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«Joker 2»: dynamite ou pétard mouillé?

«Joker: Folie à deux», actuellement au cinéma


«Joker 2»: dynamite ou pétard mouillé?
Lady Gaga et Joaquin Phoenix, "Joker: Folie à Deux" (2024) © Warner Bros. Pictures

Le public attendait vraisemblablement autre chose de la suite du film Joker, laquelle a fait un four au box-office américain. En France, le film comptabilise toutefois 630 000 entrées lors de sa première semaine d’exploitation.


Après le succès critique et commercial mondial du premier opus sorti en 2019 (un milliard de dollars de recettes et une moisson de prix prestigieux : Oscars, Golden Globes, British Awards et Lion d’Or à Venise), il était impossible de résister aux vents flatteurs de l’inévitable « suite ». Le réalisateur madré Todd Phillips, autrefois spécialiste de comédies (trilogie Very Bad Trip, Date limite, Projet X, Retour à la fac, Starsky et Hutch) rempile donc, couvert d’or, contrairement à ses dires initiaux, pour nous livrer un étonnant matériau inclassable qui devrait en décontenancer plus d’un…

Pari risqué

La presse est dans son ensemble quasiment unanime : ce film serait une purge ! Mais contrairement à tout ce que l’on peut lire, ce deuxième opus se révèle fort intéressant et intrigant dans la mesure où il cherche systématiquement à désamorcer et décevoir volontairement les attentes les plus primaires et évidentes de la grande majorité des spectateurs qui s’étaient délectés des excès et des outrances, souvent faciles, du premier Joker, dans ce New York putrescent qui nous rappelait le cinéma désespéré et glauque du grand Martin Scorsese (Taxi Driver et La Valse des pantins, en tête).

Cinq ans plus tard, on est face à un objet artistique assez unique et insaisissable, complètement inattendu, prenant son monde à contre-pied, un blockbuster d’auteur « à 200 plaques » qui lorgne autant du côté du Nouvel Hollywood contestataire et libertaire de la décennie magique 70 (impossible de ne pas penser à Vol au-dessus d’un nid de coucou de Milos Forman, 1975) que de la grande comédie musicale classique des fifties portée en son temps par un Vincente Minnelli.

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La violence paroxystique clownesque attendue, espérée, célébrée, est ici toute intérieure, contenue, réfrénée dans l’esprit tantôt vacillant, tantôt lucide de notre attachant Dr Fleck and Mister Joker (Joaquin Phoenix, toujours aussi impeccable !). Le triste sire apparaît surtout comme une victime de la « société » dans son ensemble : d’une mère toxique, abusive et indigne, d’un père absent, des services sociaux défaillants dans un New York et une Amérique reaganienne en déliquescence, et d’une horde de brutes sauvages agresseurs responsable de sa démence. Et pour couronner le tout, le fragile Fleck est finalement victime du comportement sadique et inhumain des matons tortionnaires nazillons de la prison psychiatrique d’Arkham, en marge de Gotham City, alias Big Apple… Sans oublier le rôle délétère des médias sensationnalistes, qui, bien avant le règne des réseaux sociaux d’aujourd’hui, se nourrissaient déjà de la fabrication manichéenne et simplificatrice de la figure du « monstre » absolu, en réponse à la forte demande malsaine et perverse d’un auditoire surexcité et au Q.I proche de celui d’une huître.

Point de bascule

Alors que tout le monde attend sa transformation en monstre grimé « Joker », tant dans le film lors du procès de Fleck que dans les salles de cinéma, celle-ci n’arrive donc jamais. Elle ne se manifestera que sous forme de songes et de fantasmes donnant à l’ensemble une étrange patine d’engourdissement et de torpeur, à l’image des nombreux « médocs » qu’est forcé d’ingurgiter toute la journée notre anti-héros, rudoyé et humilié par les dépositaires officiels de l’ordre et de l’autorité. 

On se retrouve ainsi enserré en permanence dans cet esprit individuel malade et dysfonctionnel. Un esprit friable d’autant plus perturbé que l’Amour, avec un grand « A », celui que l’on ne rencontre qu’une fois dans une vie (et encore…) fait inopinément son apparition dans ce lieu de privation de liberté qu’est la prison. Et quel amour, lorsqu’il revêt le visage simultanément angélique et incandescent d’une certaine Harley Quinn, interprétée avec charme et souplesse par Lady Gaga herself ! Une femme toutefois beaucoup moins innocente et pure qu’elle en a l’air… Première fan de notre Joker aux troubles desseins, sa présence dans la chorale de la prison ne semble pas complètement fortuite. S’ensuivent de magnifiques scènes à deux, la plupart du temps chantées et chorégraphiées, faisant basculer le métrage dans un « méli-mélo » assez improbable et inhabituel, mais au final plutôt fascinant et divertissant.

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À la fois film carcéral, film de procès, drame psychologique (et psychiatrique), romance transgressive et comédie musicale, Joker : Folie à deux a désarçonné le public américain. La faute à un trop-plein de genres mélangés dans un métrage au rythme plutôt lent et parfois contemplatif, poétique et « poseur », sûrement. On pense en particulier à la longue scène du procès, déraisonnablement étirée…

Mais, on peut également considérer que cette hybridation renforce la singularité de cette petite « folie à deux »… Todd Phillips est un réalisateur qui fait preuve d’une grande audace, et qui devait savoir qu’il risquait gros sur ce coup. Il faut donc voir Joker : Folie à deux sur grand écran pour vous forger votre propre avis, loin de l’esprit moutonnier de la critique dominante.

2h18




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