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Procès Pelicot: l’occasion de se taire

Le grand vacarme


Procès Pelicot: l’occasion de se taire
Gisèle Pelicot devant le palais de justice d’Avignon, 23 septembre 2024 © AP Photo/Lewis Joly

Depuis qu’elles ont débuté au tribunal d’Avignon, les audiences de l’affaire Pelicot sont noyées sous un flot inouï de commentaires qui ne favorisent ni la justice ni la qualité du débat public. Ce drame hors-norme est le procès de 51 hommes, non celui du patriarcat ou de la masculinité.


Non, il ne faut pas parler de « procès de Mazan », ni de « viols de Mazan ». Ce qui est jugé par la cour d’assises du Vaucluse, ce sont des crimes présumés graves et répétés, reprochés à Dominique Pelicot, le principal prévenu, inspirateur de tout, et à de nombreux hommes qui, à son initiative et sous sa surveillance, sont accusés d’avoir agressé et violé son épouse Gisèle, assommée par des anxiolytiques.

Même si certains des accusés ont prétendu avoir cru à une connivence libertine entre les époux, je n’imagine pas, au risque d’anticiper le verdict, que la cour criminelle du Vaucluse puisse avoir le moindre doute sur l’absence de consentement de cette femme livrée sans conscience à tant d’hommes. Les instructions données par le mari, comme de se déshabiller en un autre lieu que la chambre et de ne pas parler trop fort pendant l’acte, représentent autant d’éléments qui rendent absurdes les dénégations sur ce plan.

Du singulier au pluriel

Je comprends la médiatisation qui s’attache à cette affaire criminelle extraordinaire, tant par le nombre des accusés que par le caractère « industriel » de ces crimes perpétrés dans une sorte de huis clos où une femme rendue médicalement inerte a subi le pire à cause d’hommes sollicités par son époux et ayant accepté cette ignominie sans s’interroger plus avant.

Pour être hors du commun, ces transgressions répétées constituent pourtant une succession de moments singuliers, l’extériorisation de subjectivités autonomes, de caractères indépendants que l’entreprise criminelle appréhendée globalement ne saurait faire disparaître.

Il convient donc à mon sens de respecter, comme toujours en matière de justice, le fait que personne ne doit être jugé en gros, mais toujours au détail et qu’une politique sans discernement pour l’exemple serait préjudiciable à la vérité.

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Ce procès n’est en aucun cas celui du patriarcat ou celui de la masculinité. On ne passe pas sans risque ainsi du singulier au pluriel et par ailleurs – c’est fondamental –, comment peut-on évoquer la mise en œuvre d’un assujettissement naturel qui serait consubstantiel aux rapports entre hommes et femmes alors que précisément nous avons, avec cette affaire Pelicot, la fabrication d’une soumission artificielle ?

Rien ne serait plus faux que de noyer cette multitude de crimes sous des généralités visant à donner encore plus d’importance politique et médiatique à des comportements odieux bien assez signifiants en eux-mêmes.

Ce qui produit un désordre et une confusion excessive, c’est cette épouvantable médiatisation à laquelle tout le monde participe, y compris Gisèle Pelicot elle-même. Celle-ci est éminemment digne et respectable : elle n’a pas besoin de démontrer que la honte a changé de camp, celle-ci n’ayant jamais été de son côté ! Reste qu’elle parle trop, de même que tous les avocats qui devraient garder leur verbe pour l’oralité des audiences.

On peut cependant tenter d’identifier les ressorts fondamentaux du crime en évitant les banalités. Gloser sur le « caractère clivé » de Dominique Pelicot ne fournit pas la moindre clé opératoire : cette explication est peu ou prou applicable à toute tragédie criminelle, la lumière de la normalité étant assombrie chez chaque mis en cause (et peut-être chez chacun de nous, quoique dans une tout autre mesure) par la nuit momentanée de ce qui lui échappe et qu’il commet.

Les motivations de M. Pelicot

En revanche, pour Dominique Pelicot, je suis enclin à discerner un trio de motivations. La première : néantiser artificiellement la conscience d’un être. La deuxième : jouir d’une tromperie capitale consistant à être en même temps pour son épouse un homme, un époux et un père exemplaires, et dans un territoire étrange et étranger, celui qui la livre, l’abandonne et la soumet sans qu’elle le sache. La troisième : maîtriser le corps de sa femme et régir le corps de tous ceux qui ont abusé d’elle et l’ont violée.

Pour tous les autres accusés, une fois acceptée l’opportunité de pouvoir user d’une liberté anéantie et d’une nature défaite, dans une atmosphère trouble mais sans risque, il y a eu aussi cette curiosité malsaine qui les a conduits, au travers d’un corps abruti, à laisser s’exprimer le pire d’eux-mêmes. Se découvrant en même temps qu’ils commettaient l’intolérable. Ces crimes répétés appellent des sanctions exemplaires bien plus que des grands mots. Et ils n’ont pas besoin d’être détournés de leur horreur pour servir d’exemples à une société qui n’en peut mais !

Octobre 2024 - Causeur #127

Article extrait du Magazine Causeur




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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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