Ly, les fabrique plus vite qu’on ne les tue ou qu’on ne les emprisonne.
Le trafic pas du tout incompatible avec l’islamisme
Quant aux affirmations hâtives selon lesquelles le narco-trafic protège de la radicalisation islamiste… Le lecteur sait-il que la cocaïne (et le blanchiment du trafic) est, après les subventions directes de l’Iran, la deuxième source de revenus du Hezbollah ? Ils ont bonne mine, les bêlants des droits de l’homme, qui défendent ces crapules… Grand merci aux israéliens qui en éliminent quelques centaines tous les quatre matins.
Au total, un livre saisissant, écrit avec les tripes par un homme qui ne se résigne pas, et qui témoigne de ce qu’il sait, de ce qu’il voit, et de ce qui le tue.
Philippe Pujol, Cramés, Les enfants du monstre, Julliard, septembre 2024, 219 p.