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Les embûches d’un ministre pourtant bûcheur

Jean-Michel Blanquer publie "La Citadelle" (Albin Michel, 2024)


Les embûches d’un ministre pourtant bûcheur
Jean-Michel Blanquer entouré de Pap Ndiaye et Sarah El Haïry, passation de pouvoirs, 20 mai 2022, Paris © WITT/SIPA

Dans La Citadelle, le ministre de l’Éducation d’Emmanuel Macron de 2017 à 2022 règle ses comptes politiques avec le président, et avec toutes ces « belles âmes » au cœur très sensible (et à la raison en vadrouille) qui l’ont combattu.


Notre ancien ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, qui fut non seulement congédié sans façon mais surtout remplacé par quelqu’un qui ne partageait pas sa vision de l’école, Pap Ndiaye, nous livre son expérience durant ses cinq années passées au gouvernement ; ce qu’il y a fait avec ses collaborateurs, ce qu’il y a vécu avec les autres ministres, les opposants, les médias, les syndicats et le président, dans un livre qui porte un titre évocateur : La citadelle.

Commençons par la fin. La fin annoncée de son ministère et la fin du livre par la même occasion qui, je l’espère, donnera envie de lire le détail à partir du début.

Le président de la République vient de lancer sa campagne pour son second quinquennat. À Aubervilliers, il annonce que si de petites choses ont eu lieu les années précédentes, de grandes choses verront le jour aux suivantes. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, qui a senti le vent tourner depuis au moins un an, comprend que son bilan est tenu pour dérisoire, et c’est la nécessité de rendre justice à ce bilan et à tous ceux qui y contribuèrent qui incite l’ancien ministre à nous livrer ses mémoires.

« Eh quoi ! Ce n’était donc rien ou pas grand-chose, le dédoublement des classes, l’instruction publique à trois ans, les évaluations de début d’année, le « Plan français », le « Plan mathématiques » ? Rien non plus « devoirs faits », le « Plan mercredi », les cités éducatives, les campus des métiers et des qualifications ? Rien toujours, la réforme du lycée professionnel, du lycée général et technique, la refonte complète des programmes ? » Etc.

Le politique n’est pas là pour « accompagner » passivement l’évolution de la société

Et je peux vous assurer que la liste est longue et que les luttes menées témoignent d’un travail acharné et d’une rectitude peu ordinaire. Il faut dire qu’il y a du pain sur la planche. Reprenons donc depuis le début. Car au-delà de toutes les initiatives que je laisse au lecteur le soin de découvrir, il s’agit aussi de lutter contre. Contre le pédagogisme, par exemple, qui aurait inspiré Molière mais qui, hélas, désespère certains enseignants et de nombreux élèves. J’en étais restée à «  l’élément rebondissant » pour désigner de manière altière un pauvre et simple ballon. Depuis, on a fait beaucoup mieux : on ne dit plus « nager dans une piscine », mais « traverser l’eau en équilibre horizontal par immersion prolongée de la tête dans un milieu aquatique profond standardisé ». Si vous ne vous noyez pas avec ça, d’autant que l’immersion prolongée de la tête est tout de même risquée! Bref, le ministre a décidé de prendre le taureau par les cornes et d’évacuer écriture inclusive et autres jargons invraisemblables. Il est également très clair avec « l’antiracisme dévoyé en racisme » et s’opposera aux réunions en non mixité raciale pour ce motif. De l’affaire du foulard de Creil, il parlera de « faute originelle » en rappelant le propos plein de bon sens du principal du collège concerné ; Mr. Ernest Chénière : « Le problème n’est pas celui des croyances, le problème est celui de la manifestation extérieure de ces croyances dans l’enceinte scolaire », regrettant que Lionel Jospin s’en soit remis au conseil d’État qui opta pour la réintégration des jeunes filles voilées plutôt que d’entendre une phrase imparable. Ce sera l’occasion pour Jean-Michel Blanquer d’affirmer avec force que le politique est là pour réguler, infléchir, corriger, construire la réalité, et non pour accompagner passivement l’évolution du monde.

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Autre sujet ; celui des prestations sociales liées à la responsabilité parentale dans la présence des enfants à l’école. Le ministre se heurtera, comme souvent, aux « belles âmes » qui ont le cœur sensible et la raison en vadrouille, ministres et syndicats compris. De ces derniers avec lesquels le dialogue aura été difficile, il ajoute qu’on ne mesure pas en France à quel point les principaux syndicats (l’UNL et la FCPE) sont les antichambres des partis de gauche et d’extrême gauche.

Quant à l’islamisme, c’est à Maubeuge que Jean-Michel Blanquer devra l’affronter, tant les associations religieuses musulmanes ont pris le relai des services publics défaillants. Le temps collectif est régulé par la religion, et les professeurs finissent par l’accepter au motif de ne pas déscolariser les élèves. Obliger les parents à garantir la présence de leurs enfants à l’école en menaçant de supprimer les allocations familiales, c’est mal, mais accepter un endoctrinement qui va à l’encontre de l’esprit critique normalement enseigné à l’école, c’est acceptable. Bon…

Le voile, problème de civilité dans notre pays

Si Emmanuel Macron semble appuyer son ministre de l’Éducation nationale pendant au moins trois ans et demi, l’appui se fera de plus en plus fragile, d’autant que le ministre en question a refusé de se porter candidat pour des élections législatives là où le président voulait qu’il aille… Mais, au-delà de l’ « affront » que ce président ne saurait concevoir, c’est bien son oscillation permanente qui est en question. Ainsi, il put dire qu’au-delà de la question de la laïcité concernant le port du voile dans l’espace public, il s’agissait d’un problème de civilité dans notre pays, c’est-à-dire du rapport des hommes et des femmes en France. C’est-à-dire d’une question de culture, voire de civilisation. Sauf qu’il finit, un peu plus tard, par oublier complètement cette civilité pour estimer que… finalement, le président n’a pas à gérer cette question-là. Bref, la belle entente se fissure, encouragée par des ministres à la loyauté discutable, ou qui renâclent à financer, ou encore qui ne veulent pas déconfiner trop vite. Car c’est le temps du Covid où la pugnacité du ministre chargé des écoles, pour que celles-ci ne soient fermées que très peu de temps ou partiellement, agace. La déscolarisation lui semblant, à juste titre, destructrice, il fera de telle sorte que la France arrive en 2ème position avec seulement 12 semaines de fermeture. Numéro 1, la Suisse, avec six semaines.

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Des thèmes fondamentaux sont abordés dans cet ouvrage : l’État de droit inversé, la réinscription de la démocratie dans le temps long, le suicide de l’Europe, le non-renoncement… Par ailleurs, Jean-Michel Blanquer explicitera le titre de son ouvrage en mettant en cause le fonctionnement de l’Élysée avec celui qui règne dans l’ombre sans jamais avoir été élu : Alexis Kohler. D’autre part, quelques portraits de collègues viennent agrémenter ce livre d’un grand sérieux mais pas austère, dont le plus gratiné est sans aucun doute celui de François Bayrou. Pas d’ironie méchante chez l’ancien ministre, plutôt un coup d’œil psychologique acéré ; sans compter que ces descriptions sont contrebalancées par celles d’amis chers comme Edgar Morin et Jacques Julliard.

Enfin, la construction de l’ouvrage laisse souvent place à des passages concernant son passé, ses voyages ; sortes d’interludes qui nous emmènent ailleurs tout en éclairant le chemin parcouru.

Pour conclure, je me permettrai juste de revenir sur deux sujets ; celui de l’attitude de l’administration à l’égard de Samuel Paty qui n’est pas ici remise en cause. Seule l’absence de protection rapprochée, et qui aurait empêché la tragédie, est déplorée. Par ailleurs, le lobby LGBT, dont le ministre d’alors regrette les pressions, a fini par s’imposer à l’école sous prétexte d’éducation sexuelle et ce, sous sa propre tutelle. N’en reste pas moins qu’au terme de cette lecture, on en sait beaucoup plus sur le travail effectué, sur un homme d’une constance que l’époque aime caricaturer en psychorigidité, et sur la capacité à rebondir pour qui avait un projet à long terme et à qui on a coupé l’herbe sous le pied.

416 pages.

La Citadelle: Au coeur du gouvernement

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Professeur de lettres modernes à la retraite, ayant enseigné dans le 93.

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