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Philippe Val: passer à l’offensive

Grand entretien avec Philippe Val, propos recueillis par Elisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques


Philippe Val: passer à l’offensive
Philippe Val © Hannah Assouline

Quoi qu’en disent les médias, nous n’avons peut-être jamais été aussi nombreux, de Paris à Téhéran, à vouloir écraser l’internationale islamiste. À l’avant-garde de la lutte contre les barbus, l’ancien patron de France Inter estime que nous sommes à un point de rupture : le moment n’est plus à l’apaisement, mais à la bataille victorieuse.


Causeur. Qu’avez-vous pensé ou ressenti le 7-Octobre ?

Philippe Val. Ce jour-là, j’ai pensé à l’histoire d’Israël. Quand on connaît un peu l’enchaînement des événements depuis la déclaration Balfour de 1917, on sait bien que ce n’est pas la première fois qu’il y a sur cette terre des populations arabes qui ne veulent pas de la population juive et qui commettent hélas des pogroms. Seulement, entre-temps, un événement universel a eu lieu, la Shoah, qui nous a montré à quelle tragédie absolue peut mener la haine envers les juifs. Le 7 octobre m’a semblé être une réplique de cette tragédie absolue.

Mais n’y a-t-il pas une différence entre le l’antisémitisme des années 1930 et 1940 et l’antisémitisme d’aujourd’hui ?

C’est vrai, l’antisémitisme a muté. Il avait déjà muté au xixe siècle, passant d’un antisémitisme chrétien à un antisémitisme idéologique, notamment sous l’influence paradoxale de Karl Marx. Dans certains textes, ce petit-fils de rabbin dépeint les juifs comme des capitalistes cosmopolites qui ruinent les pauvres. Sa responsabilité est immense. En France, de nombreux théoriciens socialistes et anarchistes, comme Blanqui ou Proudhon, ont repris ses clichés mais aussi, plus tard, des écrivains comme Gide. Cet antisémitisme d’avant le nazisme n’est pas innocent, il est déjà criminel, surtout dans un pays comme le nôtre où on en trouve la trace chez une certaine élite culturelle. Il faut cependant reconnaître que, quand on a découvert les camps de la mort, la totalité des intellectuels français a rompu avec l’antisémitisme, sauf bien sûr une poignée d’anciens collabos qui étaient quand même des animaux exotiques et faisaient l’objet de la réprobation massive de l’opinion. Le répit a été de courte durée, et assez vite l’antisémitisme a fait, sous une autre forme, son retour sur la scène des idées. Des gens de gauche, qui ne s’étaient pas toujours bien comportés sous l’Occupation, se sont trouvé un héroïsme de rechange en s’engageant pour le FLN et en épousant l’antisémitisme masqué du nationalisme algérien. Il est devenu géopolitique : ne pouvant plus s’exprimer de façon religieuse ni idéologique, il s’est manifesté dans la haine d’Israël. Les codes pour formuler la chose ont ainsi changé. Mais la nature de la chose est restée la même. La preuve, c’est l’incroyable vitesse avec laquelle l’horreur de ce qui s’est passé le 7 octobre a été recouverte par une violente propagande antijuive, qui s’est surtout déchaînée à gauche. Heureusement pas dans toute la gauche.

C’est pourtant en France toute la gauche qui vient de s’allier avec LFI, ce mouvement sur lequel il n’est plus possible d’avoir de doutes. Les donneurs de leçons sempiternels, qui s’écrient « vous pactisez avec le diable ! » dès qu’un élu de droite prend un café avec un élu RN, sont allés à la soupe.

J’ai regardé cela avec effarement. Quand Raphaël Glucksmann a fait son bon score aux élections européennes, j’étais content, je pensais que la gauche intelligente et libérale prenait le dessus. Et puis j’ai vu se former le Nouveau Front populaire. Avec par-dessus le marché un François Hollande qui toute honte bue se réconcilie avec la gauche radicale, antisioniste, dont je sais à quel point il la déteste. C’est hallucinant. Heureusement Manuel Valls et Bernard Cazeneuve sont restés à l’écart de cette honte. Ils ont sauvé l’honneur.

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Sans doute, même s’ils continuent à psalmodier que le danger prioritaire est à l’extrême droite, agitant ainsi un fantasme qui occulte les vrais combats.

Je ne suis pas certain que l’extrême droite antisémite soit complètement un fantasme.

Peut-être, mais vous nous parlez de sentiments. Ce n’est pas l’extrême droite qui menace la sécurité des juifs. Or, avec leur baratin sur la tenaille identitaire, surtout destiné à assurer leur estime de soi, vos amis ont favorisé les atermoiements face à l’islamisme. Il y a des priorités. Pour battre Hitler, il a bien fallu s’allier avec Staline.

La condition humaine ne consiste pas à choisir entre le pur et l’impur mais à choisir, au cœur de la tragédie, la meilleure opportunité qui se présente… Je suis un admirateur de Churchill. Il avait Hitler en horreur et il éprouvait une détestation viscérale pour Staline. Il a choisi l’alliance stratégique la plus sûre pour atteindre son but : la défaite de l’Allemagne nazie. Je crois à la politique, qui est affaire de traîtres, et je ne crois nullement à l’idéologie, qui est affaire de crétins.

Reste un fait incontestable : Marine Le Pen a viré son père. Je ne voterai jamais pour elle, car j’ai une aversion philosophique profonde pour les partis radicaux, qu’ils soient de droite ou de gauche. Mais cela ne m’interdit pas de voir que le problème massif de l’antisémitisme n’est plus au RN, mais à gauche. Non seulement pour les raisons historiques que j’ai rappelées, mais aussi parce que l’extrême gauche, par opportunisme, mise sur l’antisémitisme supposé de la communauté musulmane établie dans les pays européens, et notamment en France.

Des figures de La France insoumise participent à une manifestation étudiante en soutien à la Palestine, lors de l’occupation d’un bâtiment de Sciences-Po Paris, 26 avril 2024. JEANNE ACCORSINI/SIPA

Ce n’est pas un « antisémitisme supposé » ! Toutes les études montrent que l’antisémitisme concerne à peu près la moitié des musulmans européens.

Ce qui veut dire que l’autre moitié n’est pas antisémite.

Halleluyah !

N’ironisez pas. Ceux-là existent, et ils sont nombreux. Il ne faut pas les insulter. Je vous dis cela parce que je sais ce que c’est que d’être insulté. À Charlie Hebdo, Cabu et moi avons toujours été très fermes sur la défense de l’existence d’Israël et sur la lutte contre l’antisémitisme, y compris à gauche. Raison pour laquelle nous n’avons pas arrêté de nous faire traiter de fachos.

Par qui ?

Par cette gauche mélenchoniste qui pue et qui sévit notamment dans les écoles de journalisme et à l’Université. Si vous allez dans les provinces, les gens ne sont pas antisémites, ils s’en foutent ; c’est seulement une obsession au sein d’une petite élite enseignante et médiatique. Aujourd’hui, par exemple, je pense que le positionnement du Monde est un gros problème. Si ce n’était pas le journal de référence, je m’en foutrais, mais leur influence est considérable, ils dictent beaucoup de choses au reste de la presse, notamment aux chaînes publiques, or leur positionnement géopolitique est très violemment anti-israélien. Ils n’ont pratiquement rien publié sur les otages juifs retrouvés assassinés après avoir été torturés ! Je pense que le général de Gaulle a bien résumé les choses avec cette formule : « Dans Le Monde, tout est faux, même la date. » C’est tellement vrai… Cela dit, je le lis tous les jours, parce qu’on y trouve aussi des articles de grande qualité, sans doute écrits par des rédacteurs très malheureux.

Au rang des médias anti-israéliens, il y a aussi France Inter, dont vous avez été le directeur. Il s’y est passé pourtant des choses intéressantes cette année, puisqu’ils ont viré Guillaume Meurice, décision qui ne nous a pas enthousiasmés. Et vous ?

Par principe, je ne m’exprime pas au sujet de l’action de mes successeurs. Mais je peux quand même faire un commentaire général. Un directeur ou une directrice d’un média quelconque a le droit de dire « ça me plaît » ou « ça ne me plaît pas », sinon il n’y a pas de direction. Si Adèle Van Reeth, la directrice de France Inter, n’aime pas l’humour de Guillaume Meurice, elle a le droit de ne pas renouveler son contrat.

Vous savez bien que ce n’est pas pour ça qu’il a été limogé…

En tous les cas, je sais qu’il n’a pas été limogé parce qu’il était follement drôle.

Le « roman » d’Aurélien Bellanger qui accuse la gauche laïque et républicaine en général et feu Laurent Bouvet en particulier de crypto-maurassisme, enchante France Inter et toutes les sacristies de la gauche médiatique. L’avez-vous lu ?

Je ne l’ai pas lu, mais on m’en a beaucoup parlé puisqu’il paraît qu’un des personnages me ressemble beaucoup. J’y vois plutôt un bon signe. Cela veut dire que l’extrême gauche panique. On peut les comprendre. Quand Charlie Hebdo a publié les caricatures de Mahomet en 2006, on était très seuls. Aujourd’hui, ce n’est plus du tout vrai. Une très grande partie de la société française, et même de nombreux médias, sont avec nous. Malgré les apparences, j’ai l’impression qu’on approche de la fin d’un cycle. Je pense que les antisionistes qui se prennent pour une avant-garde sont en réalité une arrière-garde vermoulue et conformiste. Alors ce livre sort pour nous défoncer, de même Le Monde publie régulièrement des papiers pour nous défoncer. On a l’habitude, la guerre est ouverte.

Moins seuls, d’accord. Emmanuel Macron est-il de votre, de nôtre côté ?

Dans La Citadelle, le livre de Jean-Michel Blanquer, on comprend comment le logiciel d’Emmanuel Macron fonctionne : se conformer en fin de compte au magistère intellectuel de l’extrême gauche. Quelle déception ! Surtout que la plupart des Français refusent ce magistère. D’où leur défiance vis-à-vis du personnel politique, qui n’ose pas traiter le problème de l’islamisme, non seulement par conformisme intellectuel, mais aussi par affairisme, parce que notre pays fait du commerce avec le monde arabe. Tout cela donne un enrobage anesthésiant, confortable, tiédasse dans lequel les dirigeants se réfugient dès que ça commence à chauffer. Si seulement nos politiques voyageaient un peu plus, ils verraient combien l’esprit européen fait envie au reste du monde. J’ai fait des reportages pendant dix ou quinze ans à travers la planète, et j’ai rencontré partout des gens intelligents qui me suppliaient : « Tenez bon, parce que l’Europe est notre seul espoir. On veut vous ressembler ! » Ils désirent parler librement, avoir les relations sexuelles qu’ils veulent, lire des livres qu’ils aiment, voyager, pouvoir s’exprimer, boire quand ils en ont envie.

L’esprit européen, dites-vous. N’est-ce pas une fiction consolatrice ?

Pour moi, il y a un peuple européen : Mozart, Fellini, Chaplin, Proust, Goethe, Dante, Cervantes, Érasme, Kundera. Je n’ai pas d’état d’âme à proclamer qu’il faut défendre l’esprit européen, qui a à voir avec la façon dont on rit sur notre continent depuis l’Antiquité. C’est pour cela que j’ai écrit un livre sur le sujet.

Suffit-il de grandes déclarations d’amour pour défendre ce qu’on admire ?

Non vous avez raison. Le 7 octobre marque une rupture. Le ton doit changer. On ne doit plus se défendre de la même façon, il faut attaquer. Il faut dire : « On va se battre » – intellectuellement bien sûr. Le moment n’est plus venu d’apaiser, mais de gagner. C’est-à-dire de ne pas perdre notre héritage commun.

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Vous donnez à l’attaque antisémite du 7 octobre une portée européenne, si ce n’est mondiale. Ne faudrait-il pas en finir avec la centralité de la question juive ? Tout ne tourne pas autour des juifs !

Mais elle est centrale ! L’Europe s’est fondée, construite, inventée avec la pensée juive et la pensée grecque. L’antisémitisme est toujours un suicide européen, une forme de haine de soi. C’est central, car c’est par là que ça commence et par là que ça finit.

On approche des dix ans des attentats de 2015 et on va avoir un festival de proclamations. On répétera en boucle que « s’attaquer à un dessinateur de Charlie, à un Parisien qui boit un verre en terrasse, à un fan de rock, à un juif qui fait son marché dans un supermarché casher, c’est s’attaquer à la France ». On en a marre ! Pour mener le combat intellectuel, comme vous dites, commençons par le sujet qui fâche, l’immigration ?

Cela fait partie du combat, je suis d’accord. Il faut ramener tout cela dans le débat, sinon ça ne sert à rien. Je ne peux plus entendre non plus des raisonnements comme : « L’islamisme, ce n’est pas bien, mais ça n’a rien à voir avec l’islam. » L’islamisme a tout à voir avec l’islam. Il y a un problème au sein de cette religion, si on ne le dit pas, on ne dit rien. Je ne dis pas que tous les musulmans sont des terroristes, mais que tous les terroristes sont musulmans.

Vous le dîtes, mais qui veut l’entendre ? Vous ne pensez jamais que c’est foutu ?

Je ne sais pas si c’est foutu ou pas mais de toute façon, on n’a pas le droit de baisser les bras. Et puis je voudrais finir par une note d’espoir. On devrait davantage observer ce qui se passe en Iran. Je pense que si le régime des mollahs, par bonheur, s’effondrait, cela changerait tout, car c’est le vrai bastion des Frères musulmans. Cela semble étrange de dire cela puisque l’Iran est chiite alors que les Frères musulmans sont sunnites. Mais la révolution de Khomeini était en réalité beaucoup plus sunnite qu’on ne le pense. Tandis que le peuple iranien est, lui, culturellement beaucoup plus proche de nous et d’Israël. Si demain l’Iran se débarrassait des mollahs, il y aurait tout un pan de l’antisémitisme qui s’effondrerait, j’en suis certain.

Octobre 2024 - Causeur #127

Article extrait du Magazine Causeur




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Elisabeth Lévy est directrice de la rédaction de Causeur. Jean-Baptiste Roques est directeur adjoint de la rédaction.

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