L’Union Algérienne, une association se revendiquant comme représentative de la diaspora algérienne en France, a décidé de porter plainte contre la mairie de Lyon, dénonçant l’apologie de crimes de guerre liée à une rue portant le nom du Maréchal Bugeaud, figure controversée de l’histoire coloniale. Le maire Grégory Doucet cédera-t-il aux pressions ?
Révélée par Lyon Mag’ dans une de ses éditions du 18 octobre 2024, cette affaire pourrait fortement sensibiliser les Lyonnais, attachés à leur patrimoine culturel. L’Union Algérienne a décidé de porter plainte contre le maire écologiste de Lyon, Grégory Doucet, pour «apologie de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité». L’association, représentant la communauté algérienne, cible particulièrement la rue du Maréchal Bugeaud, située dans le VIe arrondissement, non loin du consulat algérien, et exige son retrait immédiat en raison de l’image coloniale que ce nom, lié à un héros de l’histoire française, véhicule.
Marquis de la Piconnerie et Maréchal de France, Thomas Bugeaud (1784-1849) est une figure clé de la conquête de l’Algérie, devenue plus tard colonie puis départements français. Officier brillant, ayant fait ses armes à la bataille d’Austerlitz, il fut chargé par le roi Louis-Philippe Ier de réprimer la révolte menée par l’émir Abdelkader. Pour y parvenir, Bugeaud appliqua une politique de la terre brûlée, allant jusqu’à incendier des grottes où se cachaient des civils. Traquant inlassablement l’émir, il envahit le Maroc, qui finit par cesser son soutien à Abdelkader. En 1847, après onze ans de pacification brutale, il fut rappelé en France.
Une sculpture à déboulonner
Nommé duc d’Isly, le maréchal Bugeaud tenta de sauver la monarchie de Juillet durant la révolution de 1848, sans succès. Plus tard, député sous la Seconde République, son influence parmi les conservateurs était telle qu’il fut envisagé comme candidat à la présidence. Bugeaud déclina l’offre et se désista en faveur du futur Napoléon III, peu avant son décès en juin 1849, à 64 ans. Il repose désormais aux Invalides, où de nombreux hommages lui furent rendus. Des villes, comme Lyon, où il vécut, adoptèrent son nom, des statues furent érigées, et des médailles frappées, célébrant sa gloire. Lors du centenaire de la colonisation en Algérie en 1930, civils et militaires algériens commémorèrent ensemble la mémoire de « Bouchou », un surnom donné par ses détracteurs, signifiant presque « croque-mitaine ».
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Pour l’Union Algérienne, il est désormais impensable que la France continue d’honorer celui qu’elle considère comme un criminel. Après avoir déjà menacé de déposer plainte contre l’érection de la statue du général Bigeard à Toul, et probablement encouragée par les récentes déclarations du président algérien Abdelmadjid Tebboune, qui a accusé la France d’avoir commis un génocide en Algérie, l’association déplore le manque de collaboration de Grégory Doucet. « Malgré des demandes répétées de plusieurs associations, des pétitions et de nombreuses sollicitations, le maire de Lyon refuse toujours de débaptiser la rue Bugeaud (…). Le maire Grégory Doucet et ses équipes ont rejeté toutes nos propositions de conciliation. En conséquence, notre association n’a d’autre choix que de porter l’affaire devant la justice », peut-on lire dans leur communiqué. « La jurisprudence est claire : présenter des criminels sous un jour favorable équivaut à faire l’apologie de leurs crimes. La communauté franco-algérienne de la région lyonnaise mérite dignité et respect, et nous sommes déterminés à faire valoir leurs droits par tous les moyens nécessaires », conclut l’association.
Ce n’est pas la première fois que le nom du Maréchal Bugeaud suscite la controverse en France. Avec la montée du mouvement woke, il est souvent ciblé par les décoloniaux. Leurs actions, soutenues par une partie de la classe politique française, principalement à gauche, visent à revisiter les chapitres de l’histoire de France liés à la période coloniale, accusant de racisme ou de fascisme ceux qui osent les contester. Périgueux a été la première à céder à cette pression en ajoutant une plaque explicative sur la statue de Bugeaud, mentionnant les « enfumades » en Algérie. Marseille s’est empressé de rebaptiser une école et Paris a été encore plus loin en 2024, retirant le nom de Bugeaud d’une avenue, à l’initiative d’une élue communiste. Ce geste a d’ailleurs été chaleureusement salué par l’Union Algérienne sur ses réseaux sociaux.
Le nom de Camille Blanc proposé
À Lyon, les initiatives pour changer le nom de la rue Maréchal Bugeaud n’ont pas manqué non plus. En 2021, la sénatrice Cécile Cukierman (PCF), petite-fille de résistant, a symboliquement rebaptisé cette rue au nom de Sainte Joséphine Bakhita, pour interpeller la mairie sur l’héritage de celui qui, selon elle, « nous renvoie à un des pires moments de notre histoire ». En octobre 2022, Malika Benarab-Attou, ancienne députée européenne d’Europe Écologie-Les Verts (2011-2014), a lancé une pétition en ligne contre ce « funeste personnage », demandant que la rue soit rebaptisée en l’honneur de personnalités ayant lutté contre la guerre d’Algérie ou ayant eu des liens avec le Front de Libération Nationale (FLN), l’organisation qui a mené la lutte armée contre la France et ses alliés Harkis. À ce jour, la pétition n’a recueilli qu’un millier de signatures. Loin de calmer un débat qui divise toujours, l’Union algérienne a proposé de son côté de renommer la rue en hommage à Camille Blanc, maire d’Évian-les-Bains, assassiné en 1961 par des membres de l’Organisation de l’Armée Secrète (OAS), partisans du maintien de l’Algérie française.
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Faut-il interpréter cette plainte comme un signe sous-jacent de la montée du communautarisme sur le territoire et celui d’une ingérence dans les affaires de la France ? Sur son site, l’Union Algérienne affiche fièrement les couleurs vertes et rouges du drapeau national algérien. Se revendiquant « guidée par une conviction profonde, celle de préserver notre identité et renforcer notre unité en tant que peuple algérien résidant en France », l’association souligne que ses « valeurs reposent sur des fondamentaux tels que la conservation de nos traditions, la solidarité, et la préservation de notre héritage culturel ». Elle précise avoir été fondée dans le but de rassembler la diaspora algérienne en France, qu’elle estime être « cible de divers groupes » (sans les nommer). Plus intriguant encore est le portrait d’Ali la Pointe, que l’association affiche aux côtés de sa profession de foi. Ce jeune homme, petit caïd devenu célèbre, avait été recruté par le Front de Libération Nationale (FLN) pour ses « redoutables qualités de tueur », selon la journaliste Marie-Monique Robin, auteure du livre Escadrons de la mort, l’école française. Considéré comme un héros par de nombreux Algériens, il a trouvé la mort durant la bataille d’Alger en 1957.
Il est difficile de prévoir si l’initiative de l’Union Algérienne contre le Maire de Lyon aboutira, si elle bénéficie d’un quelconque soutien d’Alger en bisbille actuellement avec la France, mais elle soulève une question cruciale : celle de l’utilité de continuer à « poursuivre le travail de mémoire, de vérité et de réconciliation » initié par le président Emmanuel Macron en collaboration avec l’Algérie. Jusqu’à présent, la France a multiplié les gestes de repentance, ce qui a suscité l’agacement d’une partie de la population française, exaspérée par ces excuses répétées, perçues comme un signe de faiblesse et de soumission de la part de l’exécutif. Paris attend toujours que l’Algérie fasse également un acte de contrition et reconnaisse les crimes de guerre commis par le Front de Libération Nationale (FLN) contre les Pieds-Noirs et les Harkis pendant la guerre qui a opposé les deux pays entre 1954 et 1962. En vain !