Monsieur Nostalgie nous parle ce dimanche de l’essence-même des années 1980. Il replonge en septembre 1984, le mois et l’année de diffusion de la série Deux Flics à Miami aux États-Unis. Les enfants de la Mitterrandie ne se réveilleront jamais du choc culturel et esthétique de Sonny Crockett et Ricardo Tubbs sur leur cerveau en formation !
En France, nous nous apprêtions à tourner vers la rigueur. Virage amer après la grande tombola. Espoirs déçus et impasse budgétaire à l’horizon. Le chômage de masse prenait ses aises dans un hexagone en voie de désindustrialisation. Nous l’avons compris beaucoup plus tard, mais déjà, sournoisement s’imposait à nous un nouveau code moral avec ses intouchables et ses tabous. Nous vivions sous emprise idéologique sans le savoir. On nous obligeait à bien penser à l’école et à bien travailler à l’émanation d’un homme nouveau, dépollué, automatisé et terrifiant de certitudes.
Générique punchy
De l’autre côté de l’Atlantique, il y a tout juste quarante ans, deux flics en costard Armani et Versace, conduisant une fausse Ferrari Daytona à moteur Corvette ou une authentique Testarossa allaient réenchanter notre monde en fission. D’abord, nous fûmes saisis par le générique de Jan Hammer, ce synthé entêté et ses envolées puncheuses nous porteraient jusqu’à la cité interdite de Miami, dans une Floride huileuse, chaude, terriblement instable, balayée par des bourrasques de sable, dans les moiteurs d’une marina de carton-pâte entourée de buildings lacustres. La musique de Jan Hammer irréductible, mélodramatique, boucle sans fin, serait le terrain d’expression stylistique de deux flics qui dépoussièreraient nos misérables habitudes.
Cette frime surexposée et indécente fut notre mamelle nourricière. Car dans une France fossilisée, aux perspectives zébrées par la crise, nous suffoquions. L’Amérique avec son génie tentateur marchand, sa cascade d’images décadentes et son sens de l’emphase visuelle nous apporterait ce qui nous manquait cruellement. Un peu de débord, de « n’importe quoi », de premier degré assumé, de marques commerciales à l’écran totalement assumées et de « guest stars » cachetonnant pour se refaire le nez dans une clinique privée de Beverly Hills ou agrandir leur piscine sur un rooftop de Manhattan. Chez ces deux flics sapés comme jamais, nous reprenions peu à peu pied. Tout n’était pas perdu. La flambe était à nouveau une valeur refuge comme si l’insouciance des sixties n’était pas morte. Plus c’était grandiloquent et aveuglant, plus nous adhérions à ce projet sans issue. Pour apprécier cette débauche mêlée à une certaine langueur, ce romantisme hollywoodien rehaussé à la sauce antique, il faut s’abandonner à cette déambulation balnéaire. Se laisser porter par le flot syncopé des flashs d’hébétude. Il faut aimer les fringues qui se voient, les bagnoles crispantes, la démesure latino-américaine et la scénarisation du crime organisé. Cette atmosphère hors-cadre a encapsulé dans un flacon de cristal, une fragrance trop forte, trop osée pour notre époque du pas militaire.
Débardeur rose et flingue apparent
Chaque séquence de Deux Flics à Miami serait aujourd’hui examinée et condamnée sans procès sur l’autel d’un progressisme propret qui cache si mal son casernement mental. J’aimerais vous faire partager cet exhausteur d’existence qu’a représenté la série de 108 épisodes. De 1984 à 1989, deux flics enquêtaient sur les réseaux de la drogue et de la prostitution en lunettes Ray-Ban Wayfarer et en marcel pastel. Ils allaient au bureau en débardeur rose avec leur holster apparent. L’un avait la mèche mouvante, l’autre des frisottis nourris au Pento. Ils étaient souvent en sueur en raison d’une météo insupportable. Ça ne les empêchait pas de conduire décapoté. Dans leur univers, les filles enfilaient des maillots très échancrés comme sur les couvertures de Sports Illustrated. Avec eux, on pourchassait des voyous qui s’échappaient en Lamborghini Countach blanche. Il arrivait que l’on sorte son gun en plein restaurant devant un homard grillé. On roulait souvent la nuit sur des ponts déserts avec l’air que la vie ne sert à rien et que le mal est inhérent à la race humaine. On appelait un indic d’une cabine téléphonique. Des bastons éclataient dans des boîtes où des barons de la drogue ex-opposants castristes se comportaient mal.
Comme dans toutes les séries de ces années-là, les flics avaient des terreurs nocturnes en repensant à la guerre du Vietnam. Et nous, dans nos salons, les actualités parlaient de cohabitation et de crise de la sidérurgie, nous voulions nous échapper de cet univers carcéral. Nous savions qu’à Miami, deux flics ne maraudaient pas en Renault 18 mais en bateau-cigarette, que l’on verrait Leonard Cohen, Pam Grier, Julia Roberts et même l’épouse de BHL faire une apparition, alors nous étions heureux.
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