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Jean-Paul Enthoven, Ce qui plaisait à Blanche (Le Livre de Poche, 2024)


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L'écrivain français Jean-Paul Enthoven au micro de RCJ. Capture YouTube.

Ce qui plaisait à Blanche (2020), de Jean-Paul Enthoven, ressort en Livre de Poche. Les jeux du sexe et du hasard; gain espéré: vivre le plus longtemps dans le désir; piège à éviter: tomber amoureux.


Quelques femmes entrent dans votre vie pour ne plus jamais en sortir, même après leur départ. Blanche est de ces femmes-là. Elle apparaît un soir de lune rousse, dans la chaleur d’un 15 août, à Capri, lors d’une fête organisée par un certain Cornélius qui se prétend descendant de l’illustre Nancy Cunard, la première muse déjantée de Louis Aragon. Parmi la faune cosmopolite invitée, il y a un ministre conseiller à l’ambassade de France à Rome, comme un certain Paul Morand, attaché d’ambassade au Palais Farnèse. C’est le narrateur du roman que nous lisons, dont l’avant-propos signale qu’il est édité par Jean-Paul Enthoven, juste avant qu’il ne quitte son bureau directorial de la rue des Saints-Pères, chez Grasset.

Comme le nom du narrateur reste secret, on se dit qu’il est le double de Jean-Paul Enthoven puisque ce dernier signe l’ouvrage de son nom. Or, dans une présentation vidéo dudit ouvrage, il affirme que le texte n’est pas autobiographique. Disons que l’éditeur a glissé un peu de lui-même dans le récit : goût des femmes fatales, de la littérature, des bains de mer, de l’Italie, avec une prédilection pour l’île de Capri chère à Malaparte…

Le narrateur, esthète en voie d’extinction dans une Europe contaminée par le consumérisme, tombe sous le charme de Blanche, blonde magnétique, veuve, un brin mythomane, reine de bacchanales en robes de soie et masques de dentelle, bisexuelle de choc, « athée de l’amour ». Le narrateur, la cinquantaine triomphante, célibataire, jouisseur désabusé, détesté par son père, car sa femme est morte en le mettant au monde, se résume ainsi : « Je tenais l’amour à distance, je croyais au plaisir, je rencontrais rarement le bonheur. Quant à la joie, je n’en avais qu’une connaissance de seconde main. » Il a le sens de la formule. Exemple, à propos de l’apparition de Blanche : « Cette créature, de toute façon, n’était pas concernée par le temps. » Elle est accompagnée d’une servante soumise, personnage baudelairien, prénommée Zita. Les jeux du sexe et du hasard se mettent en place. Le gain espéré : vivre le plus longtemps dans le désir. Le piège à éviter : tomber amoureux. Blanche et le narrateur entrent dans une danse frénétique et raffinée des corps en liberté. Le narrateur se fait voyeur et tient la main de Blanche quand elle subit les caresses des femmes et les assauts des hommes. Elle parle de cérémonies. Le terme fut employé par Catherine Robbe-Grillet. Mais, ici, les fouets et les objets tranchants restent dans la commode aux accessoires. Le récit n’est pas bataillien, il reste lié au libertinage poudré du XVIIIe siècle. Le narrateur, du reste, se garde bien d’avoir recours à un vocabulaire cru. Ainsi l’élégance du style finit-elle par conquérir le lecteur.

Blanche, qui a le tutoiement déstabilisant, parviendra-t-elle à envoûter définitivement le narrateur ? Ce dernier semble avoir un cœur de bronze. « Orphée ne devait pas regarder Eurydice, et moi je ne devais pas posséder Blanche », dit-il. Le jeu se corse avec l’apparition d’Angie. « C’était une très jeune femme. À peine vingt ans. Aucun maquillage. Aucun bijou. Vêtue d’un jean et d’une chemise de garçon. » Détail piquant : des taches de rousseur apparaissent sur son visage lorsqu’elle prend le soleil.

Le fantôme d’Aragon vient parler au narrateur. Il ne pouvait en être autrement. On pense naturellement au roman Blanche ou l’oubli, dont le narrateur, justement, cite l’incipit : « Il ne suffit pas d’être belle pour qu’un homme s’attache à vous. » Incipit quelque peu déroutant, à l’image du roman. Mais n’est-ce pas le but des extravagants, pour reprendre le mot de Morand, que d’emprunter les voies conduisant aux arrière-mondes ?

Jean-Paul Enthoven, Ce qui plaisait à Blanche, Le Livre de Poche.

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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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