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Quand les Américains élisent, les Ukrainiens s’enlisent

Ukraine : le désespoir en (géo)politique est une sottise absolue…


Quand les Américains élisent, les Ukrainiens s’enlisent
Volodymyr Zelensky et Charles Michel, 17 octobre 2024, Bruxelles © Geert Vanden Wijngaert/AP/SIPA

Impossible n’est pas ukrainien ? Son pays est en difficulté sur le front, mais le président Volodymyr Zelensky a présenté un “plan de victoire” à ses alliés, à Bruxelles, jeudi. Les nouvelles demandes ukrainiennes adressées aux Occidentaux interviennent alors que les Américains se rendent aux urnes dans quelques jours, et alors que le conflit est passé au second plan à cause de la guerre au Proche-Orient.


Volodymyr Zelensky était jeudi 17 octobre à Bruxelles pour présenter son « plan de victoire » en cinq axes au Parlement européen. Actuellement, la situation militaire est difficile pour l’armée ukrainienne dans le Donbass, où la Russie grignote quotidiennement du terrain. Les gains ukrainiens d’août 2023 dans la région de Koursk, s’ils ont surpris Moscou, ne sont pas de nature à changer le cours de la guerre. Vladimir Poutine a mobilisé l’ensemble de la société russe pour satisfaire ses appétits de conquête… ainsi que ses alliés étrangers. Le soutien de la République Populaire de Corée se montre de plus en plus concret, les services de renseignement sud-coréens ayant révélé que des soldats nord-coréens seront prochainement déployés vers le théâtre d’opérations ukrainien. Ce sont 1500 membres des forces spéciales du régime communiste qui sont désormais sur le pied à Vladivostok, bientôt rejoints par des troupes régulières.

« L’accroissement de la coopération croisée et du soutien militaire de la Corée du Nord à l’effort de guerre russe en Ukraine sont très inquiétants », a réagi Christophe Lemoine, porte-parole du ministère des Affaires étrangères français. L’officialisation de l’alliance russo-coréenne est effectivement une source majeure d’inquiétudes, alors que le monde semble au bord d’une catastrophe collective. Nous n’avonsjamais été si près du danger depuis la Seconde Guerre mondiale. C’est pour cela qu’il faut écouter avec attention les propos de M. Zelensky qui est aujourd’hui le seul à tenter de proposer une issue militaire au conflit aux alliés ainsi qu’un plan de paix à la Russie – qui, elle, attend une reddition de son adversaire.

Cinq points

Le plan présenté par l’Ukraine montre une certaine constance stratégique. Le premier point porte sur l’adhésion du pays à l’OTAN à plus ou moins brève échéance, ce qui garantirait à l’Ukraine d’être prise en compte dans « l’architecture de sécurité » de ses partenaires et alliés occidentaux. Il s’agit là d’une mesure qui serait pratique et symbolique. Pour l’heure, les partenaires divergent quant à la réponse à apporter. Il est de notoriété publique que le chancelier allemand Olaf Scholz ne voit pas cela d’un bon œil. La France et le Royaume-Uni pourraient en revanche s’y montrer favorables. Sur le plan symbolique, cela prouverait que l’invasion de l’Ukraine aurait un effet opposé aux buts de guerre poutiniens, qui visaient notamment à empêcher l’Ukraine d’intégrer l’OTAN. Il s’agirait d’un troisième revers, Finlande et Suède ayant déjà adhéré à l’OTAN du fait de la guerre d’Ukraine, Helsinki rompant ainsi avec des décennies de « neutralité ».

Le second volet est sûrement le plus important. Volodymyr Zelensky demande « le renforcement de la défense ukrainienne et la redirection de la guerre vers le territoire de la Russie ». Concrètement, l’Ukraine souhaite la levée des restrictions sur l’usage des armes de longue portée fournies par les pays alliés sur l’ensemble du territoire ukrainien occupé par la Russie, incluant donc la Crimée, et sur le territoire russe, ainsi que la poursuite de l’aide occidentale pour la formation des brigades de réserve. Il est vrai qu’il est assez sidérant d’exiger de l’Ukraine de se battre avec une main dans le dos. Par ailleurs, l’histoire récente a permis de vérifier que la Russie fixait beaucoup de lignes rouges qu’elle ne respecte pas, à l’image des États-Unis d’Obama qui avaient déclaré que l’usage d’armes chimiques par la Syrie d’Al-Assad entraineraient des conséquences… sans réagir après qu’elles aient été employées. Malheureusement, les États-Unis sont toujours très frileux dans leur soutien à l’Ukraine, comme s’ils craignaient que la Russie ne se fâche. La raison est peut-être ailleurs. Alliée notoire de l’Iran, la Russie joue de cette relation pour opérer un chantage sur Washington.

Selon Le Figaro, les États-Unis auraient demandé à la Russie d’intercéder auprès de l’Iran. Anthony Blinken et Sergueï Lavrov auraient même échangé à ce sujet au sommet de l’Asean. Le prix de la retenue iranienne obtenue par la Russie aurait un coût exorbitant : non-adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et interdiction de l’usage des armes à longue portée sur le territoire russe… Comment faire confiance à la Russie pour maintenir le statu quo au Moyen-Orient ? Le déclenchement de la guerre dans cette région a été une aubaine pour le Kremlin, provoquant notamment un désengagement de plus en plus patent des États-Unis dont l’opinion publique est lassée par le conflit ukrainien.

Le troisième volet proposé par Kiev est celui de la dissuasion. L’Ukraine demande le déploiement d’un « ensemble complet de moyens de dissuasion non nucléaires afin de décourager toute nouvelle agression russe ». Contrairement à ce qu’a avancé Vladimir Poutine, Volodymyr Zelensky n’a donc pas déclaré vouloir se doter de l’arme nucléaire. Il a simplement indiqué que l’Ukraine ne serait jamais en paix et en sécurité sans d’importants investissements… Ce volet est nécessaire et raisonnable.

Les deux volets suivants concernent l’arrière et l’après-guerre. Kiev invite les alliés à investir en Ukraine et promet un retour sur investissement grâce à l’expérience accumulée par l’armée ukrainienne qui sera plus tard « utilisée pour l’ensemble de l’Alliance et la défense de l’Europe ».

Un plan crédible ?

Ce plan souffre d’une inconnue : l’engagement américain. La campagne électorale américaine peut faire douter. S’il semblerait stratégiquement délirant que les États-Unis laissent la Russie emporter une victoire trop évidente qui serait perçue comme un signal de grande faiblesse, les impétrants à la Maison-Blanche ne font pas de grandes démonstrations d’amour envers Kiev. Donald Trump a à plusieurs reprises manifesté une forme de mépris à l’endroit de Volodymyr Zelinsky, qu’il juge être « le meilleur vendeur de la planète » et coûter trop cher. Il a aussi jugé que Joe Biden était « responsable » de la guerre. Son élection ferait entrer l’Ukraine dans une phase d’incertitude. Néanmoins, l’homme est orgueilleux et pourrait chercher à sortir par le haut du conflit en obtenant des résultats positifs. Son imprévisibilité rend en tout cas la tâche ukrainienne difficile pour le moment.

Quant à Kamala Harris, elle n’est pas connue pour être un faucon. Présidente du German Marshall Fund, Alexandra de Hoop Scheffer estime que la vice-présidente cherche à éviter les conflits et n’est « pas claire » sur la politique étrangère. Pis encore, elle ne « (comprendrait) pas les enjeux internationaux » et pourrait chercher à « freiner l’engagement américain en Europe »….

La Russie ne veut pas entendre parler de négociations. Ou plutôt, elle veut négocier en prenant tous les oblasts annexés et en demandant un prix exorbitant. Il est aussi absolument certain qu’elle n’en resterait pas là si son viol manifeste du droit international était impuni. Reste donc l’Europe et le génie propre aux Ukrainiens. L’Europe est un nain en matière de défense. L’ancien président du Conseil des ministres d’Italie Enrico Letta, particulièrement pessimiste sur l’issue du conflit, me confiait au sommet World In Progress Barcelone que la « France est le seul pays d’Europe avec une tradition militaire encore vigoureuse et des capacités de projection »… Si la phrase est flatteuse pour nous, elle est aussi inquiétante. L’armée française est certes performante et est la seule du continent à avoir toujours des capacités de projection, mais elle est miniaturisée et échantillonnaire. Elle n’est pas à même d’assurer à elle seule la défense du continent, surtout dans une guerre de volume comme celle que la Russie impose à l’Europe. L’Europe doit avoir une politique de défense bien plus ambitieuse pour répondre aux défis géopolitiques majeurs du temps. Une proposition évoquée est d’employer l’European Mechanism Act créé pendant la crise financière en ce sens. Pourquoi pas, mais l’heure presse… Ces politiques de long terme ne sauveront pas l’Ukraine aujourd’hui, mais elles doivent être tenues sur la livraison d’armes et la formation. La brigade Anne de Kiev est un beau symbole en ce sens.

Un autre interlocuteur, actif dans le secteur de l’innovation et de la défense en Ukraine, m’a dit la chose suivante : « Mon avis est le même que celui de Churchill en 1940. La situation est désespérée mais il n’y a pas d’autre choix que se battre et gagner. Je compte sur deux choses : l’innovation technologique des Ukrainiens qui produit des merveilles, l’élection américaine qui va débloquer beaucoup de choses pour le pire et le meilleur ». Si le pire arrive, ce sera à l’Europe d’agir. Et plus sérieusement qu’elle ne le fait déjà.




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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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