Mystères au Cameroun…
Ça commence par une phrase qui pourrait paraître anodine: « Une femme a disparu et tout le monde la cherche. » Elle va pourtant entraîner la narratrice, Constance, dans un labyrinthe complexe où la fiction chevauche la réalité, sans que l’on sache vraiment si le fil de la narration conduit à la vérité. Constance a 17 ans lorsqu’elle découvre la capitale du Cameroun, Yaoundé, ville sans feux rouges, mais aux sept collines et à l’atmosphère moite, admirablement décrite par Anne-Sophie Stefanini, romancière et éditrice parisienne. « Les images de la ville se succédaient et la lumière orange des lampadaires au sodium créait un brouillard magique », écrit-elle avec la précision digne d’André Gide, l’écrivain attiré par l’Afrique.
Coup de foudre à Yaoundé
Nous sommes au début des années 2000. Constance est lycéenne, elle flotte dans ses habits trop grands pour sa silhouette. Elle est à Yaoundé parce qu’elle a dit à sa prof de français qu’elle voulait voyager et écrire. Comme son lycée invitait une jeune Camerounaise à venir deux mois à Paris, l’échange fut donc possible. À la fin du voyage, Constance rédigera un texte qui sera publié dans le journal des élèves. Un homme de dix ans son aîné, Jean-Martial, l’attend à l’aéroport. Elle en tombe amoureuse. Déambulation dans la ville, la nuit, danse dans des cafés révolutionnaires ; découverte d’un quartier populaire, Biyem-Assi, de la maison de Jean-Martial, de l’odeur d’un frangipanier ; connaissance de l’histoire violente de la décolonisation du pays. On fumaille, on boit des bières. Le décor est planté. Il restera pour toujours dans la tête de la jeune fille.
On pourrait en rester là. Mais Jean-Martial lui parle d’une professeure qui a disparu et qu’il admirait, et même peut-être davantage. Communiste, elle soutenait la révolte des étudiants. Constance écoute. Un roman nait en elle. Elle ne le sait pas encore. Jean-Martial l’envoûte. Ce n’est pas un garçon comme les autres. Il dit : « Je ne suis pas un enfant des rues, je n’ai pas traîné dehors, j’ai passé mon temps à lire, protégé par des barrières. » Il ment. Elle le découvrira plus tard, à ses dépens. Comme l’inconnue, Jean-Martial finit par disparaitre à son tour. Les mails de Constance restent sans réponse.
Rebondissements
Vingt-ans après, mère d’un petit Ruben, enseignante, elle revient à Yaoundé pour présenter son roman où il est question de l’inconnue rebelle qui a disparu. Elle a fini par imaginer sa vie. Mais la fiction correspond-elle à la réalité ? Elle prévient Jean-Martial de sa venue. Le silence, toujours, pour réponse. Constance rencontre de nouvelles personnes – j’ai failli écrire de nouveaux personnages. Terence, un journaliste ayant étudié en France, l’invite à enquêter sur la disparition de l’inconnue. Il faut mettre un point final à l’histoire. Dans son dialogue imaginaire avec Jean-Martial, Constance avoue : « Si je ne la retrouvais pas, je renonçais aussi à te retrouver. » Anne-Sophie Stefanini signe un quatrième roman maîtrisé. Même si l’intrigue exige parfois une concentration monacale, car les rebondissements ne manquent pas, tout se tient.
En refermant le livre, j’ai pensé à la phrase de Duras dans Hiroshima mon amour : « Cette ville était faite à la taille de l’amour. » Comme Yaoundé.
Anne-Sophie Stefanini, Une femme a disparu, Stock. 240 pages