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Didier Migaud et Bruno Retailleau peuvent-ils déjouer les mauvais augures?

L’analyse politique de Philippe Bilger


Didier Migaud et Bruno Retailleau peuvent-ils déjouer les mauvais augures?
De gauche à droite, le ministre de la Justice Didier Migaud, le président Macron et le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, Palais de l'Elysée, Paris, 23 septembre 2024 © Christophe Ena/AP/SIPA

Réagissant à l’affaire Philippine, le ministre de l’Intérieur a réclamé une évolution de « l’arsenal juridique ». De son côté, le garde des Sceaux a défendu la magistrature lors d’une visite à la prison de la Santé, affirmant que « le laxisme judiciaire n’existe pas », qu’ « il faut de la pédagogie » et que « le taux d’exécution des peines n’a jamais été aussi élevé ».


Avec quelle indécente volupté certains ont-ils pris connaissance des premiers couacs au sein du nouveau gouvernement ! C’était inévitable, tant la France partisane est plus préoccupée de faire perdre l’adversaire que de faire triompher sa propre cause… Il y a des controverses ridicules. Comme celle sur « l’arc républicain » et le Rassemblement national. Pourtant, le Premier ministre avait été clair et il était tout à fait moral et normal de prescrire que le temps du mépris à l’encontre des électeurs de ce parti était révolu et que l’opposition politique même la plus vigoureuse ne serait plus contradictoire avec une sorte de respect démocratique. Pourtant, le ministre Antoine Armand, qui aurait dû être, plus que tout autre à cause de sa proximité avec Michel Barnier, au fait de la résolution de ce dernier, a commis un impair sur France Inter. Il est tombé dans le panneau de cette absurde exclusion du RN de l’arc républicain qui est, comme l’avait très bien dit Gabriel Attal en son temps lucide et courageux, l’Assemblée nationale tout entière. Antoine Armand a été recadré, il a vite compris.

Petits couacs et vraies divergences de fond

Il y a des ministres macronistes qui ont des états d’âme et, pour certains, des frustrations de gauche. Par exemple, Agnès Pannier-Runacher a un « dilemme », craint « des frottements ». S’ils ont tant de mal à être à l’unisson du Premier ministre, personne ne les contraignait à demeurer ministres ! Ils étaient libres de ne pas venir troubler et affaiblir une équipe qui se doit de réussir pour la France et les Français. Ce sont des incidents secondaires qui ne pouvaient que résulter d’un mixte gouvernemental que la dissolution et ses résultats ont rendu obligatoire. Mais il y a un problème de fond, beaucoup plus sérieux, qui est apparu. Par rapport à notre histoire politique, il n’a rien d’original. Ce serait « l’éternel duel entre l’Intérieur et la Justice », écrivent Claire Conruyt et Paule Gonzalès dans Le Figaro daté de mercredi. Il serait difficile de contester cette évidence, qui s’est d’ailleurs souvent traduite par la domination d’un ministre – de l’Intérieur plutôt – sur l’autre. Mais, sans être naïf, cet affrontement n’est pas fatal.

À lire aussi, Dominique Labarrière: Philippine: martyre de l’impéritie judiciaire

D’abord parce qu’il s’agit de Bruno Retailleau et de Didier Migaud, qui ont conscience de l’impératif qui pèse sur eux, brutalement résumé par cette interdiction : ils ne peuvent se permettre d’échouer, non seulement dans leur pratique et leurs résultats ministériels mais dans la qualité de leurs relations professionnelles et la solidarité de leurs actions. Il n’y a aucune raison, en effet, pour qu’une sensibilité de droite, courageuse, libre et constante – celle de M. Retailleau – soit désaccordée d’avec la vision lucide et responsable d’un homme étiqueté de gauche : celle de M. Migaud (dont on perçoit que d’aucuns, à cause de cette orientation politique ancienne, voudraient le constituer comme un opposant de principe à Bruno Retailleau) ! À condition que l’Intérieur et la Justice ne soient pas vécus seulement comme des opportunités de défendre policiers ou magistrats sans que soient dénoncés les vices et les dysfonctionnements de chacun des systèmes dans lesquels ils exercent. Ce ne serait pas offenser les seconds que de cibler ce que leur institution accomplit mal ou ce que les citoyens attendent mais ne reçoivent pas, notamment efficacité et rapidité. Et la police, aussi respectable qu’elle soit, n’est pas un corps parfait en toutes circonstances ! Le clivage absolu qu’on prétend ériger entre ces deux ministères n’a aucun sens. L’actualité souvent la plus tragique, mêlant des processus administratifs à des enquêtes et informations criminelles – le meurtre de Philippine avec le parcours du suspect Taha O. en voie d’extradition le démontre pour le pire – met à bas cette distinction et n’est pas loin d’établir le caractère sinon interchangeable, du moins très largement complémentaire de Beauvau et de la place Vendôme.

Condamnés à s’entendre dans l’intérêt de la France

Comment aurait-il été concevable, pour Bruno Retailleau, sur TF1 ou dans son entretien du Figaro, de ne pas traiter de l’exécution des peines alors qu’il était questionné sur l’immigration clandestine, l’asile et les OQTF ? Son argumentation, s’il s’était abstenu, en aurait été singulièrement appauvrie. Didier Migaud s’est immédiatement contraint à la posture traditionnelle du garde des Sceaux montant au créneau pour atténuer le propos « sur le droit à l’inexécution des peines ». Je ne suis pas sûr qu’il ait eu raison dans le satisfecit qu’il a formulé mais peu importe : je ne doute pas qu’il saura intégrer, dans sa pratique à venir, une partie de la logique du ministre de l’Intérieur. Il permettrait ainsi, avec évidemment la réciproque de la part de Bruno Retailleau, une meilleure compréhension des rôles policier et judiciaire.

Aujourd’hui, c’est un antagonisme larvé ou affiché qui gouverne. Il faut mettre fin à cette hostilité dont une part de la magistrature est coupable, trop souvent condescendante, avec son apparente pureté, à l’encontre d’une police naturellement fautive aux mains sales (je renvoie à cette analyse précédente…). J’ai la faiblesse de penser que Bruno Retailleau et Didier Migaud ont pour principale ennemie la convention politique qui, au long des années et des pouvoirs de gauche comme de droite, les jugerait mous et incompétents s’ils ne s’abandonnaient pas à une lutte entre chiens et chats. S’ils résistent à cette pente, ils feront du bien ensemble à la France et aux citoyens qui espèrent, après tant d’orages, de désordres et d’affrontements, au moins une esquisse d’aurore.




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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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