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Fan de cette nana-là!

Nana Mouskouri a 90 ans


Fan de cette nana-là!
La chanteuse Nana Mouskouri photographiée en 1992 © SOULOY FREDERIC/SIPA

Monsieur Nostalgie nous parle aujourd’hui d’une chanteuse grecque qui a fêté hier ses 90 ans et dont la voix est une promesse de l’aube


Elle est arrivée chez nous, sur nos écrans en noir et blanc, il y a si longtemps maintenant. C’était au début des années 1960. Elle débarquait d’Athènes mais son nom circulait déjà en Allemagne. Un jour, elle a posé ses valises à Paris au moment où les yéyés bégayaient à la radio et où les grandes voix d’avant-guerre s’étaient tues. Piaf n’était plus parmi nous. Alors, nous ne nous sommes pas méfiés de cette cousine de province, Callas des Ring parade, polyglotte de la variété européenne à la raie au milieu aussi fade qu’un député centriste au perchoir. Sur scène, elle portait d’épaisses montures noires comme un chevalier enfilerait son heaume avant un tournoi ou un tour de chant. Elle semblait timide et effacée, « un peu terne » comme l’avait qualifiée la presse allemande à ses débuts avant de la glorifier. À cette époque lointaine, elle avait quelques kilos en trop qui ne cadraient pas avec les standards de son milieu. Elle n’affichait pas la silhouette agressivement carénée des baby-dolls du microsillon que les imprésarios imposent, par contrat, à leurs jeunes vedettes. Pour une future star de la chanson, son allure générale intriguait, laissant presque à désirer. Elle jouait profil bas avec son col roulé et son sage collier de perles. On la voyait même en pantalon dans la rue. Cette rose blanche un peu fanée née en Crète n’affolerait pas la billetterie des zéniths. Comment pourrait-elle remplir l’Olympia ou le Carnegie Hall ? Sur le papier, « ça ne marchera jamais ! ». Et puis Nana a chanté comme Rabbi Jacob a dansé. Aucun pays au monde n’a alors pu résister à l’étésien, ce vent des cyclades qui souffle durant l’été avec la force d’un dieu consolateur. La voix de Nana a la mélancolie des comptines d’enfance et la puissance des amours impossibles. Elle exprime ce qu’il y a de plus secret en nous. Elle trouve le chemin vocal qui nous mène vers la lumière, une sorte d’ascenseur intime vers les cimes indicibles. Elle surplombe nos chagrins de sa grâce cristalline. Nana a la clé des existences verrouillées, elle crochète les âmes rétives de sa puissance mythologique. « Je ne suis pas belle mais je sais chanter » avoua-t-elle dans une interview. Elle se trompe car lorsque l’on chante comme elle, que l’on possède ce don presque irréel d’exprimer la musique et les mots, sa beauté réservée irradie, nous submerge, nous nous soumettons alors à son fil d’Ariane. Comme si la pudeur et le brio s’enroulaient autour de sa gorge pour dénouer tous nos maux. Avec elle, les soirées ont des parfums d’éternité. Cette mezzo-soprano aura vendu plus de 300 millions de disques et s’est produit partout où la musique ne connaît pas de frontières. Nana se moque des chapelles, des castes et des petits arrangements entre amis. Elle ne pratique pas l’audio sélective, elle chante le blues et le jazz comme sa grande sœur Ella Fitzgerald ; elle ne ferme aucune porte artistique par idéologie, elle excelle dans le lyrique et dans le folklore de son pays, elle adopte tous les styles, le swing de Quincy Jones et de Michel Legrand aussi bien que l’emphase prophétique de son compatriote Demis Roussos ; le sentimentalisme ne lui fait pas peur comme les notes perchées, c’est l’essence même d’une chanteuse populaire, chanter et encore chanter, partout, sur les plateaux de la ZDF, à la BBC ou chez les Carpentier, pour un défilé du 14-juillet ou un concert pour la paix. Pour une série télé à succès ou une opérette (sans lunettes) avec son ami de toujours, le fulgurant Serge Lama. Tous ont voulu accrocher leur voix à la sienne, ne serait-ce que pour former un duo éphémère. Le plaisir de goûter à son timbre si particulier et se mesurer à cette professionnelle toujours sur la retenue, donc déstabilisante. Voix contre voix. Soupir contre soupir. Grain contre grain. Julio Iglesias, Charles Aznavour, Harry Belafonte et même Alain Delon ont relevé ce défi. Nana demeure la taulière multilingue de notre jeunesse. Elle illustre l’onde du temps qui passe. Elle possède le charisme des êtres discrets et donc chers à notre cœur. Bon anniversaire à elle !

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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