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American dystopia

L’avenir des États-Unis serait-il déjà sur les écrans ?


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© Civil War, un thriller dystopique d'Alex Garland (2024) A 24/DCM

Le cinéma américain s’est toujours nourri des fantasmes d’une société divisée et hyperviolente. À l’approche d’une élection présidentielle que d’aucuns jugent cruciale pour l’avenir du pays, certains films catastrophe trouvent un écho troublant. L’avenir des États-Unis serait-il déjà sur les écrans ?


Fictions ou prophéties ?

En avril 2024 sort sur les écrans du monde entier un audacieux film indépendant américain, sobrement baptisé Civil War, réalisé par l’excellent réalisateur-scénariste britannique Alex Garland. Carton au box-office, ce cauchemar politico-dystopique renouant avec les heures glorieuses des thrillers paranos et conspirationnistes des années 1960/1970 (Un crime dans la tête ; Sept jours en mai ; Conversation secrète ; À cause d’un assassinat…) tout en lorgnant fortement vers Cormac McCarthy (La Route), engrange la bagatelle de 122 millions de dollars de recettes et donne lieu à quantité d’exégèses. Le pitch ? Dans un futur (très) proche, le pays de l’Oncle Sam est fracturé par une nouvelle guerre fratricide suite à la sécession des « Forces de l’Ouest », hallucinante coalition entre la Californie et le Texas, bientôt rejointe par d’autres États « sudistes ». Tous veulent marcher sur Washington D.C. et liquider un président devenu fou et tyrannique, exerçant un troisième mandat consécutif, ayant démantelé le FBI et n’hésitant pas à recourir aux frappes aériennes massives à l’encontre de sa propre population ! Au-delà du sous-texte militaro-politique, l’effort anti-utopique de Garland puise sa force dans la monstration d’une équipée hétéroclite de reporters de guerre menée par une étourdissante Kirsten Dunst. Longs travellings soignés, plans aériens à couper le souffle, alternance de plans larges et de zooms resserrés sur les visages et les corps meurtris et souillés, caméra à l’épaule en mode « media-embedded », le spectateur se voit propulsé sur les routes de la désolation et du désastre entre Brooklyn, lieu d’un attentat-suicide et début de l’étrange road-movie des photojournalistes, et la Maison-Blanche, point terminal de ce voyage au bout de l’enfer. La scène la plus intense demeure sans conteste la confrontation des reporters avec un milicien lourdement armé, aux lunettes rouges « disco », sans doute inspiré des Boogaloo Boys, leur demandant sournoisement à « quelle Amérique » ils appartiennent tout en liquidant d’autres journalistes d’origine étrangère dont les dépouilles sont jetées dans une immense fosse commune déjà bien remplie.

Sur un mode beaucoup plus humoristique et décalé, le génial Joe Dante, papa des Gremlins, nous avait gratifiés en 1997 d’un fort visionnaire The Second Civil War, mixant soap-opéra et politique-fiction. Alors qu’une guerre nucléaire fait rage entre l’Inde et le Pakistan, illustrant au passage les thèses fameuses de Samuel Huntington (Le Choc des civilisations venait de paraître), des milliers de petits réfugiés pakistanais, manipulés par une ONG gauchiste et antifa aux troubles desseins, affluent vers la US Terre promise. Et cela attise de nombreuses tensions dans un pays à la dérive, qui assiste en direct au pourrissement de son melting pot. Le Congrès est ainsi devenu le reflet de la juxtaposition des différents groupes ethniques occupant le pays avec, dorénavant, des représentants imposés, originaires de Corée, de Chine, du Mexique, d’Irlande… et même un leader de la « Nation of Islam », ancien caïd d’un quartier chaud de Los Angeles ! Pour couronner le tout, le gouverneur de l’Idaho, appuyé par des miliciens « patriotes », refuse d’accueillir son quota obligatoire de migrants et décide de fermer ses frontières, déclarant ainsi la guerre à l’État fédéral incarné par un président velléitaire, lui-même contrôlé par son conseiller en communication, lobbyiste obnubilé par les sondages, sous le regard en temps réel de News Net, chaîne d’info en continu racoleuse, petite sœur d’une certaine CNN alors en plein boom.

La révolte de l’homme blanc

« Nous devons tenir bon pour que le fil de la vérité reste tissé dans l’étoffe de la civilisation », disait Eisenhower. Mais de quelle civilisation parle-t-on lorsque des forces hostiles et centrifuges menacent de saper de l’intérieur l’identité d’une nation, fût-elle plurielle et évolutive à travers son histoire ? Et qui se soucie alors de la condition de l’homme blanc de type occidental, ce salary man qui vit modestement, respectant les lois de son pays tout en tentant de préserver un semblant de dignité au quotidien. Il faut voir et revoir l’excellent Chute libre réalisé en 1993 par Joel Schumacher, cinéaste new-yorkais « ultra-droitier » et « réactionnaire », selon les catégorisations imposées par la bien-pensance de la critique dominante. Dans un quartier de Los Angeles écrasé par la chaleur estivale et paralysé par des embouteillages monstres, un employé de bureau lambda incarné par un impeccable Michael Douglas, va, en l’espace d’une journée, appréhender et toucher du doigt les aberrations et les contradictions du système démocratique et consumériste américain, processus heuristique par l’absurde débouchant irrémédiablement sur une aporie individuelle… et une tragédie. Que ce soit face à un épicier coréen atrabilaire et peu reconnaissant, un gang de Chicanos roulant des mécaniques pour marquer son territoire comme le feraient des chiens, de vieux riches désabusés jouant nonchalamment au golf dans une immense propriété, un SDF hippie usurpant l’identité d’un vétéran du Vietnam pour mieux quémander ou encore un néo-nazi homophobe et fan de Zyklon B (incroyable et effrayante prestation de Frederic Forrest), le cri de révolte de notre WASP semble fort légitime et venir du fond des âges…

Mais qui l’entendait vraiment à l’époque ? Et qui peut s’en faire le porte-voix aujourd’hui ? Trente ans après ce film-uppercut qui a valu des tombereaux d’injures à son auteur, force est de constater la brûlante actualité de son propos, a fortiori dans un pays, lointain symbole de liberté et de réussite par le mérite, plus que jamais clivé et fracturé.

Octobre 2024 - Causeur #127

Article extrait du Magazine Causeur




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