Accueil Édition Abonné Procès des assistants parlementaires FN/RN au Parlement européen : «Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage…»

Procès des assistants parlementaires FN/RN au Parlement européen : «Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage…»


Procès des assistants parlementaires FN/RN au Parlement européen : «Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage…»
Bruno Gollnisch arrive au tribunal, Paris, 30 septembre 2024 © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

Lors de la deuxième semaine du procès des assistants parlementaires des eurodéputés FN / RN, la défense s’est appliquée à dénoncer une instruction à charge. Récit.


Tant que le FN n’était qu’un acteur folklorique de la vie politique, les instances européennes et la Justice ne trouvaient pas grand-chose à redire sur son mode de fonctionnement au parlement de Strasbourg. Maintenant que c’est un poids lourd de la politique, on lui reproche d’avoir détourné les fonds européens destinés à l’embauche d’assistants parlementaires pour ses activités politiques. Cette semaine, au tribunal, Bruno Gollnisch a tout fait pour démontrer que Guillaume L’Huillier avait bien travaillé pour lui. Par ailleurs, l’ancien garde du corps et la secrétaire de Jean-Marie Le Pen ont également été entendus à la barre. Récit.

L’ancien garde du corps et la secrétaire de Jean-Marie Le Pen à la barre

L’accusation reproche à M. Gollnisch d’avoir signé des contrats d’assistants parlementaires locaux avec Mme Bruna et M. L’Huillier, ayant les fonctions respectives de secrétaire et directeur de cabinet de Jean-Marie Le Pen sur l’organigramme fonctionnel du Front national publié en 2005. Bruno Gollnisch a dénoncé une persécution “ad hominem, voire ad hominibus ». Après les débats techniques autour des contestations juridiques de la défense, les auditions des prévenus ont débuté ce lundi. M. Fernand Le Rachinel est le premier à être appelé à la barre. L’ancien apprenti typographe déroule sa carrière riche d’expériences. Il a créé de nombreuses entreprises, et des milliers d’emplois. Il a été vingt ans conseiller municipal, puis encore vingt ans élu au Conseil régional de Basse-Normandie, avant d’être élu député à deux reprises au Parlement européen. L’industriel normand est mis en cause pour les contrats de ses assistants parlementaires lors de la 6è législature (2004-2009), signés avec Mme Micheline Bruna et M. Thierry Légier. L’octogénaire reconnaît avoir signé lesdits contrats, pour lesquels il n’aurait jamais pu se douter de leur irrégularité. D’autant que, explique-t-il, cela se pratiquait déjà ainsi lors de son précédent mandat durant la 4e législature (1994-1999). Il s’étonne qu’aucun fonctionnaire ne l’ait jamais alerté, alors que tous les contrats étaient validés par l’administration du Parlement européen. Il l’assure : « Tout le monde connaissait le fonctionnement de notre groupe en pool », même si l’ancien eurodéputé, en tant que rapporteur de la commission des transports, aurait préféré avoir plusieurs assistants parlementaires qui lui soient entièrement dédiés. Mais, il a naturellement accepté l’organisation commune de la délégation, même si « M. Légier était plus souvent au service de M. Le Pen parce qu’il était le chef et à ce titre plus exposé ».

Ancien militaire parachutiste, puis garde du corps de princes saoudiens et de stars américaines, Thierry Légier raconte avoir pris la succession de son prédécesseur en signant un contrat d’agent temporaire directement avec le Parlement européen, dès 1992, ce qui faisait de lui un fonctionnaire du Parlement européen engagé « en qualité d’agent de sécurité du président Jean-Marie Le Pen.» En 1995, la législation européenne change, et le colosse d’1m90 signe alors un contrat avec le « groupe des droites européennes » au Parlement européen, contrat qui court jusqu’en 2005. Au 1er janvier 2005, la législation européenne change une nouvelle fois, et le contrat avec le groupe devient alors un contrat d’assistant parlementaire. Me Solange Doumic, sa factuelle avocate, lit à haute voix l’article 1 sur lequel il est écrit : « Il s’agit de la reprise du contrat anciennement conclu entre le salarié, l’association des groupes des droites européennes et le Parlement européen ». Donc toujours en sa qualité d’agent de sécurité du président Jean-Marie Le Pen, conclut-elle. Le Parlement européen ne pouvait donc ignorer les fonctions de sécurité de M. Légier, argument de l’accusation à l’endroit de l’agent de sécurité, d’autant que celui-ci déposait son arme en entrant dans l’enceinte des institutions européennes.

L’accusation pointe le fait que les contrats d’assistants parlementaires de M. Légier, ainsi que celui de Mme Bruna, connue comme la secrétaire du député Jean-Marie Le Pen, étaient signés avec M. Le Rachinel et non avec M. Le Pen. Pour contrer ces objections, la défense se réfère à l’article 14 du règlement FID alors applicable au Parlement européen, qui stipulait que « les députés peuvent engager conjointement un même assistant ». Pour les avocats de la défense, M. Légier et Mme Bruna étaient au service de tout le groupe d’élus sur la liste du Front national qui était un groupement de fait. Le Ministère public s’étonne par ailleurs des augmentations de salaire de l’assistant parlementaire responsable de la sécurité. Thierry Légier justifie l’équivalence de son salaire avec celle d’un député européen « à hauteur des heures et du risque ». Le Parquet s’interroge sur les changements de contrat de M. Légier qui passe de contrat d’assistant parlementaire à un contrat inclus dans les comptes de campagne lors d’une élection. « C’est la loi ! » tempête Marine le Pen, assise au premier rang des prévenus.

Bruno Gollnisch agacé par les questions tatillonnes du tribunal

Les accusations de détournement de fonds public et recel du Tribunal s’appuient sur la publication en 2005 d’un « organigramme fonctionnel du Front National ». Le Tribunal cherche à faire coïncider les fonctions militantes qui y sont mentionnées avec des preuves de salariat caché, même si l’organigramme projeté lors de l’audience porte la mention « fonctionnel ». Bénédicte de Perthuis, la magistrate qui préside l’audience, s’interroge sur le véritable emploi de M. L’Huillier déclaré sur l’organigramme « directeur de cabinet » de Jean-Marie Le Pen, à Montretout, « siège politique et parlementaire » et domicile de M. Le Pen. M. L’Huillier se définit avant tout comme un militant, il a collé ses premières affiches en 1997, il a été candidat à toutes les élections pendant une dizaine d’années, il a aussi été tour à tour responsable du RNJ, secrétaire départemental FN des Hauts-de-Seine. Il déclare s’être occupé des relations avec les médias pour Jean-Marie Le Pen « une à deux heures par jour » en plus de son travail d’assistant parlementaire. « Coller des affiches ou (être) assistant parlementaire, c’est la même chose » estime le militant. Il y a des choses à faire, il les fait. Et comme en 2009, « il n’y avait que trois députés, il fallait travailler pour les trois, on mutualisait le travail entre assistants » explique-t-il. Concernant son contrat d’assistant parlementaire signé avec l’eurodéputé Bruno Gollnisch, M. L’Huillier déclare qu’il s’occupait de rédiger des articles, préparer des notes, faire des recherches, etc. Celui qui est aujourd’hui assistant parlementaire accrédité au Parlement européen explique qu’il collaborait à la rédaction du journal Identité, édité par Bruno Gollnisch, et rédigeait les articles postés sur son blog. Le nom de Guillaume L’Huillier apparaît effectivement dans l’ours dudit “journal”, comme le montre Me Bosselut. « Mais qu’est-ce qui prouve que c’est bien Guillaume L’Huillier qui a écrit les articles ? A-t-il gardé des traces ? », questionne la magistrate qui avoue « ne pas avoir un point de vue différent de l’OLAF (Office européen de lutte antifraude) sur les documents présentés » lors de l’enquête par Bruno Gollnisch pour justifier du travail de son assistant. Le rédacteur des chroniques européennes publiées sur le blog gollnisch.com explique qu’il rédigeait le contenu directement sur l’interface du site. Pour appuyer ses dires, Me Bosselut présente une preuve de cette activité électronique au nom de l’assistant, preuve qui ne semble pas convaincre le tribunal quant à la paternité de ce travail.

Bruno Gollnisch fulmine et remet en cause la procédure même. « Le premier élément de contestation du travail de M. L’Huillier date de 2015 », raconte-t-il, « c’est-à-dire mettant en cause un travail effectué dix ans plus tôt ». L’ancien professeur de droit public dénonce une persécution car « ceci excède la notion de délai raisonnable telle qu’elle est retenue par la jurisprudence du tribunal et de la cour (de justice) de l’Union européenne, et excède aussi les délais de prescription de droit français ». Faisant fi de ces objections juridiques, Bénédicte de Perthuis insiste : « Y-a-t-il des documents qui seraient de nature à établir la participation de M. L’Huillier entre 2005 et 2008 à votre travail de député européen ?» M. Gollnisch le répète, il n’a pas souvenir des dates, mais il peut présenter des cartons entiers de travail de son assistant. Pourquoi n’y-a-t-il alors aucune mention du nom de Guillaume L’Huillier dans tous ces documents ? Si quasiment aucun document contenu dans les tonnes d’archives de l’universitaire et homme politique ne sont signés du nom de M. L’Huillier, c’est que l’assistant est au service du député qui signe de son nom, comme il est d’usage pour tout collaborateur que ce soit dans les cabinets d’avocat ou toute autre profession, explique le candidat malheureux à la présidence du Front national en 2011 face à Marine Le Pen. L’assistant s’efface derrière son chef. M. Gollnisch enrage. Il avait tout le loisir, dit-il, de mettre les initiales de Guillaume Lhuillier sur chaque document, si cela eut pu prouver quoique ce soit. L’aurait-il fait qu’on lui aurait encore retourné que ce n’était pas une preuve que son assistant ait effectué tout ce travail. « Quel document prouve que j’étais le directeur de cabinet de Jean-Marie Le Pen à plein temps ?, renchérit Guillaume L’Huillier. Il n’y en a pas, et pour cause, il n’y avait pas de cabinet de Jean-Marie Le Pen ». Selon le prévenu, l’organigramme était une publication politique destinée aux médias. « De la com’ », initiée du temps de Florian Philippot.

Durant l’enquête de l’OLAF, un constat d’huissier a été établi à la demande de M. Gollnisch afin de certifier que M. L’Huillier connaissait le contenu de ses archives concernant l’Europe parmi plus de 400 cartons. « Mais pourquoi ne trouve-t-on pas même un post-it de l’écriture de L’Huillier ? Pas un mail ? Pas un brouillon ?  Aucune trace ? » insiste le Procureur. Qui garde ses brouillons ? Qui garde ses post-its ? Bruno Gollnisch s’offusque que le Parlement européen réclame des preuves datant de plus de dix ans avant les faits, alors que le contenu des boîtes mails du Parlement européen est écrasé au bout de 90 jours. « Pourquoi M. L’Huillier aurait gardé trace de toutes ses communications, après toutes ces années ? » Qui garde ses mails datant de plus de dix ans ? Guillaume L’Huillier explique avoir changé de fournisseur d’accès à internet et ne plus disposer de la boîte mail de l’époque. La défense renvoie le Tribunal à ses interrogations : « Mais alors si ce n’est lui, qui a fait tout ce travail ?» Guillaume L’Huillier renchérit : « Oui, si ce n’est pas le travail d’un aloc (comprendre : assistant parlementaire local), je me demande de qui c’est le travail alors ? »  Soit, mais alors comment faisait-il pour cumuler la fonction de directeur de cabinet et cet emploi d’assistant parlementaire ? L’Huillier raconte qu’il ne comptait pas ses heures : « Je travaillais de 60 à 70 heures par semaine. » En politique, les militants, qu’ils soient colleurs d’affiches, élus, ou cadres, ne sont pas au service du parti : c’est le parti qui est au service des militants, du colleur d’affiches jusqu’à son leader. Et il n’y a que sous les régimes autoritaires que les membres du Parti sont au service du Parti… En démocratie, militants et sympathisants sont les forces vives de la politique. Ce n’est pas le salaire ou le contrat qui font le militant, c’est son engagement, soirées et week-end compris. Le doute de l’accusation sur la paternité de tout le travail présenté au nom de son assistant rend Bruno Gollnisch furieux. Il dénonce avoir « déjà été racketté par le Parlement européen » qui a ponctionné un pourcentage de son indemnité d’eurodéputé à cette époque. « Quelles preuves vous faut-il ? » s’énerve Bruno Gollnisch qui se voit récuser toutes les preuves apportées. Me Bosselut vient en soutien à l’ancien eurodéputé : « M. Gollnisch, sur les feuilles de vote, y-a-t-il le nom de l’assistant, ou sont-elles anonymisées ? » Les feuilles de vote comme toutes les notes sont anonymes et ne portent que très rarement le nom de l’assistant parlementaire. Bruno Gollnisch s’éclaire : « Il y aurait des preuves incontestables de nos communications de cette période de 2005/2009, je téléphonais régulièrement à Montretout où était le bureau des assistants locaux. Il suffit de demander aux PTT la liste de mes appels. » Rires dans la salle. « Et, sur la période 2011/2016, puisqu’il faut des preuves physiques », Bruno Gollnisch présente un DVD où Guillaume L’Huillier l’interroge sur ses activités parlementaires européennes. N’est-ce pas là une preuve de leur collaboration ? Que nenni, la date de publication n’entre pas dans la case incriminée. Du reste, conclut M. Gollnisch, « Si M. L’Huillier avait été fautif au regard de son travail pour le Parlement européen, aurait-il été aujourd’hui même sous contrat d’assistant parlementaire accrédité par le Parlement européen lui-même ?» Lors des recours, l’administration européenne elle-même n’a-t-elle pas signifié qu’elle n’avait aucun grief contre M. L’Huillier ? Bruno Gollnisch dénonce donc des attaques politiques ad hominem, ou ad hominibus, déclenchées à partir du moment où le Front national était en progression. Car, raconte-t-il, bien d’autres assistants parlementaires de députés européens ont eu eux aussi des fonctions au sein de leur parti, voire de très hautes fonctions, et ils n’ont jamais été inquiétés. « Alors que l’OLAF se permet de reprocher à M. L’Huillier d’avoir été lui-même candidat, comme si le statut d’assistant parlementaire interdisait d’être candidat à des élections ! Il y a même un député polonais, ajoute l’ancien eurodéputé, qui a déclaré vingt-deux assistants sans que l’administration n’y trouve à redire. »

Marine Le Pen cherche la sortie du labyrinthe

Combattante, Marine Le Pen, qui a écouté les arguments de l’accusation, s’avance à la barre pour clore cette seconde semaine de procès assez kafkaïenne à ses yeux. Elle tient à contextualiser les différents changements de contrats en rapport avec des élections, externes ou internes. Elle rappelle les crises de succession à partir de 2011 au sein de son mouvement politique. Comment aurait-elle alors pu accepter que des assistants parlementaires travaillent pour le seul compte de Jean-Marie Le Pen avec qui elle était en conflit ouvert, interroge-t-elle. Concernant les ruptures de contrat et leur bascule sur le mouvement, Marine Le Pen affirme qu’il n’y a rien de suspect à ce qu’un assistant parlementaire signe un contrat de conseiller ou autre dans le cadre d’une campagne électorale – « c’est la loi qui nous y oblige » insiste l’ancienne candidate à l’élection présidentielle de 2012 – puis que ce dernier redevienne assistant parlementaire après la campagne. Marine Le Pen assure que l’administration européenne connaissait tout de la gestion des contrats des assistants parlementaires. Elle en veut pour preuve les nombreux mails échangés entre l’administration du Parlement européen et le tiers payant concernant les déclarations à enregistrer. La présidente du premier groupe à l’Assemblée nationale dénonce « une instruction faite uniquement à charge », et reprend l’adage populaire « qui veut noyer son chien l’accuse de la rage » pour illustrer l’acharnement subi. L’actuelle députée du Pas-de-Calais décrit « un tunnel qui devient de plus en plus un labyrinthe d’où personne ne peut sortir ».

Celle qui trône actuellement en tête des sondages politiques aura trois jours la semaine prochaine pour dérouler son fil d’Ariane lorsque le tribunal soumettra à la question les contrats d’assistants parlementaires pour lesquels elle a été elle-même mise en examen en juin 2017 pour « abus de confiance » et « complicité », des poursuites requalifiées plus tard en « détournement de fonds publics ».




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Journaliste

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