Notre contributrice Marie-Hélène Verdier publie chez l’Harmattan un recueil de nouvelles : L’éléphant de quartz où un imaginaire à bride abattue le dispute à un réalisme poignant.
La première nouvelle nous emmène du côté de la Santé et d’une rue empruntée par deux jeunes filles bras dessus bras dessous et qui se tinrent ainsi le temps d’une joyeuse amitié, laquelle s’interrompit une fois leur vie sortie du champ des possibles pour prendre des formes plus précises qui n’eurent, brutalement, plus rien à se dire. Seule une écriture de la réminiscence peut encore restituer ce qui fut lumineux. La nouvelliste plonge régulièrement dans un passé révolu pour en saisir quelques moments, quelques bribes, voire quelques enluminures oniriques, emportée par un vocabulaire dont on n’a plus l’habitude et qui, dans une sorte d’ivresse d’associations nous donne passablement le vertige. La langue et les références qui l’habitent cavalent à toute allure avec Marie Soleil et destriers à ses côtés.
« Les terrils vont refleurir. Ce matin, la sève montait dans mon tronc, irradiant au bout des doigts, pour s’épanouir en ridules de rires dans mon cerveau. La Vénus du Nord dans un tonneau de fourrure ! La Madone des sleepings dans son étui de chocolat glacé ! Je me souviens du père Avril qui gravissait chaque jour les terrils pour y planter des bouleaux. Il voulait un rang serré de heaumes aux yeux fermés : le rêve samouraï pour une enfance Lorelei et chevaliers. Il fut emporté au sommet par une attaque : le cœur a-t-on dit. Jamais il n’aura vu les fils de ses rêves, les frères Aymon trouant les marais de leur galop mouillé, les terrils sous leur cape. »
Ailleurs, des métaphores aquatiques et solaires, où le bleu et le jaune dominent, colorient un style très pictural. Tableaux impressionnistes qui donnent à voir les sensations et les visions de personnages oscillant entre rêve et réalité, tel ce jeune garçon servant la messe dans une atmosphère sensorielle et mystique, et qui croit entendre « Saint-Pétersbourg » lorsque « le curé Grimbert, qui avalait les syllabes » prononçait trop vite le mot « saeculorum ». Ce qui fera qu’à chaque fois que le nom de cette ville russe sera prononcé, c’est la messe en son entier qui ressurgira à la façon du Venise des pavés inégaux.
La mort s’invite assez souvent dans ces récits, de manière crue et parfois très violente. Et la mélancolie, qui ne lâche pas un instant « l’écrivain public » penché sur ses amours anciennes, cède un instant le pas à une description de la grâce dont un couple marchant dans les rues de la capitale italienne témoigne et à un humour rafraîchissant : « Je suis à Rome avec Anaïs » dit le narrateur qui s’y trouve des années après. « Je l’ai emmenée pour une conférence que je fais à l’institut français sur un tableau mythique de la Sainte famille à l’éléphant d’après Poussin. Nous allons dans les jardins de la villa Borghèse crayonner Daphné enlevée par Apollon. C’est là qu’Anaîs m’a quitté pour suivre mon collègue historien de l’antiquité tardive. »
Ainsi passe-t-on d’un registre à un autre, surréaliste souvent, lyrique presque toujours, en passant d’une nouvelle à une autre, en compagnie de personnages tamisés par le temps ; le temps ; cette grande affaire de la littérature.
L’éléphant de quartz de Marie-Hélène Verdier, L’Harmattan, 2024 98 pages.
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