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Harris, les inquiétudes de l’Etat-major démocrate

Une tribune libre de Nicolas Conquer, "Republican Overseas"


Harris, les inquiétudes de l’Etat-major démocrate
Chandler, Arizona, 11 octobre 2024 © Ross D. Franklin/AP/SIPA

À un mois de l’élection, les faiblesses de la campagne de Kamala Harris sont de plus en plus visibles. Un décrochage de la candidate est-il inéluctable ?


La bulle médiatique autour de Kamala Harris pourrait bientôt finir par éclater. À un mois du scrutin, la candidate Démocrate semble avoir terminé sa lune de miel avec l’opinion publique américaine.

Les sondages restent serrés, en particulier dans les Etats clefs, et chacun s’accorde pour dire que le scrutin demeure incertain, malgré une avance nationale de 2 ou 3 points pour les Démocrates. Mais, depuis la rentrée, Kamala Harris ne progresse plus. Son état-major est donc un peu fébrile. Le score de Trump a été gravement sous-estimé dans les sondages en 2016 et 2020. Aussi, les 1 ou 2 points d’avance qu’affiche Kamala Harris dans les Etats pivots de Pennsylvanie et du Nevada ou les 0.5 point d’avance dans le Wisconsin ne sont pas une avance très confortable. D’autant que dans le Michigan, des sondeurs disent que Trump est de nouveau en tête.

La vice-présidente de Joe Biden doit d’abord assumer un bilan très critiqué. Les Américains ont eu le sentiment (légitime) de voir leur niveau de vie se dégrader sous l’administration Démocrate, que l’immigration n’était pas maîtrisée, alors que progressaient à l’international les désordres en tous genres. Après le retrait chaotique d’Afghanistan, le déclenchement de la guerre en Ukraine ou le retour de la guerre en Israël, les Républicains ont beau jeu de critiquer un bilan diplomatique désastreux. Et il est très difficile pour Kamala Harris d’incarner le renouveau, quand Joe Biden dans ses interventions admet lui avoir transmis « les clés du camion » en matière de politique internationale et que l’on est soi-même numéro deux de son administration.

Une campagne virtuelle déconnectée de la réalité

Dans ce contexte, la stratégie de communication des Démocrates reste très hésitante. En 2020, l’équipe de campagne de Joe Biden avait revendiqué un temps de déconnexion numérique : c’en était fini de Twitter où l’on ne trouvait que des journalistes et des militants politiques ! Place alors à la vraie vie, place alors aux propositions concrètes visant à améliorer le quotidien des Américains, place à l’économie et au pouvoir d’achat plutôt qu’aux habituelles dénonciations de l’adversaire honni ! Pour la cuvée 2024, étrangement, les Démocrates misent de nouveau sur une stratégie virale, axée principalement sur Tiktok, espérant capter l’attention des jeunes électeurs avec des vidéos courtes et accrocheuses souvent assez vides de propositions voire de tout contenu politique. James Carville, l’ancien conseiller de Bill Clinton, a critiqué ouvertement l’équipe de campagne de Harris, l’accusant de ne pas être en prise avec la réalité. Cette remarque met en lumière un fossé entre la réalité politique et une stratégie de communication aseptisée qui n’a pour seul atout qu’une modernité numérique supposée. Côté Trump, les Républicains mènent une campagne de terrain tournée vers l’action militante ; et ils progressent, notamment dans la collecte de bulletins de vote – un élément devenu clef pour la victoire comme l’a montré le scrutin de 2020.

Le choix du colistier : un handicap politique ?

Le choix du colistier de Mme Harrius, Tim Walz, gouverneur du Minnesota, n’a rien arrangé, et l’ensemble de la campagne peine à susciter l’enthousiasme. En témoignent les sondages dans ce fameux Minnesota, fief Démocrate qui semblait solide et n’avait pas voté Républicain depuis le raz-de-marée Reagan de 1980. L’avance du ticket Démocrate s’y est réduite à seulement cinq points dans les derniers sondages. Un signal d’alarme qui peut d’autant plus inquiéter l’équipe de campagne de Harris que le choix d’un colistier permet d’ordinaire de sécuriser l’Etat d’origine du potentiel vice-président… Le Minnesota fait partie de cette ceinture industrielle des Grands Lacs, où les électeurs de la classe ouvrière américaine sont nombreux à pencher pour Trump depuis 2016. Beaucoup y sont sensibles au discours de Trump sur le retour du protectionnisme et la défense des frontières.

A écouter: Harris-Trump : les enjeux fondamentaux de l’élection américaine. Un débat contradictoire

Les syndicats de travailleurs, traditionnellement acquis aux Démocrates, voient certains de leurs adhérents virer leur cuti. Une consultation interne des membres du syndicat International Brotherhood of Teamsters a révélé que 60% d’entre eux préféreraient le ticket Républicain. Si J.D Vance, le colistier de Trump, reste un personnage controversé, le public a pu mesurer ses qualités intellectuelles lors du débat qui l’opposait à Walz, et son statut de fils d’ouvrier appalachien demeure un formidable atout.

Splendeurs et misères d’un plan média

Si les élites Démocrates des grandes métropoles ont depuis longtemps négligé le vote ouvrier, elles pouvaient jusqu’à ce jour au moins se consoler avec le soutien des grandes figures du show-biz et les célébrités hollywoodiennes. Il ne faut cependant pas négliger l’effet de scandales répétés sur l’image de ces dernières. L’affaire qui affecte ces derniers jours le rappeur P Diddy, accusé de trafic sexuel, fait beaucoup de bruit. Il sera jugé en mai 2025, et reste pour l’instant en prison. La star avait appelé à voter Obama et Biden par le passé. Pareils soutiens sont-ils encore pourvoyeurs de voix ? Rien n’est moins sûr. Faute de pouvoir accrocher de nouveaux électeurs avec de beaux récits hoolywoodiens, les candidats Démocrates tentent d’élaborer le leur, au prix de certaines exagérations. Kamala Harris a ainsi tenté de faire pleurer dans les chaumières en se disant issue de la classe moyenne (avec une mère universitaire et chercheuse en biologie, et un père lui aussi universitaire et économiste, quand même), et en rappelant qu’elle travaillait durement chez McDonald’s dans sa jeunesse. Son récit a paru au public quelque peu enjolivé. Tim Walz, de son côté, a voulu exhiber ses faits d’armes glorieux, prétendant avoir été déployé dans des zones de combat rapprochés et avoir assisté aux évènements de la place Tiananmen. La véracité de son récit a été depuis remise en cause.

Harris et Walz ont par ailleurs fait le choix d’une communication strictement verticale, sans véritables interactions avec les journalistes ou entretiens. Les relations de l’équipe avec la presse sont extrêmement limitées et cadrées. À quoi attribuer ce mutisme ? Cherchent-ils à fuir les sujets sensibles pour dérouler ce roman d’existences imaginaires ? Ou cherchent-ils tout bonnement à dissimuler leur absence de propositions concrètes ? Ils ne préfèrent quand même pas l’eau tiède des discours candides sur les prétendues réussites du président Biden ? Les adversaires de Trump ont en tout cas bien de la peine à le faire passer pour un dégonflé, lui qui n’a jamais craint l’algarade médiatique. Son message est certes clivant, mais il a le mérite d’une certaine clarté. 

Une campagne qui peine à convaincre

A quoi attribuer toutes les faiblesses de la candidature Harris ? Rappelons que Kamala Harris n’était pas le premier choix des Démocrates. Brièvement candidate à l’investiture en 2020, elle avait dû renoncer avant même la primaire de l’Iowa, faute de soutien populaire (ses intentions de vote plafonnaient à 1% des voix). Le renoncement précipité de Joe Biden fut l’épilogue d’un tour de passe-passe inédit dans l’histoire politique américaine. Conscients du vieillissement du président sortant, les stratèges Démocrates ne se résignaient pourtant pas à le débrancher avant l’élection primaire, de peur que des candidats contestataires se saisissent du vote pour imposer leur ligne au parti. Bernie Sanders avait manqué par deux fois (et de très peu) d’être investi en 2016 et en 2020. Dans les métropoles, la base Démocrate penche plus nettement à gauche. Beaucoup d’électeurs Démocrates traditionnels reprochent par ailleurs l’abandon de la classe ouvrière par la direction du parti. Une primaire aurait été l’occasion d’une grande et douloureuse explication collective, que l’establishment progressiste américain voulait à tout prix éviter. Moyennant quoi, ni la question du libre-échange, ni celle de l’immigration, ni celle de la sécurité ou encore de la fiscalité n’ont pu être franchement tranchées par les électeurs. Or, à ne jamais évoquer les questions qui fâchent, on finit par ne plus parler de rien. Faute de légitimité populaire, Kamala Harris est contrainte de rester floue pour ne contrarier aucun de ses soutiens. Une primaire aurait à tout le moins permis à un candidat d’avancer un message clair et offert aux Etats-Unis un véritable débat démocratique. Bien mal acquis ne profite finalement jamais…




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Franco-américain, représentant du parti Républicain

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