Au restaurant, les prix du vin ont tendance à atteindre des sommets sans raisons apparentes. Au détriment des vignerons et des clients. Dans son manifeste, le sommelier Antoine Pétrus appelle les restaurateurs à la raison.
Restaurateurs,
Exagérer sur les tarifs des vins, c’est massacrer le travail et la notoriété du vigneron concerné. Je suis pourtant de ceux qui pensent qu’un coefficient raisonnable n’a rien d’inconcevable. Il reflète la qualité du cadre dans lequel le flacon est servi, la maîtrise et le rythme du service, l’intelligence relationnelle créée par le sommelier, les informations précises et intelligibles que celui-ci est capable de donner, sans oublier le choix humain de la parfaite température de service, du meilleur verre adapté à chaque vin, de l’accord avec les mets choisis et de l’émotion qu’il fait naître à table. Je crois aussi que l’application d’un coefficient de vente plus élevé peut aussi être justifié si le vin proposé a fait l’objet d’un vieillissement lui permettant de s’améliorer. Il y a en effet un surcoût évident à présenter un vin âgé et prêt à boire par rapport à un vin jeune.
À lire aussi, Elisabeth Lévy: Sans et saufs
Quoi de pire pour le consommateur que de payer trop cher un vin trop jeune ? Le mérite du restaurateur est le même que celui d’un bon cuisinier: proposer et servir un produit arrivé à maturité et à sa pleine expression de goût, en élaborant une carte des vins avec des vins mûrs, prêts à boire et au sommet de leurs expressions. À l’heure de la transparence dans nos assiettes, la provenance du vin est aussi un sujet à mettre sur la table. Comment être certain que chaque référence mentionnée sur la carte des vins provient bien de la cave du vigneron ? Acceptons-nous de payer l’impact carbone, gustatif et financier, d’une caisse ayant fait le tour du monde ? Demain, peut-être, les cartes des bons restaurants mentionneront la provenance directe des vins proposés. Cela permettrait de mettre en avant les liens précieux tissés avec les producteurs par les meilleurs restaurateurs et les meilleurs sommeliers.
A lire aussi, Emmanuel Tresmontant: Philippe Faure-Brac, l’ambassadeur de Bacchus
Certains restaurants sont connus pour leurs cartes des vins bien construites qui savent maintenir des tarifs accessibles. Le mouvement mérite d’être suivi par d’autres, au détriment des comportements des apprentis sommeliers banquiers. Ce modèle d’exploitation commerciale vertueux est permis par une fidélisation des clients et une place donnée au vin respectueuse dans l’écosystème du restaurant. Imaginez un monde dans lequel ces hauts coefficients s’appliqueraient avec la même logique à la carte des plats. Coefficients six sur la salade, sept sur le cabillaud, neuf sur le filet de bœuf : une publicité pour les régimes minceur, mais tant de faillites. Méfiance, ne prenons pas le client pour la banque.
Ce manifeste a été initialement publié dans la revue En Magnum, publiée par le guide Bettane+Desseauve, spécialiste des vins.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !