Selon le linguiste Alain Bentolila, il est aberrant d’enseigner le français à des enfants qui ne maîtrisent même pas les fondamentaux de leur langue maternelle. En continuant sur cette voie, les pays dits francophones ne produiront plus que des analphabètes.
Un enfant ne peut apprendre à lire et à écrire dans une langue qu’il ne parle pas. Quelle que soit la méthode de lecture choisie, quelle que soit la démarche pédagogique empruntée, cet enfant aura fort peu de chance de parvenir à maîtriser la langue écrite, tout simplement parce qu’il ne maîtrisera pas suffisamment la langue orale.
Être confronté à des mots écrits qui ne correspondent à rien dans son intelligence est en effet pour un élève la promesse de ne jamais apprendre à lire. Avant même d’apprendre à lire, un enfant devrait en effet posséder, en moyenne, un répertoire de quelque 1850 mots oraux liés chacun au sens qui lui correspond. C’est cela qui lui permet, lorsqu’on lui parle, de reconnaître le « bruit d’un mot » et d’en comprendre le sens en interrogeant le petit «dictionnaire mental oral » qu’il s’est progressivement constitué. C’est ce même dictionnaire de mots oraux qu’il pourra questionner une fois que son enseignant lui aura appris à traduire en sons ce qu’il aura découvert en lettres. Mais si l’enfant ne possède pas, dans son petit dictionnaire, le mot qu’il a « déchiffré », il n’y aura aucun sens derrière le bruit qu’il a mis tant de soin à construire. Adieu le sens des phrases ! Adieu le sens des textes !
Cette situation dramatique, qui met en difficulté, en France, environ 10% d’enfants, en concerne plus de 50% au Sénégal, au Maroc, en Haïti et dans la plupart des pays dits francophones. Dans ces pays, des maîtres d’école peu formés tentent d’inculquer à leurs élèves les mécanismes qui relient les lettres qui composent les mots aux sons qui leur correspondent. Ces élèves vont ainsi parvenir à mémoriser ces correspondances et être plus ou moins capables de traduire laborieusement en sons ce qu’ils découvrent en lettres. Mais à quoi rime cette capacité de déchiffrage, difficilement acquise, si le bruit du mot fabriqué avec effort par les élèves sénégalais ou haïtiens n’active rien dans des cerveaux qui ne possèdent pas le moindre vocabulaire français ? À rien, bien sûr. Car, ne l’oublions pas, apprendre à lire ce n’est pas apprendre une langue nouvelle, mais retrouver, sous une autre forme, une langue que l’on pratique déjà. Si la pénurie de vocabulaire promet à certains élèves français d’être en difficulté de lecture, la quasi-inexistence de vocabulaire assure à l’immense majorité des élèves des pays dits francophones de devenir analphabètes.
Une École digne de ce nom – où qu’elle soit – doit ainsi enseigner ses apprentissages fondamentaux dans la langue que parlent et comprennent ses élèves. Dans tous les pays où les élèves parlent une langue différente de la langue d’enseignement, c’est leur langue maternelle qui doit leur permettre d’accéder à la lecture et à l’écriture, sauf à confondre récitation et lecture. C’est sur cette base solide qui met la compréhension au centre des apprentissages qu’ils pourront ensuite accéder aux langues d’ouverture. En bref, il y a urgence pédagogique à instaurer en Haïti, au Sénégal, au Maroc… la langue maternelle comme première langue d’apprentissage de l’écrit. Ce n’est qu’une fois satisfaite la nécessité d’appuyer l’apprentissage de la lecture sur la langue maternelle de chaque enfant que l’on pourra envisager avec sagesse la maîtrise de la langue française afin qu’elle constitue une chance supplémentaire de promotion culturelle et sociale.
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Les systèmes éducatifs de certains pays dits francophones sont ainsi des machines à fabriquer de l’analphabétisme et de l’échec parce qu’ils n’ont jamais voulu (ou su) résoudre la question qui les détruit : celles des choix linguistiques. Arriver à cinq ou six ans dans une école et y être accueilli dans une langue que sa mère ne lui a pas apprise est pour un enfant une violence intolérable. Être confronté à des mots écrits qui ne correspondent à rien dans son intelligence est pour un élève la promesse de ne jamais apprendre à lire.
Mais ne confondons pas le cas du petit Haïtien, du petit Sénégalais ou du petit Guyanais qui ne parlent souvent pas un mot de français lorsqu’ils poussent la porte de l’école avec celui du petit Breton, du petit Occitan ou de bien des élèves martiniquais et réunionnais des centres-villes qui parlent convenablement le français et qui, en revanche, maîtrisent fort mal la langue régionale. Dans le premier cas il y a « urgence pédagogique » à instaurer la langue maternelle comme première langue d’apprentissage parce qu’elle est le seul instrument de communication. Mais, pour des élèves qui parlent français, utiliser les langues régionales comme langues d’enseignement n’est justifié ni d’un point de vue politique ni d’un point de vue cognitif. C’est confondre, au nom d’une « diversité linguistique sublimée », une nécessité pédagogique et un respect légitime des identités culturelles. En aucun cas un décret instaurant l’usage d’une langue régionale à l’école (breton, occitan, basque) n’aura le pouvoir de bouleverser la hiérarchie des langues que l’histoire a imposée sur notre territoire. Si l’introduction de la langue catalane dans les écoles de l’Autonomie fut légitime, c’est parce qu’elle fut l’aboutissement d’un processus de transformation politique, administrative et sociale. Alors que la création d’isolats scolaires en Bretagne, en Occitanie ou ailleurs ne se justifie ni sur le plan pédagogique (la plupart des élèves ont pour langue maternelle le français) ni sur le plan social (la langue de promotion est le français). Il s’agit d’une revendication purement idéologique qui ne concerne d’ailleurs qu’une minorité d’enfants plutôt favorisés. Ce qui est étrange, c’est que ce sont les mêmes « bons apôtres » qui encensent la francophonie – dont ils refusent de voir les effets pervers – qui chantent par ailleurs les louanges d’une diversité linguistique mettant en péril l’unité de notre pays.
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