Depuis que la justice lui a fait comprendre qu’il ne fallait pas bloquer l’autoroute sans autorisation pour les besoins de ses clips, le rappeur d’origine algérienne Sofiane Zermani est devenu la coqueluche de la presse culturelle. Il est actuellement à l’affiche du film Barbès, Little Algérie. Critique.
Dans le milieu, François Guerrar, devenu Hassan Guerrar, est connu depuis des lustres comme attaché de presse de cinéma. Le quartier parisien de Barbès lui est d’autant plus familier qu’il y vit de très longue date. Pour son premier « long », lui qui auparavant n’a jamais réalisé aucun court-métrage ni fait la moindre école de cinéma, le « débutant » a su s’entourer : pas moins de trois coscénaristes, des techniciens avertis, un casting intelligent – et beaucoup de bonne volonté. Cela se sent : dans Barbès, Little Algérie, Hassan Guerrar a mis énormément de lui-même. En cela, c’est vraiment ce qu’il est convenu d’appeler un film d’auteur.
Aux bons soins de l’oncle Malek
Malek (Sofiane Zermani, étonnant de justesse dans ce difficile contre-emploi), Algérien de souche et mal-aimé d’une fratrie, en rupture avec sa parentèle du bled, mais en deuil de sa vieille mère, vient de s’installer à l’étroit dans un studio, au cœur de Barbès, où il fait de l’assistance informatique comme autoentrepreneur. Débarque d’Algérie, surprise, le tout jeune Ryad, son neveu, que Malek n’a pas revu depuis l’enfance (l’acteur franco-marocain Khalil Ben Gharbia au sourire d’ange). D’abord réticent, Malek l’héberge, et prend bientôt le garçon sous son aile.
On est alors en plein confinement du Covid : masque obligatoire, déplacements contraints. Les vols Paris-Alger sont annulés. Ryad prend son parti de rester à Paris, aux bons soins de l’oncle Malek. Avec l’intention de s’inscrire en Sorbonne, pour y poursuivre ses études : l’entretien préalable a lieu « en distanciel ».
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Tout baignerait, n’était le contexte épidermique du quartier. Tandis que le charitable et doux Malek a intégré un groupe de bénévoles distribuant, derrière les grilles de l’église (catholique) Saint-Bernard – et non une mosquée, relevons-le ! –, le pain quotidien aux nécessiteux sous le diligent patronage de Laure (Clotilde Courau, au civil duchesse de Savoie et princesse de Venise comme l’on sait, est impayable au sens propre dans cet emploi de cheftaine d’association caritative), la bulle arabe de Barbès demeure en ébullition.
Ramadan et pugilat
À l’approche du ramadan, les mâles impulsifs et célibataires – dealers, sans-papiers, vendeurs de cigarettes, fournisseurs de faux laissez-passer, petits trafiquants au chômage, tous musulmans – s’interpellent, voire s’insultent ou s’affrontent jusqu’au pugilat sur la chaussée, dûment gardés à l’œil, de loin, par les bienveillantes patrouilles de policiers. Autant dire que la rue n’est pas vraiment une partie de plaisir. Au point que Malek dissuadera, non sans véhémence, son candide protégé de frayer avec cette engeance malsaine… Dans ce réduit urbain, les femmes du film s’arrogent le beau rôle : ce sont les déesses lares, les cantinières, les bienfaitrices –, en bref la main pacificatrice qui s’interpose entre cette colonie d’hommes belliqueux et frustes, pris dans les turbulences de la zone survoltée. S’en échappe même, sur fond de frustration libidinale, d’idiotie et de férocité, l’éclair de jalousie homosexuelle qui va cristalliser la tragédie où se dénoue l’intrigue…
Portrait de ville en creux, Barbès, Little Algérie force la sympathie aux dépens de ses intentions iréniques, pourrait-on dire. Car avec une sorte d’ingénuité (dont on se prend à douter si elle est réelle ou composée), le film dépeint avec une grande véracité une réalité confondante, consternante : l’un des plus vénérables quartiers populaires de Paris se trouve en état de siège, bien moins par les effets conjoncturels de la crise sanitaire, que par la fracture qui coupe ses locaux de la capitale de la France : Barbès, justement, ne devrait pas être – exclusivement – une « petite Algérie » ! En ouverture du film, un personnage lâche : « Le 13e, c’est la Chine, Barbès, c’est l’Algérie. » Mais dans une séquence ultérieure, un « ancien », Arabe né dans la défunte Algérie française, s’insurge : « Les Français ont bien rendu l’Algérie aux Algériens, il faut rendre Barbès aux Français. » Ce clivage immémorial, encore et toujours chargé de périls, entre autochtones de confession musulmane, migrants clandestins, natifs d’Afrique du Nord établis en France… et Français de souche, comme on n’ose plus dire, loin de se voir évacué par Hassan Guerrar, est bel et bien le pivot de son film. Double quelque peu idéalisé du cinéaste en herbe, Malek le généreux, Malek le brave incarne, dans ce microcosme assez cruel, une forme de sainteté œcuménique qui passe par la foi en Dieu et la prière. Et sous les espèces d’une communion autour des plats indigènes, telle la chorba, infect semble-t-il en boîte, mais délicieux s’il est bien cuisiné : transparent, le symbole met, au passage, un peu de baume sur les plaies. Au générique de fin, sur une composition inédite du chanteur franco-algérien Slimane, Hassan Guerrar dédie son film « aux binationaux ».
Barbès, little Algérie. Film de Hassan Guerrar. Avec Sofiane Zermani, Khalil Ben Charbia, Clotilde Courau, Khaled Benaïssa, Eye Haïdara, Soolking… France, 2024.
Durée: 1h33
En salles, le 16 octobre 2024