En Afrique du Sud, une nouvelle loi sur l’éducation a suscité des débats houleux parmi les élus de la nation et a ravivé les tensions dans un pays marqué par une histoire complexe en matière de race et de langue. La loi, récemment signée par le président Cyril Ramaphosa, vise à rendre l’éducation plus équitable, mais divise également les communautés, en particulier celle des Afrikaners qui accusent le gouvernement de discrimination à leur encontre.
À la tête de l’Afrique du Sud depuis 2018, le président Cyril Ramaphosa a signé, vendredi 13 septembre, le projet de loi portant modification des lois fondamentales sur l’éducation (BELA). Cette réforme a pour objectif principal de réduire les inégalités économiques et éducatives héritées de l’apartheid, et de renforcer les bases de l’apprentissage pour les jeunes enfants, en particulier ceux issus des communautés noires.
En effet, selon les statistiques de 2022 sur le sujet, malgré une augmentation du taux de scolarisation secondaire chez les adolescents noirs, passé de 9,4% en 1996 à 34,7% en 2022, seules 9,3% de ces personnes accèdent aux études supérieures, contre 39,8% de la population blanche. « La loi que nous signons aujourd’hui ouvre encore plus les portes de l’apprentissage. Elle permettra aux jeunes enfants d’être mieux préparés à l’enseignement formel », a déclaré Cyril Ramaphosa lors de la signature du document officiel à Pretoria.
Cependant, deux sections particulièrement controversées de la loi, portant sur la gestion des langues d’enseignement et les politiques d’admission, ont été suspendues pour trois mois supplémentaires, afin de permettre des consultations supplémentaires entre les factions gouvernementales…
La langue, un enjeu culturel et politique pour les Afrikaners
Au cœur du débat, se trouvent les clauses de la loi conférant au gouvernement national la possibilité de prendre des décisions finales concernant les politiques linguistiques et d’admission dans les écoles. Historiquement, cette responsabilité était du ressort des conseils scolaires. Cette modification est perçue par certains comme une menace à l’enseignement en langue maternelle, notamment pour les communautés afrikaner et métisse (coloured) d’Afrique du Sud. Pour ces dernières, la langue afrikaans, parlée par 15 millions de personnes dans toute l’Afrique australe, n’est pas seulement un moyen de communication, mais également un symbole fort de leur culture et de leur identité.
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Les écoles afrikaansophones dénoncent les pressions gouvernementales visant à privilégier l’anglais comme langue d’enseignement, craignant une érosion progressive de l’usage de l’afrikaans dans les établissements scolaires. Parmi les 23 719 écoles publiques du pays, environ 10 % utilisent l’afrikaans comme langue d’enseignement principale ou secondaire. Cependant, pour les autorités, cette réforme vise à éviter que des enfants soient exclus en raison de leur incapacité à parler l’afrikaans, un problème soulevé par des parents noirs depuis la fin de l’apartheid. Ainsi, en janvier 2023, des dizaines de parents noirs avaient manifesté devant la Laerskool Danie Malan, une école de Pretoria qui utilise largement l’afrikaans et le setswana (une autre des 11 langues officielles d’Afrique du Sud), affirmant que leurs enfants avaient été refusés pour des raisons « racistes », soulevant une vaste polémique en Afrique du Sud.
Une histoire douloureuse autour de l’afrikaans
L’enseignement en afrikaans est une question particulièrement sensible en Afrique du Sud, notamment en raison de son association historique… avec l’apartheid. Alors que pour une partie de la population blanche, cette langue représente l’autodétermination et la liberté, pour la majorité noire, elle est synonyme d’oppression et de discrimination. Dérivé du néerlandais auxquels se sont greffés des vocabulaires allemands, français ou même malais, la langue afrikaans a été le premier ciment nationaliste des afrikaners au cours du XIXe siècle, lesquels l’ont ensuite imposé comme langue administrative au détriment de l’anglais dès les premières années de la mise en place de la ségrégation raciale (1948). Un enseignement mal vécu par la majorité noire qui a fini par se soulever en 1976 depuis le township de Soweto. Une révolte sévèrement réprimée par le régime de l’apartheid, qui avait fait entre 176 et 700 victimes.
Aujourd’hui, seuls 9% des noirs parlent cette langue que l’on peut entendre facilement dans les provinces du Cap-Nord et du Cap-Occidental et qui a des partisans acharnés, notamment parmi les chanteurs phares de l’Afrikanerdom, come Bok van Blerk ou Steve Hofmeyr.
Opposition et contestations
La communauté afrikaansophone, ainsi que des groupes de défense tels que AfriForum, ont vivement critiqué la loi et menacent de porter l’affaire devant les tribunaux. Ils considèrent que l’amendement linguistique constitue une attaque directe contre l’afrikaans et l’identité afrikaner. « L’afrikaans a déjà été érodé dans les universités publiques du pays de la même manière », a déclaré le mouvement d’extrême-droite. Dans le même temps, des membres de l’Alliance démocratique (DA), le principal parti d’opposition et membre du gouvernement d’union nationale, ont également exprimé leur mécontentement face à la décision de M. Ramaphosa. Le chef de la DA, John Steenhuisen, a menacé de riposter politiquement, critiquant le fait que les partenaires de la coalition gouvernementale n’aient pas été suffisamment consultés, ravivant les tensions raciales encore très perceptibles dans un pays déjà profondément marqué par une ségrégation sociale importante et persistante.
Alors que le gouvernement cherche à rendre l’éducation plus accessible et inclusive, les questions linguistiques demeurent un terrain plus sensible que jamais. Et un échec pourrait pousser la minorité blanche à se radicaliser et à se recroqueviller sur elle-même, voire à faire sécession.
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