Dans son dernier roman, Yves Ravey nous embarque dans une nouvelle aventure un peu glauque, et confirme tout son savoir-faire pour distiller au gré des pages des atmosphères pesantes dans ses récits.
Yves Ravey, au fil de ses romans, décrit des personnages ballotés par l’existence, lâches, écrasés par la condition humaine. L’intrigue, le plus souvent, se déploie dans un cadre spatio-temporel difficilement identifiable. Sa nouvelle histoire, la 19e, ne chamboule pas les règles romanesques suivies par l’auteur. Elle se déroule aux États-Unis, non loin de la frontière mexicaine, dans un lotissement composé de maisons et cabanes en bois couvertes de plaques de tôles, entourées de pelouses synthétiques. Il y a notamment la maison de Sally et Miko, puis celle de Samantha et Steve. Il y a également le Dusty’s bar pour boire quelques verres à la tombée des ombres, ainsi que la Blue Spoon River pour pêcher à la mouche – Yves Ravey est très précis sur le sujet. Le personnage principal, qui est aussi le narrateur, habite dans cette zone d’habitations sans âme.
Sexe utile
Il se nomme Barnett Trapp ; sa femme, Josefa, l’a quitté pour un professeur d’histoire, Spencer. Il a un fils, David, qu’il ne voit plus. Ses affaires ne sont guère florissantes : son entreprise d’ambulances ayant fait faillite, il vend des produits d’entretien à bas prix stockés dans l’entrepôt jouxtant sa maison. Cet ancien militaire enrôlé dans les forces spéciales en Irak, picole et ne parvient pas à s’extraire du marasme. Alors il épie ses voisins avec ses puissantes jumelles de montagne, en particulier Sally, qui passe ses journées au bord de sa piscine aux reflets bleutés. Le narrateur : « Ce qui me permettait de détailler, vu la qualité des lentilles et des objectifs, le grain de sa peau à hauteur, disons, du haut de son maillot de bain. » Il est le témoin du manège de grosses cylindrées escortant des camionnettes, la nuit, derrière la villa de Miko, mari de Sally, propriétaire d’une chaîne de blanchisseries. Il subodore un trafic qui rapporte davantage que le nettoyage de linge. Prudent, il se tait. Sa devise : « Voir sans être vu ».
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Un jour, Miko propose à Barnett de prendre un verre chez lui. « Ma femme sera ravie de vous accueillir », dit-il. Le piège se referme alors. Barnett et Sally finissent par devenir amants. Ce n’est pas le coup de foudre, plutôt le sexe utile. Sally propose à Barnett de braquer son mari. Elle lui révèle que son coffre-fort contient un demi-million de dollars. Leur plan va subir de nombreuses modifications mais tous les personnages du roman, de près ou de loin, vont être impliqués. Ce qui plaît à Sally, c’est surtout de tromper l’ennui et de fuir au Mexique. Ce qui motive Barnett, c’est de fuir avec le fric. L’atmosphère devient de plus en plus angoissante, le savoir-faire de l’écrivain agit et distille un doute dévastateur.
Manipulations
Avec Que du vent, Yves Ravey confirme sa technique narrative exigeante et efficace, avec notamment le discours direct enchâssé dans le récit, permettant ainsi d’introduire des informations et indices qui complètent le puzzle, et mènent à la résolution finale, souvent inattendue. Il convient, cependant, de ne pas se laisser manipuler par le narrateur.
Ne pas oublier, non plus, que nous sommes en présence d’êtres humains cupides et pusillanimes – la fin le prouve –, incapables de modifier leur destin de médiocres. Ils restent au seuil de la tragédie.
Yves Ravey, Que du vent, les Éditions de Minuit. 128 pages
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