Donc, on en est là. Le retour de Nicolas Sarkozy a été l’événement majeur du week-end. On mène une guerre en Orient sans la moindre discussion ou presque, Michel Sapin fait acte d’allégeance au G8, en Australie, à tous les articles de foi les plus éculés du libéralisme mondialisé, une initiative citoyenne européenne (ICE), une des rares avancées démocratiques octroyées par le Traité de Lisbonne, a été retoquée par la Commission européenne parce qu’elle osait s’attaquer aux négociations occultes sur le grand marché transatlantique, des légumiers bretons font brûler des bâtiments publics (que n’aurait-on entendu si la même scène s’était déroulée dans une banlieue), l’Etat Islamique nous menace de représailles terroristes, la journée mondiale sur la maladie d’Alzheimer qui devient un problème majeur de santé publique passe à la trappe mais qu’importe : Nicolas Sarkozy est de retour, on vous dit.
Comment interpréter cet aveuglement, cette bêtise au sens flaubertien du terme, « La bêtise humaine, actuellement, m’écrase si fort que je me fais l’effet d’une mouche, ayant sur le dos l’Himalaya. » ? Comment expliquer que le retour d’un homme qui fut certes Président de la République mais a tout de même été battu et reste sous le coup de plusieurs poursuites judiciaires, focalise à ce point l’attention ? On pourrait évoquer cette désormais tristement fameuse BFMisation de l’information, cet effet de loupe sur l’accessoire et l’instantané qui permet avec une étonnante précision, de passer à côté de l’essentiel. Mais cela ne serait pas suffisant. En fait, le retour de Nicolas Sarkozy signe surtout la transformation définitive de cette belle jeune fille que fut la Vème république à la fin des années cinquante en vieille dame ergoteuse, autoritaire et molle à la fois, verrouillant un peu plus un système politico-économique dans de fausses alternances qui font le miel de Marine Le Pen.
On pourrait bien sûr moquer pas mal de choses dans le retour de Nicolas Sarkozy. La forme d’abord. On avait cru comprendre que dans la Vème république, un homme qui voulait accéder à la magistrature suprême, allait à la rencontre du peuple, qu’il y avait soudain une coïncidence presque mystique entre le désir des Français et la volonté d’un chef. Or Nicolas Sarkozy est décidément de son temps, c’est à dire potentiellement déjà démodé. Il faudra se rappeler qu’il est passé par Facebook pour annoncer sa candidature à l’UMP et donc, de manière subliminale, à la présidentielle. Facebook, comme chacun le sait, est un réseau social qui sacre principalement la pulsion narcissique des adolescents mais qui n’existera peut-être plus dans deux ou trois ans. Vous vous souvenez de la manière dont Lionel Jospin avait déclaré sa candidature ? Par un fax…Aucun médium n’est innocent et quand il disparaît pour des raisons d’obsolescence, il y a de fortes chances que le message disparaisse avec lui ou ne laisse qu’une trace somme toute anecdotique dans l’Histoire. On ne demandait pas à Sarkozy d’annoncer son retour à la façon de de Gaulle le 18 juin, -il est d’ailleurs tellement peu gaulliste-, mais Facebook, tout de même… Vous imaginez le Général demandant à ses conseillers en communication de comptabiliser ses « like » et ses « friends » ? Sur la forme, toujours, il y a quelque chose de légèrement scandaleux à voir Sarkozy imposer sa présence à France 2 qui s’empresse de commenter sur …le fait que son JT a fait un carton et, pour une fois, a écrasé celui de TF1 ! Je crois me souvenir que Giscard, après le coup de massue de 1981, avait fait sa rentrée par la petite porte, d’abord en se faisant élire conseiller général, puis député. Il avait été applaudi par tous les bancs de l’Assemblée, d’ailleurs, lors de son retour…
Et comme il se doit dans notre nation éprise de classicisme, le fond finit toujours par rejoindre la forme. Cela peut paraître bizarre, mais Sarkozy si habituellement présenté comme une « bête politique », un « gagneur », est quand même l’homme qui a perdu régulièrement toutes les élections sauf celle de la mairie de Neuilly et la présidentielle de 2007. Mais entre le choix de Balladur, les européennes de 99 où il se fait doubler par Pasqua, les municipales de 2008, les européennes de 2009, les régionales de 2010, les sénatoriales de 2011 et, bien sûr les présidentielles de 2012, on ne peut pas dire que ce soit un grand palmarès. Je serais militant ou élu UMP, j’y regarderais à deux fois et d’ailleurs certains le font.
De fait, et là encore, ce n’est pas glorieux, Sarkozy profite surtout de l’insigne faiblesse de François Hollande qui est son digne successeur puisqu’une fois arrivé à l’Elysée, il s’accroche au pouvoir par la seule force d’institutions qui fonctionnent contre leur logique même, atomisant sa famille politique en l’entrainant dans des défaites catastrophiques et en révélant des fractures idéologiques insurmontables dans son propre camp.
Alors on m’expliquera que les soucis des Français sont à mille lieues d’un changement de république. Sans doute mais ils sont à mille lieues aussi du bal des égos des petits marquis et petites marquises de l’UMP qui, à l’instar de Rachida Dati, commencent déjà à balancer sur les petits camarades et le choix de Frédéric Péchenard comme directeur de campagne de Sarkozy. Et puis rien n’empêche de faire un peu de pédagogie, pour reprendre un mot à la mode, sur ce que pourrait être une VIème république avec un régime primoministériel et une vraie proportionnelle. Ce serait pour chacun le moyen de voter pour ses idées et de les voir vraiment représentées, à leur juste poids et de favoriser ce qu’on appelait autrefois des majorités d’idée. Cela permettrait à la partie de l’UMP qui veut gouverner avec le FN de le dire, à l’autre partie qui est d’accord sur tout ou presque avec le centre et le PS de le dire aussi, aux Verts et aux « frondeurs » de refonder la gauche avec le FDG. Bref, on parlerait programme, on argumenterait, on reprendrait confiance dans le politique, toutes choses dont on est très loin après la mascarade de ces jours-ci.
*Photo : Remy de la Mauviniere/AP/SIPA. AP21626681_000003.
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